La visite du président français, François Hollande, la semaine dernière en Algérie, a levé le voile sur pas mal d’interrogations. En même temps, elle a prouvé que le peuple algérien ne devrait rien attendre de l’ancienne métropole. Cela dit, contrairement à son prédécesseur, François Hollande privilégie un partenariat d’égal à égal avec l’État algérien, rompant ainsi avec le style de son prédécesseur. Souvenons-nous que l’ancien président, Nicolas Sarkozy, était prêt à arracher avec ses dents le point de croissance manquant à son pays. Néanmoins, qu’on n’y prête pas non plus des intentions démesurées à François Hollande. Les intérêts de la France passent avant ceux des autres. Ce qui n’est pas répréhensible dans la mesure où il a été élu pour servir les intérêts de ses concitoyens.

Cependant, la différence entre les deux présidents français se situe indubitablement dans la conception des rapports entre le Nord et le Sud. En fait, le gouvernement de droite n’a-t-il pas voté en 2005 une loi glorifiant l’apport de la colonisation notamment en Afrique du Nord ? Sur ce sujet, bien que le contentieux de mémoire empoisonne les relations entre les deux pays, François Hollande rompt avec le discours faisant de la France une nation irréprochable sur les valeurs universelles. « Pendant 132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste, brutal et destructeur. Rien ne peut justifier les agressions commises contre la population algérienne, la négation de son identité et son aspiration à vivre libre », déclare-t-il devant les parlementaires algériens.

Encore une fois, dans style rompant avec la morgue de son prédécesseur, François Hollande reconnait les souffrances du peuple algérien pendant la période coloniale. À l’antipode d’un certain discours de Dakar, le président français admet que la France, notamment après la fin de la Seconde Guerre mondiale, a empêché l’homme africain de s’émanciper. « A Sétif, le 8 mai 1945, le jour même où dans le monde triomphaient la liberté et la justice, la France manquait à ces valeurs universelles, celles qu’elle a contribué de faire éclore, celles de la République », admet-il.

De toute évidence, sur la question du passé, les Algériens n’ont pas attendu les déclarations officielles pour se faire une idée de ce qu’était la barbarie du système colonial. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que, pour recouvrer leur liberté confisquée par les conquérants, les Algériens ont affronté le système colonial les armes à la main. Cependant, après la signature des accords d’Evian, cette page de l’histoire devait être définitivement tournée, comme le mentionne si bien un passage de l’hymne national. « En luttant contre la colonisation et, à son contact, les mouvements de libération nationale ont appris à se servir de la modernité pour en faire un instrument du droit des peuples et des droits de l’homme. De notre point de vue, ce n’est pas la colonisation qui a apporté une sorte de « progrès collatéral » dans ses wagons, mais la lutte et la nécessité consécutive à cette lutte de retourner les armes de la modernité contre l’existence et l’idée même de la colonisation »,écrit le juriste, Madjid Benchikh. Hélas, un demi-siècle après l’indépendance, la question reste brulante.

Dans une certaine mesure, s’il y une recherche de vérité à faire, cela devra se faire d’abord en Algérie. En effet, avec toutes les richesses dont dispose le pays, l’Algérie mérite-t-elle le sort actuel ? Qui a failli à son devoir ? En tout cas, si la colonisation a cassé l’élan pendant plus d’un siècle, après l’indépendance, on ne peut pas amputer à la colonisation les détournements, la confiscation des libertés et l’exclusion du peuple de la gestion de ses affaires. D’ailleurs, les Algériens ont-ils recouvré réellement leur liberté en 1962 ? Sans la crise de l’été 1962 et ses prolongements, l’Algérie, vu les richesses dont elle disposait et dispose encore, aurait pu atteindre le même niveau développement que celui de l’ancien colonisateur. Or, en 2012, les Algériens ne rêvent que de quitter leur pays pour rejoindre le pays que leurs aïeux ont combattu. En effet, dès que les caméras ne sont plus sous le contrôle du régime, les jeunes désemparés ne cachent plus leur volonté de partir.

D’un autre côté, pour s’acheter une bonne conscience ou pour faire semblant de ne pas manquer au devoir envers les martyrs, les dirigeants, au lieu d’œuvrer à la prospérité du pays, laissent entendre que cela est dû au fait que la France n’a pas encore demandé pardon au peuple algérien. Quelle ingéniosité pour ne pas lâcher les rênes du pouvoir. De l’autre côté, bien que la France ne s’immisce pas officiellement dans les affaires des autres pays, il n’en reste pas moins que cette situation de statu quo l’intéresse à plus d’un titre. Ainsi, bien qu’il croie s’adresser au peuple algérien dans un discours au parlement où 6 Algériens sur 10 ne sont pas représentés, François Hollande apporte, de façon sous jacente, son soutien à l’équipe en place.

Or, malgré le demi-siècle qui nous sépare de la fin du système de domination coloniale, le pays n’a jamais connu d’alternance au pouvoir. À chaque fois, les dirigeants ont refusé aux Algériens le droit de choisir librement leurs élus. Par ailleurs, après avoir révisé la constitution en 2008 afin de sauter le verrou l’empêchant de briguer un troisième mandat, voilà qu’une nouvelle révision constitutionnelle se profile à l’horizon. Pour le président français, dans une interview à deux journaux algériens, « le président Bouteflika a annoncé, en avril 2011, une série de réformes qui doivent conduire à une révision de la constitution dans le sens d’un renforcement de la démocratie ». Malheureusement, cet optimisme n’est pas partagé par la majorité des Algériens. Pour eux, la création de vrais contre-pouvoirs et la restitution du pouvoir au peuple algérien ne seront pas pour demain. Car les intérêts que procure l’exercice du pouvoir, à travers le contrôle de la rente pétrolière, sont colossaux pour que le régime d’Alger remette le pouvoir à un peuple qu’il a toujours considéré mineur. De toute façon, le peuple algérien ne croit pas aux contes de Noël. Et s’il veut être maitre de son destin, il ne devra pas compter ni sur François Hollande ni sur ceux qui ne le prennent pas au sérieux.

Boubekeur Ait Benali
26 décembre 2012

Comments are closed.

Exit mobile version