Lamartine sur le Prophète Mohammed
 
Alphonse Marie Louis de Prat de Lamartine a été un poète, écrivain, historien et homme politique français né à Mâcon le 21 octobre 1790 et mort à Paris le 28 février 1869. Voici ce Lamartine écrivait en 1854 (Histoire de la Turquie), à propos du Prophète de l’Islam :
 
« Jamais homme ne se proposa volontairement où involontairement un but plus sublime puisque ce but était surhumain : saper les superstitions interposées entre la créature et le Créateur, rendre Dieu à l’homme et l’homme à Dieu, restaurer l’idée rationnelle et sainte de la divinité dans ce chaos de dieux matériels et défigurés de l’idolâtrie.
 
Jamais homme n’accomplit en moins de temps une si immense et durable révolution dans le monde, puisque moins de deux siècles après sa prédication, l’Islamisme, prêché et armé, régnait sur les trois Arabies, conquérait à l’unité de Dieu, la Perse, le Korassan, la Transoxiane, l’Inde Occidentale, la Syrie, l’Egypte, l’Ethiopie, tout le continent connu de l’Afrique septentrionale, plusieurs îles de la Méditerranée, l’Espagne et une partie de la Gaule.
 
Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Mahomet ?
 
Les plus fameux n’ont remué que des armes, des lois, des empires ; ils n’ont fondé, quand ils ont fondé quelque chose, que des puissances matérielles, écroulées souvent avant eux. Celui-là a remué des armées, des législations, des empires, des peuples, des dynasties, des millions d’hommes sur un tiers du globe habité ; mais il a remué, de plus, des idées, des croyances, des âmes.
 
Il a fondé sur un livre dont chaque lettre est devenue loi, une nationalité spirituelle qui englobe des peuples de toutes les langues et de toutes les races, et il a imprimé pour caractère indélébile de cette nationalité musulmane la haine des faux dieux et la passion du Dieu un et immatériel (…).
 
Philosophe, orateur, apôtre, législateur, guerrier, conquérant d’idées, restaurateur de dogmes rationnels d’un culte sans images, fondateur de vingt empires terrestres et d’un empire spirituel, voilà Mahomet. A toutes les échelles où l’on mesure la grandeur humaine, quel homme fut plus grand (…) ? »

Des personnalités éminentes témoignent

“Quiconque ayant étudié la vie et la personnalité du grand prophète d’Arabie ne peut que ressentir de la vénération pour cet éminent prophète” (Annie Besant, historienne, La vie et les enseignements de Mahomet, 1932)
 
Après avoir analysé les personnages les plus influents de l’histoire, M. Hart plaça au premier rang Mohammad : “La raison en est qu’il est le seul homme a avoir mené à bien son oeuvre avec succès tant sur le plan religieux que celui de la politique” (M. Hart, astronome, mathématicien et historien, Les 100 personnes les plus influentes de l’histoire, 1981)

“Nous pouvons discerner 3 dons importants que Mahomet a reçus. Il a été doté d’une faculté spéciale à voir l’avenir, il fut un homme d’Etat plein de sagesse et il fut un administrateur plein de tact et d’habileté. Plus on réfléchit à l’histoire de Mahomet, plus on est stupéfait devant la grandeur d’une telle oeuvre” (W. Montgomery Watt, historien, Mahomet à Médine, 1978)

“De mémoire d’homme, aucun nom n’aura été invoqué autant de fois, nul n’aura régné sur autant d’âmes” (Le Point, La vraie vie de Mahomet, 1er octobre 1994)

“Mahomet est réellement un personnage historique… Mahomet nous apparaît comme un homme doux, sensible, fidèle, exempt de haine. Ses affections étaient sincères, son caractère, en général, porte à la bienveillance” (Ernest Renan, écrivain, Etudes d’histoires religieuses)

“Ce fut très certainement un très grand homme qui forma de grands hommes… Il joua le plus grand rôle qu’on puisse jouer sur la terre aux yeux du commun des hommes” (Voltaire, philosophe, Essai sur les moeurs)

“Et c’est une oeuvre immense, que Mahomet a accomplie, par le seul concept de l’Unique, il a soumisl’univers entier” (Goethe, philosophe, Divan ouest oriental)
 

Victor Hugo chante le Prophète de l’Islam

Comme s’il pressentait que son heure était proche,
Grave, il ne faisait plus à personne une reproche ;
Il marchait en rendant aux passants leur salut ;
On le voyait vieillir chaque jour, quoiqu’il eût
A peine vingt poils blancs à sa barbe encore noire ;
Il s’arrêtait parfois pour voir les chameaux boire,
Se souvenant du temps qu’il était chamelier.
Il semblait avoir vu l’Eden, l’âge d’amour,
Les temps antérieurs, l’ère immémoriale.
Il avait le front haut, la joue impériale,
Le sourcil chauve, l’oeil profond et diligent,
Le cou pareil au col d’une amphore d’argent,
L’;air d’un Noé qui sait le secret du déluge.
Si des hommes venaient le consulter, ce juge
Laissait l’un affirmer, l’autre rire et nier,
Ecoutait en silence et parlait le dernier.
Sa bouche était toujours en train d’une prière ;
Il mangeait peu, serrant sur son ventre une pierre ;
Il s’occupait de lui-même à traire ses brebis ;
Il s’asseyait à terre et cousait ses habits.
Il jeûnait plus longtemps qu’autrui les jours de jeûne,
Quoiqu’il perdît sa force et qu’il ne fût plus jeune.
A soixante-trois ans une fièvre le prit.
Il relut le Coran de sa main même écrit,
Puis il remit au fils de Séid la bannière,
En lui disant :  » Je touche à mon aube dernière.
Il n’est pas d’autre Dieu que Dieu. Combats pour lui. « 
Et son oeil, voilé d’ombre, avait ce morne ennui
D’un vieux aigle forcé d’abandonner son aire.
Il vint à la mosquée à son heure ordinaire,
Appuyé sur Ali le peuple le suivant ;
Et l’étendard sacré se déployait au vent.
Là, pâle, il s’écria, se tournant vers la foule ;
 » Peuple, le jour s’éteint, l’homme passe et s’écroule ;
La poussière et la nuit, c’est nous. Dieu seul est grand.
Peuple je suis l’aveugle et suis l’ignorant.
Sans Dieu je serais vil plus que la bête immonde. « 
Un cheikh lui dit :  » o chef des vrais croyants ! le monde,
Sitôt qu’il t’entendit, en ta parole crut ;
Le jour où tu naquit une étoile apparut,
Et trois tours du palais de Chosroès tombèrent. « 
Lui, reprit :  » Sur ma mort les Anges délibèrent ;
L’heure arrive. Ecoutez. Si j’ai de l’un de vous
Mal parlé, qu’il se lève, ô peuple, et devant tous
Qu’il m’insulte et m’outrage avant que je m’échappe ;
Si j’ai frappé quelqu’un, que celui-là me frappe. « 
Et, tranquille, il tendit aux passants son bâton.
Une vieille, tondant la laine d’un mouton,
Assise sur un seuil, lui cria :  » Dieu t’assiste ! « 
Il semblait regarder quelque vision triste,
Et songeait ; tout à coup, pensif, il dit :  » voilà,
Vous tous, je suis un mot dans la bouche d’Allah ;
Je suis cendre comme homme et feu comme prophète.
J’ai complété d’Issa la lumière imparfaite.
Je suis la force, enfants ; Jésus fut la douceur.
Le soleil a toujours l’aube pour précurseur.
Jésus m’a précédé, mais il n’est pas la Cause.
Il est né d’une Vierge aspirant une rose.
Moi, comme être vivant, retenez bien ceci,
Je ne suis qu’un limon par les vices noirci ;
J’ai de tous les péchés subi l’approche étrange ;
Ma chair a plus d’affront qu’un chemin n’a de fange,
Et mon corps par le mal est tout déshonoré ;
O vous tous, je serais bien vite dévoré
Si dans l’obscurité du cercueil solitaire
Chaque faute engendre un ver de terre.
Fils, le damné renaît au fond du froid caveau
Pour être par les vers dévoré de nouveau ;
Toujours sa chair revit, jusqu’à ce que la peine,
Finie ouvre à son vol l’immensité sereine.
Fils, je suis le champ vil des sublimes combats,
Tantôt l’homme d’en haut, tantôt l’homme d’en bas,
Et le mal dans ma bouche avec le bien alterne
Comme dans le désert le sable et la citerne ;
Ce qui n’empêche pas que je n’aie, ô croyants !
Tenu tête dans l’ombre au x Anges effrayants
Qui voudraient replonger l’homme dans les ténèbres ;
J’ai parfois dans mes poings tordu leurs bras funèbres ;
Souvent, comme Jacob, j’ai la nuit, pas à pas,
Lutté contre quelqu’un que je ne voyais pas ;
Mais les hommes surtout on fait saigner ma vie ;
Ils ont jeté sur moi leur haine et leur envie,
Et, comme je sentais en moi la vérité,
Je les ai combattus, mais sans être irrité,
Et, pendant le combat je criais :  » laissez faire !
Je suis le seul, nu, sanglant, blessé ; je le préfère.
Qu’ils frappent sur moi tous ! Que tout leur soit permis !
Quand même, se ruant sur moi, mes ennemis
Auraient, pour m’attaquer dans cette voie étroite,
Le soleil à leur gauche et la lune à leur droite,
Ils ne me feraient point reculer !  » C’est ainsi
Qu’après avoir lutté quarante ans, me voici
Arrivé sur le bord de la tombe profonde,
Et j’ai devant moi Allah, derrière moi le monde.
Quant à vous qui m’avez dans l’épreuve suivi,
Comme les grecs Hermès et les hébreux Lévi,
Vous avez bien souffert, mais vous verrez l’aurore.
Après la froide nuit, vous verrez l’aube éclore ;
Peuple, n’en doutez pas ; celui qui prodigua
Les lions aux ravins du Jebbel-Kronnega,
Les perles à la mer et les astres à l’ombre,
Peut bien donner un peu de joie à l’homme sombre. « 
Il ajouta ;  » Croyez, veillez ; courbez le front.
Ceux qui ne sont ni bons ni mauvais resteront
Sur le mur qui sépare Eden d’avec l’abîme,
Etant trop noirs pour Dieu, mais trop blancs pour le crime ;
Presque personne n’est assez pur de péchés
Pour ne pas mériter un châtiment ; tâchez,
En priant, que vos corps touchent partout la terre ;
L’enfer ne brûlera dans son fatal mystère
Que ce qui n’aura point touché la cendre, et Dieu
A qui baise la terre obscure, ouvre un ciel bleu ;
Soyez hospitaliers ; soyez saints ; soyez justes ;
Là-haut sont les fruits purs dans les arbres augustes,
Les chevaux sellés d’or, et, pour fuir aux sept dieux,
Les chars vivants ayant des foudres pour essieux ;
Chaque houri, sereine, incorruptible, heureuse,
Habite un pavillon fait d’une perle creuse ;
Le Gehennam attend les réprouvés ; malheur !
Ils auront des souliers de feu dont la chaleur
Fera bouillir leur tête ainsi qu’une chaudière.
La face des élus sera charmante et fière. « 
Il s’arrêta donnant audience à l’espoir.
Puis poursuivant sa marche à pas lents, il reprit :
 » O vivants ! Je répète à tous que voici l’heure
Où je vais me cacher dans une autre demeure ;
Donc, hâtez-vous. Il faut, le moment est venu,
Que je sois dénoncé par ceux qui m’ont connu,
Et que, si j’ai des torts, on me crache aux visages. « 
La foule s’écartait muette à son passage.
Il se lava la barbe au puits d’Aboufléia.
Un homme réclama trois drachmes, qu’il paya,
Disant :  » Mieux vaut payer ici que dans la tombe. « 
L’oeil du peuple était doux comme un oeil de colombe
En le regardant cet homme auguste, son appui ;
Tous pleuraient ; quand, plus tard, il fut rentré chez lui,
Beaucoup restèrent là sans fermer la paupière,
Et passèrent la nuit couchés sur une pierre
Le lendemain matin, voyant l’aube arriver ;
 » Aboubékre, dit-il, je ne puis me lever,
Tu vas prendre le livre et faire la prière. « 
Et sa femme Aïscha se tenait en arrière ;
Il écoutait pendant qu’Aboubékre lisait,
Et souvent à voix basse achevait le verset ;
Et l’on pleurait pendant qu’il priait de la sorte.
Et l’Ange de la mort vers le soir à la porte
Apparut, demandant qu’on lui permît d’entrer.
 » Qu’il entre.  » On vit alors son regard s’éclairer
De la même clarté qu’au jour de sa naissance ;
Et l’Ange lui dit :  » Dieu désire ta présence.
– Bien « , dit-il. Un frisson sur les tempes courut,
Un souffle ouvrit sa lèvre, et Mahomet mourut.

Victor Hugo, L’an neuf de l’Hégire, 15 janvier 1858

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