L’enchainement des attentats et des contre-attentats, au cours de l’année 1956, crée indubitablement un climat de psychose à Alger. En fait, après avoir épargné la capitale, considérée comme un refuge indispensable, l’heure pour le FLN est à la généralisation de la guerre. À ce titre, tous les moyens sont utiles pour faire connaitre la cause algérienne. Du côté des autorités coloniales, les effectifs militaires, après la fin des opérations de Suez, sont affectés au complet en Algérie. Cela dit, bien que l’armée française, s’agissant des revendications algériennes mêmes pacifiques, ait toujours des réflexes répressifs, à l’instar du carnage de mai 1945, en temps de guerre, celle-ci redouble incontestablement de violence.

Quoi qu’il en soit, le retour des parachutistes d’Égypte, dirigés par le général Massu, coïncide avec l’adoption des résolutions de la Soummam. Selon Benjamin Stora et Renaud de Rochebrune, dans « la guerre d’Algérie vue par les Algériens », « après le retour du congrès de la Soummam, on a également décidé de promouvoir une autre forme de lutte. On ne sait pas précisément à quelle date, mais probablement en décembre, les membres du CCE ont mis à l’ordre du jour l’organisation d’une grève générale dont on évoquait la possibilité depuis quelque temps et dont le principe avait été favorablement accueilli. »

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’enlisement de la guerre va radicaliser les positions des uns et des autres. À l’exécution des prisonniers algériens, dont les plus médiatisés sont Zabana et Ferradj, ainsi que le plastiquage par les ultras d’un immeuble de la Casbah, les responsables du FLN répondent par une série d’explosions de bombes dans des endroits fréquentés par les Français d’Algérie et par des assassinats ciblés dont celui d’Amédée Froger, le tout puissant président de l’association des maires d’Algérie. Exploitant sans vergogne cet événement, les ultras exigent alors des mesures plus draconiennes.« Eux qui rêvent de renverser les autorités de la République jugées trop timides dans le combat contre les indépendantistes pour installer au pouvoir des militaires extrémistes à leur image », sont entendus par le pouvoir politique.

Quoi qu’il en soit, si, pour cette fois-ci, ils ne parviennent pas à mettre à mort la IVème République, 18 mois plus tard, ils réussiront sans encombre. Cela dit, même en janvier 1957, les ultras ne perdent pas la partie. Connu pour sa palinodie, le président du conseil, Guy Molllet, abandonne, suite au chantage des ultras, le pouvoir civil en Algérie aux militaires. Le 6 janvier 1957, le général Massu, chef de la Xème division parachutiste, se voit alors confier les pouvoirs civils en vue de rétablir l’ordre à Alger, et ce, en étant couvert de toutes les éventuelles bavures.

Néanmoins, bien que les exactions soient le lot quotidien des Algériens, force est de reconnaitre que le maintien jusque-là de l’autorité civile a quelque peu freiné les ardeurs des militaires. Après l’octroi des pleins pouvoirs à l’armée, le général Massu dispose désormais d’un blanc seing. Il peut ainsi « éliminer les Algériens qui passeront entre ses mains, responsables du FLN ou simples suspects qu’on suppose importants, avec des méthodes que le civil responsable officiel –et donc pour une large part théorique –de la police, le« secrétaire général de la préfecture » Paul Teitgen, ne sera pas le seul à comparer alors à celle de la Gestapo », arguent les deux historiens.

En tout cas, c’est dans ce contexte que les chefs du FLN annoncent une grève générale, à partir du 28 janvier 1957, pour une durée d’une semaine. Bien que certains membres du CCE (comité de coordination et d’exécution, issu de la Soummam) soient réticents à l’idée d’une action prolongée, à l’instar notamment de Saad Dahlab ou dans une certaine mesure de Krim Belkacem, la détermination de Larbi Ben Mhidi finit par convaincre tous les membres du comité.

Cependant, grisé par ses pleins pouvoirs, le général Massu n’attend pas le jour J pour montrer ses crocs. Ayant pour mission de faire échouer la grève, le général Massu ne lésine pas sur les moyens. « D’autant plus qu’on lui a fait savoir qu’il pourrait utiliser tous les moyens pour cela, et on le lui confirmera sans hésitations à maintes reprises par la suite, sans souci de bavures que cela pourrait entrainer », décrivent-ils l’étendu du pouvoir confié à Massu. Ainsi, du 8 au 28 janvier, les habitants de la Casbah vivent au rythme des perquisitions, où les paras ont pris le rôle de la police. « Le week-end précédant le 28 janvier, il lance donc, une nouvelle fois de nuit, les quatre régiments de paras opérant à Alger sous ses ordres pour embarquer en camions un millier d’individus « fichés », qui seront internés dans la banlieue d’Alger », écrivent encore les deux historiens.

En tout état de cause, malgré les arrestations et la répression s’abattant sur la population d’Alger, le 28 janvier 1957, la capitale est paralysée par le mouvement de grève initié par le FLN. Et bien que la population algérienne soit exposée aux différentes intimidations, les autorités coloniales constatent amèrement que les Algériens sont prêts à braver la mort pour que leur pays soit enfin indépendant. Ainsi, en dépit des brutalités tous azimuts, le premier jour de la grève est vu comme un fiasco par les autorités coloniales. Du coup, face à la détermination des Algériens, les paras passent à la seconde étape. « En clair, on enfonce petit à petit les portes des maisons pour rafler sans ménagement tous les hommes en âge de travailler qu’on oblige à se masser près de la Casbah », notent-ils. Quant aux magasins, si les propriétaires n’étaient pas là, les paras forceraient automatiquement les rideaux. Et c’est de cette façon que les autorités coloniales se targuent d’avoir convaincu les Algériens de reprendre le travail.

En somme, bien que les pertes humaines soient considérables, le chemin vers l’indépendance devient désormais inéluctable. D’ailleurs, le 4 février 1957, l’Assemblée générale de l’ONU programme à son ordre du jour « la question algérienne ». Par ailleurs, bien que la France ait encore de l’influence à l’ONU, il n’en reste pas moins que le problème algérien a dorénavant une dimension internationale. Portée par des diplomates de qualité, la question algérienne ne cesse de mobiliser l’opinion internationale. Enfin, menée concomitamment à l’action armée, la diplomatie algérienne va être décisive au moment des négociations avec la France en vue de conclure des accords de cessez-le-feu. Hélas, à l’indépendance, le rôle de ces talentueux diplomates sera considérablement réduit par ceux qui se sont emparé du pouvoir dès l’été 1962.

Boubekeur Ait Benali
23 janvier 2013

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