Les réactions, mitigées en Algérie et correctes en France, après la diffusion du film « Guerre d’Algérie, la déchirure », sont la preuve irréfutable d’une difficile réconciliation entre les deux rives. Bien que le film soit destiné, en priorité, à un public français, on ne peut pas accuser les auteurs du film d’un parti pris en faveur d’un quelconque rôle de la colonisation. Et pour cause ! Le scénariste Benjamin STORA, bien qu’il ait vu le jour en Algérie, n’a pas attendu 2012 pour découvrir une passion pour le mouvement national algérien. Ses écrits sont reconnus comme étant objectifs et d’une honnêteté exemplaire. D’ailleurs, dans une interview parue dans « les cahiers de l’Express », un hors-série de mars-avril 2012, l’historien, natif de Constantine, répond sans ambages à une question qualifiant la guerre d’Algérie de tragédie : « Oui, c’est une tragédie. Le temps passant, je suis de plus en plus frappé par la grande violence de cette guerre. Même si le bilan des victimes est toujours difficile à établir et sujet à polémique, on peut rappeler que de 350000 à 400000 civils algériens sont morts, soit 3% [et 4,4%] des 9 millions d’habitants algériens. » Un pourcentage équivalent quand même aux pertes de la Première Guerre mondiale. Voilà ce qui choque en Algérie. Pour des Algériens, le bilan est de 1500000 [près de 16% de la population] tués. Partant de là, le reste du film est un ensemble de mensonges et de glorification de la colonisation. Or, pour que ce chiffre soit contesté, il faudra demander aux dirigeants algériens d’ouvrir les archives et les confier aux historiens pour rétablir la vérité. Sans être utopiste, il semble que ce travail ne soit pas prêt d’être fait dans le court terme.

Quoi qu’il en soit, on ne peut pas dire que les Algériens, dans leur globalité, rejettent ce film. Bien que le réalisateur Gabriel Le Bomin et Benjamin STORA aient travaillé sur des archives ouvertes par la France, il n’en reste pas moins que le téléspectateur a pu voir des images inédites des dirigeants algériens. Pour Akram Belkaid : « Bien sûr, il faut relever le fait que nous avons eu droit à des archives inédites comme ces images de Krim Belkacem au milieu des djounoud ou, plus important encore, celles de Messali Hadj dont je dois avouer que c’est la première fois que j’entends la voix (!). Mais il n’empêche. Il reste encore des questions, des attentes, des envies d’éclaircissements qui concernent la geste révolutionnaire algérienne. » Plus important encore, le film revient sur la visite de Ferhat Abbas en Chine, en 1960, où le Président Mao lui réserve un accueil présidentiel à son homologue algérien. Les autorités chinoises, à cette occasion, arborent le drapeau algérien. Ce qui représente, en soi, un geste d’une grande importance.

Cependant, pour Benjamin Stora, qui découvre cette séquence inédite, cet accueil –et c’est le moins que l’on puisse dire –étaie la thèse du triomphe de l’action du FLN sur le plan international. En ce qui concerne la politique française, l’historien explique que « l’isolement international de la France était terrible et le succès militaire sur le terrain n’y pouvait rien. De Gaulle l’avait compris.» Qui peut contredire cette analyse, à moins qu’on ait une autre étude s’appuyant sur d’autres archives ? Ainsi, au lieu d’exiger du pouvoir algérien d’ouvrir les archives afin qu’on ait une version algérienne du conflit, certains attendent que des Français le fassent à leur place. En plus, ils souhaitent que ces Français fassent un travail qui va satisfaire leur point de vue. Mais ces historiens ont déjà un public qui veut connaitre ce qui s’est passé en Algérie de 1830 à 1962. Voila ce qu’écrit Akram Belkaid à propos de l’audience française de 3 millions : « Un chiffre modeste au regard d’autres audiences, mais qui démontre tout de même qu’il existe une demande du savoir et du mieux comprendre en ce qui concerne la période coloniale et la guerre d’indépendance algérienne. Il faut dire, et je l’ai déjà relevé dans une chronique précédente, que le passé algérien de la France est actuellement à la une de l’actualité culturelle hexagonale. »

Cependant, sur la question de la violence, le film met en exergue les deux violences. Pour Ali Haroun, invité de l’émission après le film, « Il y a la violence des forts et la violence des faibles ». À ceux qui veulent nous faire croire que l’action violente, à vrai dire le seul moyen pour les nationalistes de mettre à mort le système colonial, est seulement du côté français se trompent. Si la violence coloniale a été constante de 1830 jusqu’à sa fin, celle des Algériens, bien que visant un système abhorré, est aussi une réalité. Toutefois, cinquante ans après la fin de la guerre, le problème qui mérite d’être signalé c’est que cette violence n’a pas disparu avec la disparition du colonialiste. Tout compte fait, cette question de mémoire en Algérie n’aura de sens que si le pays arrive à connaitre un réel apaisement. Plus de prise de pouvoir par la force, plus de maintien au pouvoir par la force, telles doivent être, me semble-t-il, les préoccupations des Algériens. « L’indépendance se gagne contre une puissance coloniale, une nation ne se construit contre personne, elle se bâtit avec le peuple », écrit Christophe Barbier, éditorialiste de l’Express. Quand est-ce que ces efforts seront faits ? Pour le moment, la question du pouvoir en Algérie entrave toute recherche de vérité.

Boubekeur Ait Benali
15 mars 2012

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