« Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. » (Martin Luther King)

Cher docteur et ex-président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, il y a certains mots qui provoquent le dégout et de graves maux ! En tant que Tunisienne vivant en France, je suis désagréablement surprise et révoltée par votre déclaration au quotidien Le Temps, daté du 26 octobre 2011. Vous dites : « Ce qui m’a étonné c’est le score d’Ennahda. Comment des Tunisiens qui vivent en France, un pays moderniste et laïc, se permettent de voter pour un parti islamiste. Qu’ils viennent vivre ici avec Ennahda. Je crois que Madame Le Pen va appeler à leur expulsion ».

Ce qui étonne, ce n’est pas le score d’Ennahda, ni le choix de vos compatriotes résidant en France, mais votre aveuglement et le mépris envers le peuple dont vous faites preuve ! Cher docteur, l’acte de vote n’est pas un slogan mobilisateur, mais une pièce essentielle du système démocratique, il place le citoyen à la source de la légitimité.

L’élection pour l’assemblée constituante, c’est l’aboutissement de la « révolution du cactus » menée par les « gueux » du bassin minier, les sans-voix qui, par leurs sacrifices, ont ouvert la voie. Votre incompréhension cache en réalité votre désarroi. C’est la preuve tangible que l’élite autoproclamée ne vit pas dans le pays réel ! L’édifice artificiel, bâti sur le mensonge et la terreur, s’est effondré avec la fuite du tyran.

Cher docteur et ex–président de a Ligue de défense des droits de l’homme, votre réaction gomme le principe même de la démocratie, qui met l’accent sur l’esprit de tolérance, le respect de l’autre et de son opinion. Sans vouloir justifier le vote de mes concitoyens, il est facile de l’expliquer.

La France pays moderniste et laïc, votre modèle par excellence, ne méprise pas l’électeur « extrémiste », mais cherche des solutions à ses problèmes, essaie de répondre à ses attentes et d’apaiser ses angoisses ! Nous, citoyens tunisiens résidant à l’étranger, sommes les témoins privilégiés de la mutation des sociétés où nous évoluons, mais nous gardons un œil vigilant sur ce qui se passe chez nous au pays d’origine.

Le repli identitaire, le débat sur la laïcité qui dérape vers une islamophobie nauséabonde, la transhumance des intellectuels vers les sentiers du conservatisme, s’est télescopé avec la thématique imposée par l’élite autoproclamée en Tunisie, donnant l’impression de faire dans le mimétisme culturel.

Le vote pour Ennahda est pour vous l’interprétation de la rupture avec la modernité, cher docteur et ex-président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme ! Il s’avère que la rupture trouve son fondement dans l’acte irresponsable et despotique d’instaurer la présidence à vie par un certain Bourguiba en 1977 ! Cette année-là, il a posé la pierre angulaire sur la quelle il a édifié toutes les injustices et ouvert la voie à l’arbitraire ! Cette année, sans doute une coïncidence hasardeuse, vous étiez à la tête d’une organisation censée défendre mon droit de choisir librement ceux qui me représentent ! Cher docteur et ex-président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, sachez que vos inquiétudes d’aujourd’hui, restent du domaine de l’impression pour ne pas dire du procès d’intention.

Enfin, pour terminer, je me permets en tant que Tunisienne, de vous dire que vos propos ont ébranlé plus d’un, car les mots que vous avez employés à l’encontre de vos compatriotes sont blessants, voire exécrables et que vos idées sont apparemment celles de madame Le Pen et elles sont loin d’être en adéquation avec les valeurs universelles. Si Marine Le Pen a les outils intellectuels pour prendre votre déclaration au second degré, sachez cher docteur et ex-président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, que les sbires abrutis, coutumiers des ratonnades, prendront votre déclaration pour un feu vert… !

J’ose croire que votre déclaration dépasse votre réelle pensée. Sachez cher docteur et ex-président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, que vos inquiétudes d’aujourd’hui étaient mes cauchemars vécus avant un certain 14 janvier, dans l’indifférence totale d’une élite qui en ce moment se délite !

Le vote s’inscrit dans un contexte singulier, c’est l’expression dans les urnes du rejet de la trajectoire historique de la société tunisienne.

Une société ouverte et moderniste ne se décrète pas et on ne l’impose pas ! Les reformes nécessaires et salutaires que le mouvement Ennahda s’est engagé à préserver (nous restons vigilants), ne sont pas considérées par la masse comme le fruit d’un processus pédagogique, mais l’outil de l’oppression.

Cher docteur et ex-président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, le vote en faveur d’Ennahda s’explique aussi par la grande méfiance qui entoure une certaine classe politique « moderniste », concubine de circonstances de la dictature et surtout active dans le polissage de l’image de la Tunisie de Ben Ali! Le doute règne donc quant à la sincérité de jouer le jeu démocratique, et vos déclarations le confirment.

Sondes Saadi-Labidi
Doctorante en sciences historiques et en philologie à la Sorbonne
15 novembre 2011

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