Le 23 février 2005, le parlement français adopte une loi glorifiant l’œuvre coloniale. En fait, avant même le vote des députés, ce projet de loi a suscité une réaction dans les deux rives de la méditerranée. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette colère dépasse le sentiment patriotique. En France, la condamnation vient principalement des chercheurs. Ceux-ci trouvent en effet que la loi est injuste dans la mesure où elle exclut le côté ténébreux de la période coloniale. « Adoptée par le parlement français, ce texte reste muet sur la face sombre de la colonisation, les sévices et les crimes dont furent victimes les populations des territoires colonisés », note à juste titre l’éminent historien, Claude Liauzu. En plus, peut-on vraiment parler d’un apport positif quand on sait que le système colonial s’est construit sur le reniement du colonisé ? Pour le cas de l’Algérie, cette occupation a été, tout au long des 132 ans d’occupation, douloureuse et inhumaine.  

Incontestablement, les malheurs de l’Algérie ont commencé après la prise d’Alger, le 5 juillet 1830. Par ailleurs, bien que l’occupation turque doive être considérée en tant que telle, force est de reconnaitre que l’autochtone n’était pas broyé. Quant à la présence française, celle-ci est caractérisée par son côté  répressif et violent. Surtout, il est difficile d’en parler de cette période en termes élogieux tant la domination était inhumaine. En effet, en dépit de l’éclosion des sciences en Europe, la mission coloniale –à vrai dire, une course pour l’expansion de son territoire –est un fiasco, si on l’analyse du point de vue du colonisé. Et pour cause ! Les personnes chargées d’accomplir la mission ne furent pas imprégnées de cette culture. En plus, dès lors que la France dispose d’un vaste territoire colonial, pour les concepteurs du projet colonial, la manière porte peu. « La conquête d’un pays de race inférieure, par une race supérieure, qui s’y établit pour le gouverner, n’a rien de choquant », justifie Ernest Renan l’entreprise coloniale.

Quoi qu’il en soit, bien que le colonisé soit rassuré sur la préservation de ses biens, cet engagement ne dépasse pas le stade de la promesse. « Selon moi, toutes les populations d’Algérie qui n’acceptent pas nos conditions doivent être rasées, tout doit être pris, saccagé, sans distinction d’âge ni de sexe : l’herbe ne doit plus pousser où l’armée française a mis les pieds », écrit le colonel de Montagnac dans l’une de ses correspondances. Ainsi, sur l’ensemble de la période dite de pacification, les opérations préconisées par les conquérants coutent la vie à près de 900000 Algériens, selon Olivier Le Cour Grandmaison. Résultat des courses : au contact avec l’armée française, la population algérienne, dont les conditions de vie sont censées être améliorées, est devenue « plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu’elle ne l’était avant de nous connaitre », conclut Alexis de Tocqueville son rapport sur l’action militaire en Algérie.

De toute évidence, en dépit de l’occupation générale du pays, la violence n’a pas cessé pour autant. En 1881, un code de l’indigénat, un monument du racisme d’État selon Claude Liauzu, est adopté. Celui-ci comporte des lois applicables aux seuls indigènes. Tout compte fait, bien qu’il soit abrogé en 1946, dans la réalité, son application va durer jusqu’à la fin du système colonial. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la fin de ce système va également provoquer des souffrances et des pertes abyssales. En fait, avec une armée de 500000 soldats sur le terrain, le peuple algérien est soumis aux pires humiliations. «  Nous dépensons chaque année 1000 milliards en Algérie sous toutes sortes de formes pour la lutte en Algérie. Le FLN dépense 30 milliards. Par le combat, les exécutions sommaires, les exécutions légales, nous tuons dix fois plus d’adversaires que ceux-ci nous tuent […] de Français », déclare le général de Gaulle le 26 décembre 1959.

Par ailleurs, malgré la fin de la guerre, les relations entre l’ex colonie et sa métropole sont empruntes de malentendus. Du côté français, bien que la guerre d’Algérie ne soit reconnue qu’en 1999, quand il s’agit des anciens de l’OAS, dont la Vème République naissante avait souffert de leur chantage, la République cède sans ambages. Peu à peu, ils sont même convoités par une droite républicaine en perte de vitesse. En tout cas, c’est dans ce contexte que les parlementaires de l’UMP (Union pour la majorité présidentielle), chassant sur le terrain du FN (Front national), proposent la loi reconnaissant le rôle positif de la colonisation. « À en croire nos élus, il n’y aurait eu ni massacre, ni destruction, ni spoliation, ni torture… De même, les bienfaits de la République auraient été apportés à « cette terre » même si les sujets ne sont jamais devenus citoyens, même si l’école n’a jamais été publique et obligatoire », pointe Claude Liauzu le caractère aberrant de la loi du 23 février 2005.

Finalement, il aura fallu beaucoup d’efforts pour que l’article 4 de la loi du 23 février soit abrogé. En tout cas, cela n’est possible que grâce à la mobilisation des historiens, tel que Claude Liauzu, et le bon sens de Jacques Chirac. Enfin, sans vouloir juger les députés sur leur compétence à légiférer, il est clair que le vote d’une loi injuste nuit à leur image et, par ricochet, à celle de la République. Certes, les Algériens et les Français ont besoin de connaitre la vérité, mais cela doit indubitablement se faire par les spécialistes de la question, en l’occurrence les historiens.  

Boubekeur Ait Benali
21 février 2013

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