L’année 2011 a été riche en rebondissements dans le monde arabe. L’Algérie a été l’un des rares pays restés à l’écart de cette ébullition. Yassine Saâdi évoque avec Le Quotidien la situation dans ce pays.

Comment se présente la situation en Algérie ?

Du recul est nécessaire pour comprendre la situation algérienne. Ce recul nous fait revenir à la date du 11 janvier 1992 et à la décision de suspendre le processus électoral. L’Algérie et ses forces vives avaient deux alternatives. Elles auraient pu soit procéder à la «Gandhi» avec des manifestations pacifiques dans le cadre d’une opposition politique civilisée ou opter pour la violence. Au fait, les initiateurs du coup d’Etat ont favorisé l’option des armes qui a épargné à la fois le régime en place et les forces occultes. Ce déroulement des événements a fait que l’Algérie a perdu 20 ans et 200.000 morts pour se retrouver avec un si piètre résultat.

Quelle serait la meilleure réponse à cette situation ?

Le premier constat qui s’impose, c’est que les politiques n’ont pas encore compris le peuple. Les islamistes se trompent d’époque alors que les libéraux se trompent de lieu. D’ailleurs, ce n’est pas par hasard si les deux tendances s’étaient retrouvées sur les deux bords en 1992. Il y avait les islamistes de Nahnah, des gauchistes et des laïcs avec le pouvoir ; il y avait d’autres islamistes, gauchistes et laïcs en face. Mais l’objet de la discorde ne portait pas sur la crise socioéconomique vécue par la population. Or, nous avions besoin de s’opposer à un régime qui ne reflète pas les réalités contemporaines, aussi bien des intellectuels que celles des couches populaires. Ceci nécessite la synthèse des efforts de toutes les bonnes volontés avec comme objectif, le SMIG dans le respect des libertés, l’alternance, la bonne gouvernance, etc.

Et en termes plus pratiques ?

Le mouvement «Errached» part d’un constat des réalités et d’une expertise économique dans son analyse. Pour ce qui est du constat, ce n’est pas normal que les gens qui sont à l’origine de la crise structurelle n’ont jamais été limogés ou jugés, ils ont juste changé de poste. Mourad Medelsi a fait des catastrophes aux finances et il est passé aux Affaires étrangères. L’Algérie est ainsi devenue un pays mineur à l’échelle régionale. Notre chef des services de renseignements est là depuis 1992. Il a survécu à cinq présidences, 16 Premiers ministres et des centaines de ministres. On sent une absence du sens de l’alternance, en faveur d’un copinage désastreux pour le pays.

Que prône le mouvement «Errached» ?

Nous voulons sensibiliser toutes les bonnes volontés dans une dynamique de changement pacifique, pour aboutir à l’effondrement de tout le système. Toutefois, nous n’avons pas de vocation à gouverner. C’est une alternative à l’islamisme, qui permet à tout le monde de discuter. Nous essayons d’aider les Algériens à prendre leur avenir en main, pour parvenir à un Maghreb pluriel, arabe, berbère et chaoui. Nous sommes convaincus de notre réussite car le Maghrébin est né libre et il le restera. Il faudrait toutefois commencer par tout expertiser. Il n’y a point de légitimité intouchable et il faut s’attaquer à la corruption qui est à l’origine de tous les foyers de tension.

Qu’est-ce que vous avez fait sur cette voie ?

Au départ, en 2005, nous étions censurés car notre critique portait, entre autres, sur les trois sujets tabous constituant des lignes rouges, qui sont l’institution militaire, le rôle des services secrets et la rente pétrolière. En Algérie, c’est permis de critiquer Bouteflika, pas le général Taoufik. Pour outrepasser la censure, nous avions utilisé le Net. Malheureusement, en Algérie, le Net n’a pas encore pris. Nous avons donc pensé à créer une chaîne de télévision «Errached» qui diffuse actuellement sur le canal «El Asr». La télé peut servir dans notre mission de sensibilisation. Par ailleurs, nous pourrons passer ainsi au-delà d’une autorisation administrative. Nous avons déjà plus de 3000 abonnements en Algérie et pas mal d’anciens militants nous ont rejoints, dans notre lutte pour l’égalité, le respect et l’équité.

Vous êtes optimiste ?

Oui, le peuple algérien va réagir. Il ne peut rester en dehors de ce mouvement des peuples contre ces maux qui s’appellent corruption et chômage endémique. Le balancier est en faveur des peuples. Le mouvement est déjà en gestation en Tunisie et en Libye. Les Syriens et les Yéménites ont suivi. L’Arabie saoudite va suivre. Le roi du Maroc a compris et entrepris des réformes. Pour entamer ce processus en Algérie, face à la tyrannie en embuscade, les intellectuels et les militants des droits de l’Homme sont appelés à se mobiliser et à être vigilants pour alerter contre les dérapages. Nous vivons un moment crucial de l’histoire et notre mouvement aboutira.

Interview conduite par Mourad Sellami
Le Quotidien, 3 décembre 2011

Bio express

Yassine Saâdi est un militant algérien des droits de l’homme. Il est installé à Strasbourg en France, où il fait office de consultant international.

Yassine Saâdi est l’un des fondateurs du mouvement «Rached» qui prône un changement radical mais pacifique en Algérie.

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