A la veille de l’aid, le colonel Sadek (Slimane Dehilès) est décédé. L’ancien chef de la wilaya IV historique, et c’est le moins que l’on puisse dire, connaissait un engagement politique précoce. Comme les jeunes de sa génération, il fut contraint d’assumer des responsabilités colossales pour son âge. Né le 14 novembre 1920, aux Ouadhias, il avait eu une adolescence difficile suite à la perte de son père à l’âge de 15 ans. A vingt-et-un ans, il quitta les Ouadhias pour Alger. Là il fut confronté véritablement à la réalité du système colonial. Toutefois, le combat contre ce système fut mis un moment en sourdine pour combattre un système encore plus dangereux, le nazisme. Pour vaincre ce système, Slimane Dehilès s’engagea alors avec les alliés. Dans son périple européen, il a combattu les nazis dans la région italienne de Naples. Dans cette campagne, avec des milliers de ses semblables, ils ont réussi à contribuer efficacement à la libération de la France. Cependant, dans cette période douloureuse, les combattants Algériens étaient presque tous d’accord pour dire que les disparités étaient réduites sous les drapeaux. Mais cette parenthèse fut vite refermée. En effet, la plupart furent désenchantés après le retour à la normale. Lors d’une de ses interviews, Slimane Dehilès revient sur les déceptions concernant le comportement des Français à leurs égards après la fin de la grande guerre : « Subitement, l’attitude de nos officiers avait changé. Il y avait un fossé entre les Français et nous. On ne se connaissait plus. Les Français étaient vexés par le comportement de ces indigènes qui osaient se révolter contre leur autorité. Leur méfiance était telle qu’ils nous ont substantiellement limité les munitions. Le climat de confiance n’existait plus. Quelques temps après, on nous suggère de renforcer le front du Vietnam. Les Algériens dans leur majorité ont refusé et ont été de fait démobilisés ». Après ce retour à la vie civile, ces démobilisés furent à la quête du travail. Plusieurs d’entre eux préférèrent rester en France. Slimane Dehilès fut de ceux-là. Bien que le système colonial ait pour genèse de priver les colonisés de toutes les libertés, en métropole, les Algériens avaient le droit de s’organiser. Ainsi, en assistant à la première réunion avec Messali, le jeune Dehilès fut fasciné par le discours du chef du PPA dissous. Avec la création du MTLD en février 1947, l’activité politique fut plus au moins tolérée. Du coup, de son parcours de militant en exil, Slimane Dehilès eut plusieurs responsabilités au sein de la fédération de France du PPA-MTLD. Cela dit, de cette expérience, il ne gardait pas que des bons souvenirs. Les luttes intestines se multiplièrent à foison. Tout compte fait, le parti qui avait pour mission de libérer le pays s’embourbait dans des crises de leadership.

Par ailleurs, à quelques mois du déclenchement de la révolution, Slimane Dehilès avait purgé une peine de prison pour avoir distribué des tracts subversifs. Cette expérience carcérale le rendit par conséquent méfiant. Cependant, bien qu’il n’ait pas fait partie du comité de préparation de la lutte armée, il rejoignit dès le 2 novembre 1954 les rangs de la révolution. Son sens de l’organisation le propulsa aussitôt à des hautes responsabilités. En compagnie des responsables de la wilaya III, Slimane Dehilès participa à la réunion décisive de juin 1955. Selon le futur colonel Sadek : « En juin 1955, tout le monde se rendit à l’évidence que, pour avoir les armes, il fallait se bagarrer. C’est en tous les cas la conclusion à laquelle nous sommes parvenus à l’issue de la réunion de Beni Douala, qui a regroupé Amirouche, Krim, Mohamedi Saïd, Yazourène, Mira et moi-même. Quelques semaines après, on a agi en conséquence en menant une grande offensive contre l’armée française, au cours de laquelle nous avons réussi à récupérer 1200 armes, 627 millions en argent liquide et 12 millions de cartouches. » Cependant, bien que le colonel Sadek ait eu un grade respectable au sein de l’ALN, sur le plan politique, il fut proche des thèses d’Abane Ramdane et des autres hommes politiques au sein du FLN. En effet, il était partisan de la primauté de l’action politique. Pour lui, les hommes politiques devaient gérer la révolution. Et les militaires devaient s’en charger d’exécuter cette stratégie. Ainsi, lorsque les colonels voulurent revenir sur les principes de la Soummam, lors du CNRA du Caire du 20 au 27 aout 1957, Slimane Dehilès fut d’un soutien indéfectible à Abane. Et l’assassinat d’Abane Ramdane par les 3B, bien qu’Ouamrane et Mahmoud Cherif ne soient disculpés, laissa à Slimane Dehilès un gout amer. En tout cas, avec la disparition d’Abane, il savait que la révolution allait inéluctablement vers une militarisation du système politique algérien. Plus tard, vers la fin de 1959, il s’opposa à l’hégémonie des 3B. Lors de la fameuse réunion des 10 colonels, il était parmi les adversaires de ce triumvirat ayant la mainmise sur la révolution. Hélas, la révolution algérienne n’avait pas de chance. Car, avec l’affaiblissement des 3B, certains attendaient le moment propice pour s’emparer des rennes de la révolution. Ainsi, la création de l’EMG, à sa tête Houari Boumediene, renforçait indubitablement le pouvoir de l’armée sur les institutions politiques. Cette emprise a handicapé bien entendu le pays. A l’indépendance, la défaite du colonialisme n’impliqua pas immédiatement la fin de l’assujettissement des Algériens. Bien que certains aient donné la chance à ce régime en siégeant au parlement, à l’instar de Slimane Dehilès qui fut élu député de Tizi Ouzou, le pouvoir n’a pas joué la carte de la démocratie. Du coup, après l’élaboration de la première constitution en dehors de l’hémicycle, Slimane dehilès s’opposa au coup de force. Membre fondateur du FFS, il s’engagea, aux cotés d’Ait Ahmed et des autres, à combattre l’instauration de la dictature. Après l’arrivée de Boumediene à la tête de l’Etat, suite au coup d’Etat du 19 juin 1965, Slimane Dehilès se retira de la politique. Cela ne l’empêcha pas d’intervenir, à plusieurs reprises, sur les questions inhérentes à l’avenir du pays. Mais dans un système verrouillé, tel celui de notre pays, de tels hommes sont tout bonnement exclus. Et les Algériens sont condamnés à avoir comme chefs des hommes qui ne s’occupent que de leur avenir.

Boubekeur Ait Benali
9 novembre 2011

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