Depuis que l’église en Occident a reculé devant l’autorité des groupes autonomes optant pour la séparation du spirituel et du temporel, il était devenu évident que ce qui prônaient jusqu’alors un gouvernement via la confusion des pouvoirs, comme ce fut et est le cas en islam, de faire un effort intellectuel pour remodeler si c’est nécessaire la pensée islamique et la restructurer selon des nouveaux impératifs. Vu la pérennisation d’un rapport de conflictualité entre les déférentes tendances politiques musulmanes, imputant la dégradation politique et morale au sein du pouvoir aux gouvernements théocratiques ou à des régimes nationalistes se légitimant à travers la religion, la question de démocratisation revient toujours au centre du débat. En effet, pour reprendre le socle hypothétique de cette contribution, il faut signaler la corrélation de deux variables : le rapport tumultueux des islamistes entre eux et avec la démocratie et l’absence de la société civile.

L’idéologie islamiste et la démocratie

La forte apparition des mouvements d’islamistes sur la scène politique arabe ainsi que leur implantation au niveau de la structure sociale a laissé perplexe nombre important d’observateurs. Bien évidemment, depuis la révolution iranienne, deux approches ont vu le jour pour être appelées respectivement, fondamentalisme et islamisme. Ce dernier embrasse deux tendances : les Oulémas traditionalistes et les intellectuels progressistes. Ces derniers pensent que les principes islamiques sont compatibles avec les valeurs modernes comme la liberté et la démocratie. En revanche, la théorie politique des mouvements islamistes dans son ensemble, se trouve contrariée par la domination du fondamentalisme traditionaliste des Oulémas qui ont eu le monopole historique sur le droit d’interpréter l’islam et ses principes. La différence entre traditionalistes et progressistes concerne leur vision de la relation entre l’islam, l’État, la société et l’économie. Certes, la classification des tendances politiques en ces deux larges catégories ne peut pas être toujours objective, mais cette classification est la plus reconnue historiquement. En réalité, il y a eu beaucoup de confusion, particulièrement autour du terme « fondamentalisme », ce dernier implique un retour au passé afin de reprendre les racines de la religion musulmane. Il s’appuie surtout sur une interprétation littérale du texte source. Or, le fondamentalisme tel que nous l’a démontrée la scène politique actuelle notamment la domination progressiste sur l’ensemble du mouvement islamiste est en voie d’adaptation avec le contexte international de nos jours. R .Wight a bien montré une partie de cette approche en précisant que les mouvements islamistes même fondamentalistes ont également un rapport avec la modernité. Ainsi, il préconise que la majorité des mouvements islamistes n’est pas fondamentaliste. En fait, la plupart de ces mouvements sont considérés comme fondamentalistes, alors qu’en réalité ils ne le sont pas, car même s’ils adressent une lecture littérale des écritures saintes, ils ne remettent pas forcement en cause l’ordre social actuel. (Même le parti salafiste égyptien opposé à la vision moderniste des frères musulmans n’oserait remette en cause les structures et les concepts modernes de la vie politique de nos jours, car il risquerait de perdre un large soutien populaire). Ainsi, la plupart de mouvements islamistes d’aujourd’hui ressemblent à bien des égards aux théologiens Catholiques de Libération qui préconisaient l’utilisation active de la doctrine religieuse originale pour mieux gérer les vies temporelles et politiques du monde moderne. C’est pourquoi, les islamistes présentent souvent leur lutte politique comme une tentative de faire émerger la société civile et reconstruire l’ordre social (1). Mais, il y a une large opposition à cette vision qui pense que les mouvements islamistes sont presque tous fondamentalistes, pour dire vrai, il existe deux tendances majeures au sein de ce mouvement : la première pourrait être qualifiée de traditionaliste représentée par l’intelligentsia des Oulémas, et la deuxième, fait l’apanage des intellectuelles musulmans modernes (2). En attribuant l’opposition politique aux réformistes islamistes, ou « des islamistes », moins fermes dans leurs lecture de la loi islamique (la Shari’a), la tendance moderne semble prendre le dessus. Classifier les courants de pensée en traditionalistes/fondamentalistes et modernes /réformistes, n’est pas une tâche facile à entreprendre, puisque la doctrine musulmane elle-même tient compte des interprétations différentes et des avis divergents concernant l’application de la Shari’a et ses principes. Il est tout à fait possible qu’un docteur de loi traditionaliste (alim) partage des valeurs islamiques communes avec un réformateur musulman moderne sur la place de l’islam dans la société, l’économie ou la politique. Ainsi, il devrait être souligné que des désaccords fondamentaux restent surtout parmi les traditionalistes sur le rapport du divin avec la souveraineté populaire. Certains penseurs musulmans comme Abou El Alaâ El Mawdudi, le fondateur du Jamaât-i Islamyia en Inde, ont soutenu l’idée selon laquelle si la démocratie est limitée à la souveraineté populaire, dirigée selon la loi de Dieu, il n’y aurait aucune incompatibilité avec l’islam. Néanmoins, Mawdudi a conclu que l’islam dans son essence est l’antithèse de ladémocratie occidentale laïque, basée seulement sur la souveraineté populaire (3). D’autre part, Sayyid Qutb, un théoricien traditionaliste fondateur de  » la Fraternité Musulmane », exécuté par le gouvernement égyptien en1966, s’est opposé à l’idée de la souveraineté populaire en tout : S.Qutb a développé l’idée que « l’État Islamique doit être basé sur les principes coraniques de consultation ou de shurah, il est considéré comme un système légal et moral si complet que d’autre législations possibles » (4). Comparés aux fondamentalistes révolutionnaires qui ont émergé après la révolution iranienne, les islamistes arabes se sont avérés moins efficaces. Mais, les événements se déroulant rapidement durant les années 1980, 1990 et surtout la fin de la décennie des années 2000, couronnés par un printemps arabe, aidant les islamistes à capitaliser le grand bénéfice de ce soulèvement populaire, a contribué davantage à faire passer le message de la tendance modérée. En outre, les adeptes de la tendance radicale ont été largement discrédités par l’incertitude  des quelques modèles d’Etat islamique en exercice tel le modèle le iranien ou l’échec de la tentative de démocratisation vue par les islamistes en Algérie durant les années quatre vingt dix. La tendance dominante actuellement est celle des leaders politiques islamistes inspirés par le modèle turc favorisant la participation aux processus électoraux considérés comme une meilleur façon d’accéder au pouvoir, attitude largement soutenue par des réformistes intellectuels engagés dans un vif débat sur l’islam et la modernité (par exemple, le rapport entre l’islam et la démocratie, les droits de l’homme, le respect des minorités et des droits de la femme).  À leur opposé se trouvent les Oulémas traditionalistes historiquement préoccupés de l’interprétation littérale du texte source et le développement de loi islamique (Shari’a), basée essentiellement sur le Coran et la Sunna, (« le chemin » ou « la tradition » se référant à la conduite du Prophète). Dans ce contexte, beaucoup de commentateurs ont pris au sérieux les contributions des penseurs musulmans comme Al-Shafi’i(767-820), Ibn Hanbal(780-855), Al-Ghazzali(1058-1111), Ibn-Taymiyya(1263-1328).Ces derniers ont prêté moins d’attention à la dimension politiquede la Shari’a qu’à ses aspects théologiques. Des questions vitales, comme le droit de l’individu envers la communauté (Oumma), le droit de gouverner et procurer une légitimité politique, le droit ou le devoir de se révolter contre un gouvernement injuste ont été laissées à l’abandon. Ainsi, les différents courants de pensée n’ont pas pu examiner les devoirs et les fonctions d’une autorité politique dans les détails. Par conséquent, aucune philosophie politique concrète basée sur la Shari’a ne s’est développée jusqu’à nos jours et la pensée politique islamique est restée purement spéculative (5). Bref, la majorité des islamistes soutiennent que la shura(consultation) peut-être interprétée comme un principe démocratique, puisqu’elle exige un débat ouvert sur les questions qui concernent la vie publique tant parmi les Oulémas que dans la communauté musulmane en général. Encore faut-il le rappeler que mêmes les radicaux les plus fermes évoquent la question démocratisation parmi l’ensemble des courant musulmans. Pourtant, les groupes fondamentalistes militants comme celui de l’Égypte,  El Nour El salafi, en deuxième position derrière les frères musulmans, l’ex- Front islamique de Salut en l’Algérie (FIS), ou même le Hamas palestinien n’ont pu ni étendre leurs bases de soutien à toutes les franges de la société, ni encore moins accéder au pouvoir une fois pour toutes. Durant les années 1990 et sous la direction du conseil de certains Oulémas, le mouvement Taliban en Afghanistan a imposé des lois « islamiques » restrictives dans des provinces sous contrôle militaire. Les militants islamistes radicaux en Égypte, en l’Algérie ou ailleurs dans le monde musulman sont considérés comme une base de mobilisation sans avoir pour autant une grande audience populaire. Ils ont été non seulement discrédités dans leur démarche, mais également dans leur vision politique car accusés d’’interprétation littérale de la Shari’a. Et bien sûr,  leur hésitation de rejoindre le courant moderne a restreint considérablement leur action politique sur le terrain. Acculement, les troubles politiques secouant le Monde Arabe galvanisent les masses qui dénoncent la médiocrité de leur élite dirigeante. Évidemment, la capacité de concevoir les politiques économiques viables et garantir des droits politiques de base a de plus en plus de l’importante par rapport aux perceptions idéologiques inspirées de la rhétorique théologique. Les gouvernements islamistes d’Iran ou du Soudan, par exemple, restent quelque peu isolés de la communauté internationale et font face aux problèmes intérieurs qui ont mené à des mécontentements populaires et même à des soulèvements. En Arabie Saoudite où État islamique est autoproclamé, la rente pétrolière contribue de manière considérable à maintenir le régime en place en masquant si c’est nécessaire les atteintes au droit des femmes, les libertés fondamentales et le droit de l’homme ; les problèmes économiques peuvent êtres une source de contestations surtout si la monarchie légitimée par l’islam fondamentaliste Wahhabite, nie les droits civils et politiques fondamentaux qui sont normalement respectés en islam. Le soulèvement du mouvement islamiste atteignant son paroxysme dans les années quatre-vingt, bien qu’il soit unanime sur la question de s’opposer aux régimes laïcs au pouvoir, varie selon les circonstances politiques de chaque État. À titre d’exemple, il s’est légitimé en Iran par rapport à la politique désastreuse du schah, il s’est radicalisé au Liban par opposition à Israël, en Égypte, en Algérie et même en Syrie il s’est opposé catégoriquement au régime de vielles gardes nationalistes au pouvoir. En fait, cette variation dépend de la tactique de chaque mouvement. L’on a assisté à un changement de stratégie, à une évolution dans le langage, les actes et les comportements. Si l’extrémisme a caractérisé la première période ayant révélé les mouvements fondamentalistes sur scène durant les années quatre-vingt, durant les années 2000 et sous l’emprise du printemps arabe sur les consciences, les adeptes de ce mouvement tentent de s’adapter avec les principes de la modernité. Autrement dit, les mouvements islamistes reconnaissent le pluralisme et l’interdépendance politique avec d’autres sensibilités entant que mots-clés de leur action politique. Historiquement parlant, l’islam comme religion-Etat, (Din wa Dawla) est souvent resté sur la périphérie politique des pays arabes, il a été démesurément moins apprécié par les partisans de l’idéologie séculière au pouvoir. En outre, la majorité de ces pays ont été plus au moins gérés par la rentre pétrolière ; les revenus des hydrocarbures et l’assistance militaire ainsi que l’aide économique et financière ont aidé un grand nombre d’États à monopoliser le pouvoir pendant longtemps. Le conflit israélo-palestinien a soutenu davantage l’hégémonie politique des États arabes et a légitimé leur autoritarisme en fournissant une excuse à leur performance politique médiocre. Pour reprendre l’essence même de la philosophie politique en islam, il est clair selon le Coran et, même la sunna, que Dieu est l’ultime souverain et tout ce qui est sur la terre et le ciel est sous Sa commande. Pourtant, il n’y a rien dans l’une ou l’autre source qui nie la liberté des musulmans d’agir pour améliorer leurs circonstances sociales. La Shari’a ne promet non plus d’obséquiosité à l’État comme une preuve du comportement approprié des musulmans, au contraire, les individus sont considérés comme responsables du salut et du bien-être d’entre eux et en communauté (7). Si un gouvernement règne au nom des principes coraniques, doit en conséquence respecter le fait que Dieu considère les individus et pas l’État comme responsable de leurs actions, car c’est eux qui seront punis ou récompensés en conséquence de leurs actes (8). Sur cette base, les islamistes modernistes écartent l’idée qu’une nouvelle législation au-delà de la Shari’a est impossible, mais dans le même temps la frontière entre la souveraineté complète de Dieu et la souveraineté populaire est toujours confuse.  Généralement, le débat au sein de la tendance islamiste en général, est focalisé sur cette ultime question : comment réconcilier les principes de l’islam avec les notions modernes de liberté, de démocratie, de justice et d’égalité des sexes ? Concernant la démocratie, la signification traditionnelle du concept de la shura (consultation) est révolue selon des islamistes eux-mêmes et notamment les progressistes parmi eux.  Ibrahim Yazdi, un théologien iranien, soutien l’idée de l’adaptabilité de l’islam avec les principes modernes de la démocratie, il précise  qu’« après tant d’années de débats et de réflexions en la matière, beaucoup d’islamistes sont arrivés à la conclusion que des élections libres d’un parlement est l’essence même du concept  »consultation. » » (9). Dans ce cas, c’est la souveraineté populaire en tant que telle qui est débattue. Face aux changements qui s’opèrent de manière rapide et imprévisible dans tous les axes de la vie politique, économique, sociale et même environnemental, la Shari’a doit répondre de la manière la plus possible et adéquate à cette réalité ; le renouveau de la démarche intellectuelle semble ainsi inévitable aux islamistes. Le développement de celle-ci, ont-ils argumenté, ne doit pas être considéré comme un mouvement loin des principes islamiques, mais, au contraire, comme un tremplin nécessaire pour atteindre une société musulmane idéale. Ainsi, l’élément indispensable dans la construction d’une telle société est la liberté de pensée et la liberté d’expression, y compris la liberté de contrôler le gouvernement et sa suppression. La réévaluation des traditionalistes musulmans de leur position politique rigide est nécessaire pour les adapter plus conformément aux transformations sociales et économiques actuelles. Comme l’avait exprimé Hasan Turabi : « l’islam existe dans la société en tant que normes et lois ; c’est un mode de vie intégral et total. Donc, le gouvernement islamique doit être limité, car il devient tyrannique s’il se mêle de tout » (10). Ainsi, quant à l’organisation de la vie politique et sociale dans la société musulmane en général, l’autorité religieuse exerce souvent une mesure de censure ou d’encouragement pour une forme précise, alors qu’elle est censée être neutre par rapport au fait sociale, elle doit laisser une marge de manœuvre aux libertés politiques et individuelles. Quant à la relation entre la société civile et l’État, Hassan Turabi précise que : « la société civile doit être laissée seule, le gouvernement n’intervient qu’en cas de dérive. Une fois que la société prenne ses fonctions, alors l’État est appelé à se retirer. Encore une fois, son intervention se limite à la sécurité, ou à d’autres aspects de la société qui doivent êtres légalement organisée » (11). La question de démocratisation des sociétés musulmanes n’est possible que si les acteurs concernés, à savoir l’État et la société civile, réussissent progressivement la transition politique en incitant à la création des théories cohérentes et des structures d’une démocratie propre à l’islam en tant mode de pensée et non simplement les reformulations de perceptions occidentales parfois incompatibles avec la structure et des spécificités culturelles de la société musulmane. En revanche, l’absence d’un dialogue constructif entre les traditionalistes Oulémas et les islamistes réformistes a élargi l’écart entre le mouvement islamiste et ses partisans. Le centre du débat se trouve dans la création des codes de législations pour traiter les questions politiques, droits et libertés civiques individuels ou en groupe, droits politiques des minorités, égalité des sexes et l’interférence entre gouvernement et société.

État et société civile

L’un des points importants qu’il faut relever concernant la relation entre l’État et la société civile dans le monde musulman réside dans le fait que l’État est considérablement faible, voire vulnérable aux secousses qui le traverse. Cette vulnérabilité de l’État émane justement du manque de son imbrication avec la société, c’est-à-dire que l’État ne tire pas sa force de légitimité de la société mais plutôt de son contrôle. De ce fait, la non-reconnaissance de l’opposition en tant que force politique autonome a retardé l’émergence de la société civile. La forte apparition des mouvements islamistes dans les années 1980, exploitant le vide politique ayant pour cause l’amplification de l’autoritarisme de l’État national, a été motivée par la construction d’un arrière plan idéologique comme un moyen de remédier à la faiblesse de l’État. Il est à rappeler, que cet optimisme qui donne plus d’intérêt à la relation société-État, a tenté probablement d’ouvrir des perspectives pour l’apparition de la société civile durant les années 1980 et les années 1990. Ainsi, «aujourd’hui la plupart des intellectuels arabes affirment avec assurance que les bases de la société civile – tant au niveau des pouvoirs intermédiaires que dans des groupes sociaux autonomes – existent dans le Monde Arabe» (12). Les formations sociales autonomes, mêmes basées parfois sur les liens familiaux et les liens de sang, comme celles du Golf monarchique ou du Yémen par exemple, font partie de la société civile. Mais dans la mesure où la confiance a considérablement diminuée entre la société civile et l’État, la simple présence de tels groupes est considérée comme étant un risque pour le pouvoir de l’État souvent arbitraire. L’émergence de la société civile mène à des perspectives plus prometteuses de démocratisation. Mais, l’apparition des partis politiques, des groupes automnes ou d’associations ne fait pas l’unanimité d’un départ ou d’une orientation vers la démocratie. Le pluralisme politique introduit à travers les amendements constitutionnels, pris comme une ligne de conduite depuis la fin des années quatre vingt, avait plus pour objectif de donner du souffle à l’État populiste étouffé qu’à enraciner les vertus du civisme et de citoyenneté. À ce titre, la révélation des partis politiques dans les pays de culture musulmane peut être considérée comme une stratégie de l’élite dirigeante au sommet de l’État, d’ajuster selon les impératifs de la circonstance les groupes islamistes qui n’ont cessé de bousculer les intérêts de la classe dirigeante depuis pratiquement la fin du colonialisme et la vague des indépendances qui s’en est suivie où le nationalisme d’État a pris la place du nationalisme islamique. Dans la plupart de ces États, le pluralisme politique représenté de façon résiduelle par les quelques partis politiques constitutionnellement reconnus, reste principalement inefficace, il joue un rôle cérémonial qui sert à légitimer l’État et ses politiques. Par exemple, l’élite religieuse dirigeante en Iran reconnaît la souveraineté du peuple, mais dans la pratique, elle semble réticente de partager le pouvoir avec l’opposition politique. Pour prendre un autre exemple, les tentatives de démocratisation en Algérie ont servi finalement à donner une injonction aux hommes au pouvoir, leur permettant de s’abriter derrière le pluralisme comme c’était le cas du parti unique. Malgré un certain formalisme emprunté à l’État démocratique tel le suffrage universel, les élections libres ou des débats publics, le peuple reste en vérité loin du pouvoir réel. La société civile s’est affaiblie considérablement malgré la résistance des intellectuels et les maintes partis politiques faibles et vulnérables qui continuent à bousculer l’État dominant dans les différents axes de la vie politique. Et malgré l’existence embryonnaire de quelques associations dans l’ensemble des pays musulmans, elles sont souvent mal organisées et dépendent du pouvoir de l’État. Comme l’avait constaté Carrie RosefskyWickham en l’Égypte:« dans un système autoritaire, l’apparition de la société civile ou des groupes autonomes concernés par l’expression politique n’est pas le même dans un système de conception libérale » (13). Par conséquent, nous ne pourrons pas considérer l’apparition du quasi-pluralisme étatisé dans des pays où se trouvait une majorité de tendance islamiste comme un transfert des règles de l’autorité du parti unique vers un pluralisme (Ta’addudiya El hisbia) où l’implication politique de nombreux partis politiques et associations serait effective. La base réelle du pouvoir de l’État au sein des pays arabes est en grande partie informelle et non institutionnel. Régis par une logique néo-patrimoniale, le pouvoir politique prend souvent des décisions importantes au détriment d’un système politique institutionnalisé à travers des élections libres. Ce modèle de direction archaïque n’est pas limité au Monde Arabe, bien sûr, tant de pays en voie de développement sont régis par le même mécanisme (14). En réalité, le patrimonialisme apparu dans ses formes les plus douces et les moins rigides, a existé même dans certains pays comme le Portugal, l’Espagne et la Grèce où il a persisté plus longtemps que d’autres pays européens, mais le processus de modernisation a finalement supprimé ce patrimonialisme pour laisser s’établir progressivement une démocratie. La nature du pouvoir autocratique des élites dirigeantes varie selon le développement politique de chaque pays ; le Koweït, les Émirats du Golfe Persique, l’Arabie Saoudite et l’Oman, sont peut-être les principaux exemples d’une autorité politique fortement traditionnelle. À l’autre extrême, l’Indonésie, la Malaisie, la Turquie, ou autre pays de ce genre, sont des contres exemples qui montrent à des degrés divers un certain équilibre entre la vie politique optant dans la plupart du temps pour l’émancipation de la société, c’est-à-dire la permission à cette dernière de réaliser une certaine autonomie propre à son développement politique. Cette émancipation se faisait à travers l’institutionnalisation progressive du pouvoir et la limitation des interventions informelles parfois arbitraire de l’État. La position dominante de l’État dans les monarchies du Golf Persique et le reste du Monde Arabe signifie la domination politique des familles puissantes, les élites et les officiers militaires et bureaucrates. L’apparition des groupes et d’associations indépendantes a fait défaut. Par exemple, l’organisation autonome des classes laborieuses à travers une alliance avec la classe moyenne, pourrait être une force effective capable de bousculer la hiérarchie politico-sociale. Elle aurait pour rôle de faire passer la compétence à la place de la cooptation, résister aux décisions arbitraires d’une élite dirigeante complètement aux abois faute de légitimé populaire et envisager un système politique démocratique permettant l’épanouissement des libertés et l’émergence de la culture citoyenne. Dans ce contexte, la vision moderne de l’islam, celle deRachid Al-Ghannouchi, fondateur du mouvement islamique tunisien, Al-Nahda, précise, « qu’une fois la chance donnée aux islamistes pour comprendre les valeurs de la modernité occidentale, comme la démocratie et les droits de l’homme, ils chercheront dans l’islam un endroit pour les implanter, les nourrir et entretenir de même que les occidentaux ont fait auparavant, quand ils ont implanté de telles valeurs dans un sol beaucoup moins fertile » (15). Autrement dit, les pays musulmans n’ont pas besoin de passer par un processus de laïcisation semblable à l’occident, mais devrait penser à une sortie honorable de la religion du domaine politique. Ghannouchi préconise : « un système islamique représentatif de la majorité, protecteur des minorités, respectueux des élections libres, d’une presse libre, et qui tâche dans le même temps, à promouvoir l’égalité entre tous les partis, religieux ou laïcs, qui lutte pour les droits de la femme et tous domaine de la vie, du statut personnel jusqu’aux styles vestimentaires. Le rôle de l’islam est de concevoir un système basé sur les valeurs morales » (17). D’autres promoteurs de la même tendance, le réformiste islamique iranien Abdul Karim Soroush, affirme qu’il n’y a aucune contradiction entre l’islam et les libertés inhérentes à la démocratie. « L’islam et la démocratie, ne sont pas seulement compatibles, leur association est inévitable. Dans une société musulmane, l’un n’est pas parfait sans l’autre » (18). Soroush pense que la volonté populaire régie par des règles de foi et de croyances devrait former un ‘’État islamique idéal’’, c’est de l’islam lui-même que se développe une société qui se veut ouverte au monde extérieur. Les perspectives d’apparition de la société civile dépendent des caractéristiques des groupes sociaux qui forment cette société et cela concerne aussi bien les aspects matériels que spirituels. Mieux instruite, plus saine et plus organisée la société civile saurait comment faire la gestion et l’affectation de ses ressources et comment se protéger progressivement de la domination arbitraire de l’État. D’autant plus que ses ressources doivent être allouées à la formation des institutions qui englobent sans exception toutes les sensibilités et les tendances politiques existantes sans recourir à la violence ou à l’intégration d’une partie de la société au détriment de l’autre. Ainsi, l’institutionnalisation est essentielle pour la stabilité politique, elle permet la canalisation des revendications sociables comme elle assure une satisfaction pacifique. Elle intervient pour brider les débordements arbitraires ainsi que les interventions autoritaires de la direction politique. Être démocratique, pour les partis politiques religieux ou pas, veut dire accepter de fonctionner dans un cadre organisationnel institutionnalisé et indépendant où des élections libres sont faites et exécutées sans interférence constante des divers couches de la bureaucratie. Les associations, les groupes indépendants et les différentes sensibilités de la société civile jouent un rôle déterminant dans les sociétés développées, cependant elles sont de moins en moins considérées dans les sociétés arabes. La non-apparition de la société civile dans ces pays est due à la faiblesse des partis d’opposition et au manque d’une base institutionnelle considérée comme consensus préalable à la démocratie. La majorité des partis de l’opposition n’a pas su comment exploiter le vide politique ayant pour cause la domination des partis dits nationalistes relayés et soutenus par le pouvoir militaire, ainsi, la société civile se trouve désarmée, tributaire du pouvoir de l’État et sa bureaucratie. La domination des pouvoirs autoritaires nourris par la rente, l’existence amplifiante des mouvements intégristes et la question du sous-développement et la pauvreté condamnent l’émergence d’une société civile autonome, seulement que ce pessimisme se trouve contrarié par le contre-exemple indien où la pauvreté n’a pas été un obstacle pour la démocratie.

Conclusion

Il ne semble y avoir aucune résolution immédiate au débat d’idée lancé entre traditionalistes, islamistes et intellectuels réformateurs concernant l’islam et la démocratie. Cependant, la tentative de développer la doctrine politique de l’islam par les islamistes, réformistes intellectuels ou certains traditionalistes, n’a pas besoin d’être vue nécessairement comme une tentative de saper entièrement la légitimité d’établir le religieux dans les pays musulmans. Les courants religieux traditionnels au sein de ces pays, soit au pouvoir ou à l’opposition, doivent faire face aux problèmes socio-économiques et politiques complexes de la société. Leur légitimation à travers le religieux doit s’effacer pour laisser la place à une légitimé démocratique, peu importe le moyen mis en œuvre, suffrages, élections libres, shura ou autres principes de ce genre. La grande faiblesse de la tendance islamiste et ses acolytes réside dans son propre maigre performance politique sur le terrain ; elle s’incarne plus particulièrement dans son échec de cohabiter pacifiquement avec les forces de l’opposition laïque ou moderne afin d’apporter un véritable remède au marasme chronique de la société. Problème qui devient le terrain de la violence et le terrorisme. Les Oulémas progressistes peuvent contribuer à promouvoir un dialogue ouvert avec les islamistes fondamentalistes à travers la rationalisation des principes religieux et la prise en compte des valeurs modernes sans abandonner les principes de base de l’islam propre. Par exemple, la prise du pouvoir par un gouvernement islamiste en l’Iran ou le Soudan a montré que ce dernier, ne peut, à lui seul, résoudre les problèmes de la société et en réalité rend compliqué la volonté de relever le défi économique et sociale en diluant les valeurs islamiques dans la vie publique. Le débat religieux et le dialogue politique entre les islamistes, surtout les réformistes parmi eux, peut être prometteur. Seul une démarche pragmatique, peut être avantageuse au mouvement islamiste en général ; elle peut lui permettre de prendre le dessus dans sa lutte pour la souveraineté politique et le développement économique et sociale. En revanche, cela n’est réalisable que quand l’établissement religieux lui-même favorise un fondement socio-économique adéquat pour reconstruire un modèle de pensée moderne. Sur le plan politique et, puisqu’il n’est pas facile de prévoir le comportement des groupes islamistes une fois au pouvoir, il est souhaitable dans un premier temps de réconcilier les islamistes et les autres courants politiques laïcs ou démocrates dans leur lutte commune contre les systèmes politiques actuels devenus arbitraires. Gérés par un pouvoir illégitime, régit plus un archaïsme tribal que par les principes démocratiques, ces systèmes-là n’ont pas répondu présent à la question du sous-développement et la promotion des libertés fondamentales et le droit de l’homme ; il est avéré qu’ils étaient et qu’ils sont toujours incapables de faire émerger une société civile autonome. Mus davantage par l’idée de se pérenniser au pouvoir, ils ont  a tué dans l’œuf toute possibilité de ressusciter la société de manière plus libre et démocratique. Maintenant et en rappelant la relation entre les islamistes et le pouvoir, la question est, si l’État laïc conçoit une politique incluant et permettant aux islamistes de participer au processus politique, aux préoccupations réservées au destin des droits et des libertés individuels, il serait fort probable que ces derniers passent au pouvoir et dominent le fonctionnement de l’État. Quelques observateurs, comme c’était le cas du récent printemps arabe par exemple, ont préconisé que du moment où les islamistes passent par le verdict populaire doivent avoir l’occasion de gouverner, même s’ils ne garantissent pas l’avenir de tels droits ; certains ont préconisé une lente et partielle inclusion politique des islamistes. Or, il faut qu’un pacte national soit inventé pour mieux garantir le processus de démocratisation. Les pays musulmans, comme d’autres pays en voie de développement, même à des degrés divers, souffrent d’une crise économique et sociale aiguë, d’une crise politique comme la domination de l’État, la faiblesse de l’opposition et la mal-distribution des richesses. Ces pays n’arrivent pas à enclencher un processus démocratique basé sur des élections libres, ni réussir une bonne affectation des ressources pour remédier au problème du sous-développement. Le débat religieux sur l’islam et la démocratie doit alors traiter non seulement la question de la justice sociale et les libertés individuelles, mais aussi la question du développement des mécanismes nécessaires pour remédier aux problèmes structurels de l’économie. Une démocratie « islamique » ne va pas embrassez toutes les valeurs séculières adoptées en occident. Cependant, les pas initiaux pris vers une telle fin devront inclure un processus d’institutionnalisation progressif. L’incorporation d’un islam institutionnalisé dans le processus de développement aiderait forcement la cause démocratique que les islamistes devraient défiez avec succès. Leur combat doit se diriger vers l’hégémonie traditionaliste, voire intégriste du mouvement tant au niveau religieux que dans les arènes politiques. Pour jouer le jeu de la démocratie, les adeptes de la tendance islamiste devrait êtres mieux organisée pour proposer une alternative aux problèmes socio-économiques et politiques. Cela pourrait à son tour aider à maintenir une légitimité populaire comme support, facilitant la lutte pour le pouvoir. L’organisation, le diadoque et le respect de chacun sont la clé du succès pour n’importe quel groupe cherchant à réaliser ses objectifs.

Hammou Boudaoud
6 juin 2012

Notes de renvoi :

1- Robin Wrignt, « Islam, Démocracy and the West », Foreign Affairs, 71 n°: 3 Summer 1992 p-p 131-145.

2- Docteur Yazdi, un professeur d’université et un activiste politique qui a été vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères sous l’Ayatollah Khomeini. Il est actuellement le Secrétaire général du parti politique d’opposition, le Mouvement de Libération de l’Iran. Voir « un Séminaire avec Ibrahim Yazdi, » Midel Est policy volume 3 n°: 4 april 1995.

3- Voir AbulA’laMawdudi, « A polical Théory of Islam », Donohue et John Esposito, et des rédacteurs. L’Islam en transition :Muslim Perspectives New York: Oxford University Press, 1982, p-p. 253-54.

4- John L. Esposito, « Voices of Resurgent Islam » New York, Oxford University Press, 2003. Voir aussi GUENAD Mohamed, Sayyid Qutb, Itinéraire d’un théoricien de l’islamiste politique, Editions, l’Harmattan, Paris, 2010.

5- Les Oulémas Sunnites et Chiites acceptent l’autorité de la Sunna, bien qu’il y ait quelques différences concernant l’interprétation de cette dernière. Le Coran de Fatima, la wilaya d’El Faqih, théories d’Imama…etc. restent comme des points de désaccords entre la tendance sunnite et chiites ; les Oulémas Chiites s’appuient sur les traditions des Imams, considérés comme  » héritiers légitimes du Prophète, » le dernier imam, le  »Mahdi », reste caché jusqu’à son retour pour gouverner la Terre.

6- Robin Wrignt, « Islam , Démocracy and the West », op.cit., p 131.

7- Sourate 10 (chapitre) verset (ayat) 108 « Dis : ô hommes, la vérité vous est venue de votre seigneur; quiconque prend le chemin droit, il le prend pour son bien; quiconque s’égare, s’égare au détriment de son âme. Je ne suis point chargé de vos intérêts( affaires ».

8- Sourate 38 (chapitre) verset (ayat) 26. « Nous n’avons points créé en vain le ciel et la terre, et tout ce qui entre eux. C’est l’opinion des incrédules, et malheur aux incrédules, ils seront livrés au feu ».

9- « Un Séminaire avec Ibrahim Yazdi, » op.cit., p. 18. Yazdi réclame que l’interprétation de Shura est correcte, car basée sur des années de débat avec des savants musulmans, comme Rachid Reda, MaulanaMaududi, Ali Shariati, l’Ayatollah Naini, Mehdi Bazargan, l’Ayatollah Taligani et l’Ayatollah Mutahhari.

10- Robin Wrignt, « Islam , Démocracy and the West », op.cit., p 131.

11- Idem. p 54.

12- Emanuel Sivan, « The islamic resurgence civil socity strikes back », Journal of conteprary history, 1990 p. 352.

13- CARRIE Rosefsky Wickham « Beyond démocratization : political change in the Arab World » Polical science and policis volumen°: 3 September 1994. p 09-507.

14- Il faut voir les travaux de Max Weber par exemple « Économie et société », L’organisation et les puissances de la société dans leurr apport avec l’économie — traduit de l’allemand par Julien Freund, Pierre Kamnitzer, Pierre Bertrand… [et al.] ; sous la direction de Jacques Chavy et d’Eric de Dampierre, Paris Pocket 2003.

15- Robin Wrignt, « Tow visions of reformism », journal of démocracy 7 N°:2 avril 1996 pp-81-95.

16- Ibid.

17- Ibid. Concernant ce sujet, il faut voir les travaux FrancoisBuragat, L’islamisme au Maghreb, Edpayot et Rivages, Paris, 2008. Et aussi L’islamisme en face, Paris, La découverte 2007.

18- Robin Wrignt, « Tow visions of reformism », op.cit.; p 68.

19- Laith Kubba, « Recognising Pluralism », Jornal of démocracy, 7 n°: 2 Avril 1996.

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