Tahiya lil Akh Abû al-‘Atâhiya

Il fut un temps ou nos gouvernants avaient fait pour nous l’option irréversible du socialisme. En ce temps-là, plutôt que de nous soulever contre lui, (le régime était impitoyable) nous avions trouvé une voie pour le contourner, en proclamant que le socialisme était finalement quelque chose de tout à fait compatible avec l’islam.

S’il fallait juger les choix de l’Algérie post-indépendante, ce n’est pas au socialisme en tant que doctrine que je m’en prendrais mais a ceux qui ont fait ces choix. Et puis, avec un peu de recul on réalise, qu’en fait ces choix dérivent de ceux déjà entrepris par l’Égypte nassérienne, La Syrie aflakienne, l’Iraq baathiste et j’en passe, et, sans le coup d’Etat de la CIA contre Mossadeg (inexcusable d’ailleurs), et la restauration du Shah, il est fort probable que l’Iran aurait suivi la voie socialiste de ses voisins. L’Ataturkisme également avait laissé des traces dans les esprits des élites arabes. Les dirigeants algériens n’ont fait que suivre, guerre froide oblige. Les superpuissances ayant établi les règles du jeu et gare aux contrevenants. Cela dit, ce n’est guère pour excuser les premiers dirigeants que j’élargis le cadre géopolitique de l’époque. Le peuple algérien, encore sous le choc colonial, se remettant à peine de sa torpeur, se vit affliger de nouveau les fers par ses frères. Ce n’est pas spontanément que certains ont voulu associer Islam et Socialisme, ni pour plaire à Boumediene ou à son équipe. Cette association avait déjà été faite par le passé, sous d’autres horizons, aussi bien par les penseurs européens que par les idéologues pan-arabistes. On a rien inventé, tout était importé, du « prêt a porter sur démesure ».

Nous avons alors soutenu les « justes causes » des peuples, et apporté notre soutien indéfectible au Vietnam, à Cuba et au peuple du Kampuchéa et à tous les peuples en lutte. En fait, cela nous faisait du bien, nous apprenions à voir le bien dans le point de vue des autres. Alger était devenue disait-on, la Mecque des révolutionnaires.

Si les guillemets signifient que l’auteur doute de la justesse des causes et de la position prise a l’encontre de ses causes, je me permets d’enlever les guillemets et d’affirmer que la cause vietnamienne était une noble cause, que la lutte du peuple cubain dans les années cinquante était juste. La Révolution algérienne ayant été institutionnalisée, il est tout à fait compréhensible qu’Alger ait été la Mecque de ceux qui aspiraient à libérer leurs peuples des différents jougs oppressants.
 
Lorsque le peuple iranien s’est soulevé et a réussi à renverser le chah, agent de l’impérialisme américain, nous accueillîmes la nouvelle avec une joie immense. L’Iran allait remplacer dans nos cœurs la grande Egypte qui venait d’accepter de pactiser avec l’Amérique. On gagnait d’un côté ce que l’on perdait de l’autre. Mais soudainement une logique que jusque là on nous avait cachée ou interdit d’approcher fit son apparition. Voilà que nous nous découvrions sunnites alors que ces méchants iraniens étaient… des chiites. C’était la fin de la solidarité par l’ennemi commun. L’URSS avait jusque là présidé la symphonie socialiste ; elle était encore debout, mais le socialisme se craquelait déjà en Pologne. Il n’y avait plus intérêt à espérer quoi que ce soit de cet allié devenu sénile.

Il va de soi que dans un pays à majorité sunnite la question de madhab ne se pose pas. Effectivement, nous étions heureux de voir la chute de la dictature du Shah, mais le peuple algérien, n’en déplaise aux fomenteurs de discordes, n’a pas mordu a l’appât. Les tous jeunes révolutionnaires sont venus a Alger nous parler de leur révolution, sans pour autant qu’il y ait eu ni mépris ni prosélytisme d’une part comme de l’autre. Entre parenthèses, la révolution iranienne n’était pas uniquement une révolution islamique, de nombreux courants idéologiques y ont participé, sans démériter, ce qui est advenu par la suite nécessiterait une trop longue analyse.
 
Il nous fallait un autre argument. On ne trouva pas mieux que de réveiller ce vieux démon sachant que l’illusion de la solidarité socialiste dans laquelle on avait grandi n’allait pas jouer cette fois pour nous « faire marcher ». Nos gouvernants ne voulaient pas être en retard d’une combine. Nous redevenions soudainement musulmans avec la bénédiction de nos gouvernants ; pas n’importe quels musulmans mais de bons sunnites de pure souche. Or notre appartenance au sunnisme était inconciliable avec le chiisme. Elle l’était avec le communisme, mais certainement pas avec ces gens-là.

Aborder la question du sunnisme en contraposition avec le chiisme n’est guère approprié pour l’Algérie. L’Afrique du Nord en général, du fait de son histoire mouvementée pendant des siècles avec l’occident chrétien se distingue aujourd’hui, de par son homogénéité religieuse, musulmane d’abord, les considérations existantes au Mashreq imposant des identités religieuses plurielles, dont les maghrébins ont pu faire l’épargne. Quant a l’antagonisme arabo-berbère, ce n’est pas la France qui l’a inventé (bien qu’elle l’ait exploité généreusement, les séquelles subsistant de nos jours), l’histoire de l’Andalousie nous apprends beaucoup a ce sujet, il suffit de la consulter.
 
Même ce grand peuple de l’Algérie à qui on ne la joue pas facilement tomba dans le piège sous le travail obscurantiste des salafis saoudiens qui nous ont roulés dans la farine. Ils ont exploité la dualité sunnisme-chiisme, comme la dualité arabe-kabyle au temps de la France, ou comme Maghreb-Machreq : Il n’y avait que prétexte à la division et aucune bonne intention derrière tout ça. Trente ans après, qu’ont fait les Saoudiens ? Ils reprochent encore à l’Iran d’avoir accru son influence en Irak. Ils oublient de dire que ce sont eux qui ont fait venir leurs chers amis US en Irak pour renverser Saddam.

Le régime saoudien n’est qu’un reflet des dictatures arabes. Ses choix politiques sont à déplorer, mais le sunnisme n’a rien à voir la dedans. La première guerre du Golf (pas celle de papa Bush de 1991) entre l’Iraq de Saddam et l’Iran de Khomeiny a été une véritable tragédie humaine. Les deux partis étant responsables des millions de victimes, et je ne distingue ici, ni le sunnite, ni le chiite.

On avait oublié la ghayra, on avait oublié ce qu’on avait appris avec la solidarité internationale, le sens de la vraie lutte. On allait nous faire préférer vivre sous la férule saoudienne dans l’indignité et la trahison de tous nos principes plutôt que de prendre exemple sur l’Iran ni même sur Cuba. Comme si le problème des problèmes était vraiment l’opposition sunnisme-chiisme. A cause de ces faux « principes », nous avons manqué de rajla envers les Iraniens, que dis-je, envers nous-mêmes.

Pour un vrai politique, soucieux du progrès de son pays, ayant une ghayra pour son pays, il n’était même pas nécessaire d’être un bon musulman, pour savoir qu’un vrai pays est un pays qui progresse, qui assure de mieux en mieux les conditions de vie des habitants. Point barre. Tout à coup, on se remit à sortir de vieux clichés, à les dépoussiérer, à les polir. Je me rappelle que c’est à cette époque que je découvris la conséquence de ce que pouvait signifier le fait pour moi d’être un sunnite et un malékite.

Se référer à un Imam de la stature de Malik, éponyme du Madhab qui porte son nom est un honneur, a condition toutefois que cela ne me fasse pas rejeter l’autre, qui ne partage pas mon rite.

Alors que jusque là on nous apprenait que le socialisme était la voie unique pour sortir le pays du sous-développement. On faisait au moins le distinguo entre la religion et la voie de développement. En Algérie, un homme comme Malek Bennabi se donna tant de peine à essayer de nous mettre dans la tète, l’idée que nous étions musulmans, que nous sommes musulmans, que le seul problème, là où ça allait mal, consistait dans notre inefficacité. Il faut partir de ce principe pour éviter de tomber dans le travers de l’intégrisme qui nous fait perdre encore plus de temps, en consacrant ses efforts à faire de nous des musulmans que nous sommes déjà, et à négliger les efforts prioritaires pour développer le pays.

Malek Bennabi, confronté à une toute autre réalité a su diagnostiqué le mal algérien. (tout en précisant son admiration du wahabisme de son époque). Nous avons malheureusement cru que notre colonisabilité disparaitrait avec son objet, suite au départ du colonisateur, quelle désillusion !

L’intégriste aime bien faire de longs discours pour « expliquer » l’islam aux « croyants », mais pas aux gouvernants qui sont bien au-dessus de tout ça. Il ne prend pas le pouvoir pour combattre le chômage, et l’inflation, mais pour « défendre l’islam ». Je me rappelle et je témoigne que le peuple algérien avait apporté son soutien à l’Iran, sans trop accorder d’importance au facteur « chiisme ». C’était surement une découverte du mot, mais il n’y avait aucun mal à apprendre cela. Au contraire on découvrait la riche diversité de l’islam qu’historiquement on nous avait jusqu’ici cachée. Mais cela relevait de la culture. Et seuls des savants avertis pouvaient en discuter. Pourtant la propagande marcha à plein gaz : nous étions la sunna authentique. On nous gonfla la gandoura et nous nous rendormîmes comme sous l’effet d’un soporifique. On lâcha la proie pour l’ombre. Nous nous détournâmes de l’Iran, inconscients que c’est la solidarité qui fait la force et impose le respect.

Le problème est que nous n’avons pas seulement freiné l’enthousiasme du peuple pour l’Iran, en lui exhibant l’épouvantail du chiisme, mais nous avons continué dans la trahison, à ne rien faire pour faire progresser nos pays, que ce soit dans le développement, ou dans la démocratie. Nous avons déchu sur tous les plans. Nous avons perdu tout sens de l’honneur des Arabes, ou des musulmans. Nous apportons notre soutien à toutes les combines concoctées ailleurs pour casser nos frères, jusqu’au dernier.

Aujourd’hui, nous voyons les Frères Musulmans qui ont toujours trahi par ignorance, – je l’espère pour eux –, ont accepté de siéger dans une assemblée d’un pays où l’armée n’a eu aucune honte à annoncer qu’elle n’a pas « l’intention de lâcher le pouvoir ». Comprenez que les choses continueront comme avant. Et les Frères ont dit : alâ ‘ayni !Les Frères ont accepté. Et quelques jours après avoir été désignés comme les marionnettes officielles, l’armée les a soumis à un test de résistance, histoire de savoir jusqu’à quel point, ils sont prêts à suivre les traitres qualifiés qui leur ouvrent la voie.

Juger le choix des frères musulmans égyptiens est prématuré même si on n’est pas nécessairement d’accord avec leur position sur plusieurs questions.

On voit aujourd’hui, que toutes nos gesticulations anti-chiites ne venaient pas de nous, mais simplement de ceux qui nous manipulaient, sans jamais songer au moins à nous consoler par quelque douceur ? Qu’avons-nous gagné ? Tous les pays, même nos frères africains qui ont beaucoup moins de ressources que nous, ont déjà gagné une bonne avance sur nous.

L’Iran n’a certainement rien, à voir dans la tragédie algérienne, n’en déplaise aux simples d’esprit ou aux pensées paresseuses. Nous sommes responsables de ce qui nous arrive depuis des décennies, pour ne pas dire des siècles, notre colonisabilité ne nous a pas quittée, loin s’en faut, et nous nous complaisons dans cet état vil et abaissant. Quant au sunnisme, ce n’est pas une nationalité, ni un bien que s’approprierait un Etat particulier, évitons donc de le cibler.

Wa Allah al-Musta’an A’lam
Abdelkader Boutaleb
3 février 2012

Un commentaire

  1. Abu alAtahiya on

    Gardons nos plumes prêtes
    Salam Si Abdelkader

    Merci pour votre intérêt pour mon papier que j’ai écrit en évitant d’entrer dans les détails, de façon à ne pas donner prise à ceux qui discutent de tout, critiquent tout tout, et qui ne comprennent pas par l’allusion, surtout sur un sujet aussi délicat. wal ‘âqilu yafhamu bil-ishâra.
    merci donc pour vos encouragements aussi. Vous avez bien compris que les guillemets ne tenaient pas du doute bien évidemment; ils sont là seulement pour souligner le vocabulaire de l’époque.
    Quant aux Frères, à partir du moment où on fait de la politique, une telle erreur est assimilable à un crime. ce n’est pas moi qui le dis… Je n’ai pas envie de leur donner le temps de trahir encore plus pour en avoir la certitude. Mais si cela les rassure, les autres  »islamistes » sont aussi des traîtres: ceux qui font des demi-révolutions creusent leurs propres tombes. ce n’est pas moi qui le dis aussi. je ne dis pas ces choses pour blesser mes frères, mais pour les alerter.
    Je viens de voir sur ce site si accueillant que vous êtes un poète. MashaAllah! Un poète est toujours partisan de l’amour. Alors aimons et prions, mais gardons nos plumes prêtes!
    Abû al-‘Atâhiya

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