Toute la période coloniale repose sur un quiproquo : vouloir civiliser des peuples « inférieurs » sans se donner pour autant les moyens d’accomplir cette mission. En effet, après s’être sortie de l’obscurantisme, la France, grâce à la diffusion des sciences, rentre incontestablement dans le cercle restreint des nations brillant par le savoir. La question qui se pose alors est de savoir s’elle doit garder à elle seule cette érudition ? Les plus généreux pensent répandre ces acquis dans le monde entier. Quant aux pays conquis, l’équation ne se présente pas sous cette forme. Et pour cause ! Les peuples, à qui on a promis la fin des ténèbres, ne rencontrent que la puissance de feu, dont les militaires n’hésitent pas à faire usage. Dans cette étude, il sera question d’étudier cette période sous deux facettes. Dans le premier temps, on va s’intéresser à la mission « civilisatrice » des colons. Dans le second temps, on va étudier la situation des « indigènes ».

I- Le projet colonialiste

En Hexagone, le consensus est vite réalisé sur le rôle que doit jouer la France dans le monde. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’accomplissement de cette mission sur le terrain laisse à désirer. En effet, malgré la position qu’occupe la France en Europe en termes de développement scientifique, ce formidable capital de savoir n’est pas pris dans les valises des conquérants. Ainsi, après plus d’un siècle de présence française en Algérie par exemple, l’illettrisme, constate Michel Winock, atteint des seuils exorbitants. « 94% de la population masculine algérienne est illettrée en français, 98% chez les femmes », note l’auteur de « l’agonie de la IVème République ».   

Cependant, dans les autres domaines, les bonnes volontés ont du mal à s’affirmer. Bien que des députés, notamment ceux de la gauche, se battent pour que les « indigènes » soient considérés comme des citoyens à part entière, le lobby colonialiste s’oppose systématiquement à la moindre réforme. Du coup, il faudra attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour que des mesures positives soient envisagées. Ainsi, à l’initiative du président du Conseil, Georges Clémenceau, quelques sujets peuvent enfin devenir français. Néanmoins, ce dispositif juridique est suivi de mesures restrictives. Pour devenir citoyen français, il faudrait que le demandeur satisfasse cinq conditions, dont celle inhérente à son engagement dans l’armée française. En fait, contrairement à la politique égalitaire mise en place en métropole, dans les colonies, ces principes sont sérieusement malmenés. À titre d’exemple, l’adoption du code de l’indigénat constitue un frein à toute velléité d’émancipation.

II- La vie des colonisés

En dépit des promesses relatives au respect de la propriété privée, du respect des traditions du pays, ces engagements ne sont rarement tenus. Peu à peu, la relation entre le nouveau maitre et le colonisé se mesure à l’aune du rapport de force. Entre ces deux entités, souligne Aimé Césaire, il n’y a « aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde chiourme, en chicote et l’homme indigène en instrument de production. »

En tout état de cause, à peine installées dans le pays conquis, les forces coloniales partent à l’assaut des biens des « indigènes ». Pour parvenir à soumettre ces populations, le colonisateur s’attaque d’emblée aux structures locales. En d’autres termes, les autorités coloniales n’y vont pas par mille chemins pour faciliter l’installation des leurs. Dans le domaine agricole par exemple, les colons en Algérie disposent d’une moyenne de 120 hectares par exploitant, alors que l’indigène ne dispose que 10 hectares en moyenne. Pour l’inventeur du concept de la négritude, la spoliation s’accompagne d’une violence inouïe. À ceux qui lui parlent des biens faits, il leur répond ceci : « Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés […]. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leurs terres, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse, à la sagesse. »  Reposant sur une base militaro-économique, la colonisation va éteindre, petit à petit, les lumières derrière elle, et ce, par le fait l’insatiabilité du grand colonat. D’ailleurs, le petit colon est broyé tout autant par le rouleau compresseur du lobby colonial.

Pour conclure, il va de soi que l’idée de départ n’a pas été respectée. En effet, ceux qui veulent propager les lumières dans le monde n’ont pas tenu compte du mercantilisme des humains. En plus, au moment des conquêtes, le niveau intellectuel du conquérant n’est pas si éloigné que ça de celui du conquis. Et c’est à ce niveau là que le projet colonial part avec un handicap de taille. Par conséquent, à défaut de pouvoir civiliser, le colon recourt sans vergogne à la force pour s’imposer. « Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme », rappelle Aimé Césaire les points noirs de la colonisation.  Enfin, bien que les libérations n’aient pas abouti à la libération effective des colonisés, les dirigeants issus des indépendances ont supplanté le colonisateur, il n’en demeure pas moins que la colonisation reste une page noire de l’histoire contemporaine.  

Boubekeur Ait Benali
28 janvier 2013

3 commentaires

  1. ABOUPORTANT on

    Il n’ y a jamais eu de quiproquo
    Bien au contraire , « l’idée de départ » a été scrupuleusement et parfaitement respectée, il s’agissait d’occuper un pays , piller ses richesses et asservir son peuple. Jamais il n’était question de « civiliser un peuple inférieur » , la politique menée par la france, les déclarations de leurs politiques et les faits historiques prouvent indiscutablement qu’il n’y a pas le moindre quiproquo.

  2. Les « Lumières » maçonniques.
    Les « Lumières » maçonniques. @Boubekeur Aît Benali.

    L' »obscurantisme » (lire Religions) n’était pas là où les « frères maçons » disaient qu’il était! Mais bel et bien représenté par ces arrogants (politiques et militaires) illuminés, sûrs d’eux-mêmes et dominateurs ! Après avoir génocidé d’abord chez-eux en Vendée (175.000 morts) (1),cette république maçonnique coloniale naissante après avoir inventé le terrorisme institutionnalisé lors de sa « Révolution » coupeuse de têtes, avait exporté « ses valeurs » terroristes et génocidaires dans d’autres contrées dont l’Algérie. Les véritables buts de guerre étaient de soumettre d’autres nations à leur délires messianiques et leurs appétits impérialistes hégémoniques et voraces. Tout le reste n’est que littérature. Jugez-en plutôt :

    Et, un Tonneau d’Oreilles !… Un !…
    « … Un plein baril d’oreilles… Les oreilles indigènes valurent longtemps dix francs la paire et leurs femmes, demeurèrent comme eux d’ailleurs, un gibier parfait… » (1).

    C’est en ces termes choisis qu’un général français racontait les exploits de ses troupes pendant la guerre de conquête de l’Algérie.

    «… Tout ce qui vivait fut voué à la mort… On ne fit aucune distinction d’âge, ni de sexe… En revenant de cette funeste expédition plusieurs de nos cavaliers portaient des têtes au bout de leurs lances… ».

    Extrait de la description, par Pellissier de Reynaud, du massacre de la tribu des Ouffias par les troupes sous le commandement du Duc de Rovigo. Toujours à la même époque et dans le même pays .

    « … J’ai laissé sur mon passage un vaste incendie. Tous les villages, environ deux cents, ont été brûlés, tous les jardins saccagés, les oliviers coupés… Il est impossible de se figurer à quelle extrémité nous avons réduit ces malheureuses populations ; nous leur avons enlevé pendant quatre mois, toutes leurs ressources en blé et en orge. Nous leur avons pris leurs troupeaux, leurs tentes, leurs tapis, tous leurs objets de ménage, en un mot toute leur fortune… ».

    Orgueilleuse satisfaction de la mission accomplie extraite d’une lettre, datée du 25 mai 1851 , écrite par un archétype de ces traîneurs de sabres, aussi sanguinaires que mégalomanes, que produisent des armées à intervalles réguliers, le Général de Saint Arnaud, lors d’une de ses campagnes en Algérie.

    Ce sont des extraits d’un « Maître Livre » (2), écrit par un professeur d’Université, de sciences politiques et de philosophie politique, Olivier Le Cour Grandmaison : Coloniser – Exterminer, Sur la Guerre et l’Etat Colonial.

    Dans ce livre dense, il s’agit de la France, au Maghreb, en Afrique, en Indochine et en Nouvelle – Calédonie. Jusqu’aux massacres de Haïti, de Madagascar. Jusqu’à ceux du Cameroun.

    On reste tétanisé, intellectuellement, émotionnellement, devant le récit de ces massacres, tortures, destructions et souffrances infligés à longueur de siècles. Immenses. Véritables génocides planifiés et exécutés par un colonisateur imbibé de racisme jusqu’à la moelle. Lire la suite sur : http://stanechy.over-blog.com/article-12203963.html

    (1) Livre : La Vendée-Vengé : Le génocide franco-français.
    Reynald Secher(Auteur),Jean Meyer (Préface)
    Editeur : Librairie Académique Perrin;

    On a voulu oublier la Vendée. Comme les camisards ou les cathares. Mais on n’efface pas les lieux trahis de la mémoire de la France. A l’été 1790 se déclenche presque unanime contre la prétention des autorités révolutionnaires de réglementer le culte. Elle est suivie, trois ans plus tard, par le refus de la conscription au service d’une armée jugée impie. En réponse à cette insurrection des humbles, la Convention a organisé l’  » extermination  » des Vendéens, à commencer par les femmes, ces  » sillons reproducteurs « , et les enfants, de  » futurs brigands  » et l’  » anéantissement de la Vendée  » ; 770 communes deviennent hors-la-loi et comme condamnés à la  » vindicte nationale  » ; le nom même de Vendée cède la place au département  » Vengé « . Les moyens sont éloquents : camps, fours crématoires, sabrades. Les bilans, tant humains que matériels, sont impressionnants. A sa sortie, voilà vingt ans, ce livre avait choqué par la crudité que révélaient les archives. Aujourd’hui que les recherches ont confirmé les travaux pionniers de Reynald Secher, force est de reconnaître l’importance de cette contribution à l’histoire de la Révolution.

    (2)Livre: Le Cour Grandmaison, Olivier, Coloniser – Exterminer – Sur la guerre et l’Etat Colonial, Fayard, 2004,

  3. Ne compte que sur soi
    L’Algérie fait partie d’une sphère culturelle différente de celle de la France. C’est une illusion que de croire qu’un pays étranger à votre culture puisse vous aider à sortir de la décadence. Le réveil ne peut être initié que par une élite interne qui s’est décolonisée et qui a retrouvé ses repères. Ceux-ci représentent l’islam, la langue et l’ouverture sur le monde. Le reste n’est que verbiage.[/ltr]

Exit mobile version