La crise, née de l’arrêt du processus démocratique de décembre 1991, a créé une situation complexe. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle a engendré des difficultés tous azimuts. Et les dangers pesant sur la société, de tous points de vue, furent colossaux. Bien que le peuple algérien ait été habitué à se battre en permanence, il n’en demeure pas moins que le dernier conflit opposait les Algériens entre eux. Les violences qui ont accompagné cette crise furent, dans une certaine mesure, plus amples que lors des résistances contre les étrangers. En tout cas, dans ce genre de conflit, les souffrances sont le lot des citoyens paisibles. Et la décennie noire n’a pas dérogé à cette règle. Sinon comment expliquer que sur près de 200000 morts, les privilégiés  furent quasiment épargnés? Cela dit, les générateurs de conflits savent éviter pour les leurs les drames. S’estimant investis d’une mission de gouverner, les dirigeants sont prêts à employer toutes les méthodes en vue de se pérenniser au pouvoir. Dans cette logique, d’autres dirigeants se trouvant dans l’opposition peuvent procéder de la même façon. Dans ce cas de gestion des affaires du pays par la violence, le recours aux suffrages n’est que secondaire. D’ailleurs ne parle-t-on pas en Algérie des différentes périodes, depuis l’indépendance, en associant un homme à celles-ci ? En effet, de 1962 jusqu’au coup d’Etat de juin 1965, cette période fut associée au nom de Ben Bella. Sollicité  par une armée des frontières à l’apogée de sa force, Ben Bella saisit l’occasion pour devenir le premier chef de l’Algérie indépendante. Néanmoins, sous Ben Bella, le régime dégageait l’impression d’être solide de l’extérieur. Mais, à l’intérieur, il devait composer avec des personnes ayant eu les mêmes ambitions. Toutefois, pour tenter de s’emparer des rennes du pouvoir, Ben Bella s’ingénia, sans vergogne, à concentrer entre ses mains le maximum de pouvoir. L’article 59 de la constitution de 1963 lui donnait théoriquement les pouvoirs convoités. Son pouvoir n’a pas résisté à la bourrasque de son dauphin. Dans cette logique, son successeur, Houari Boumediene, représentant à vrai dire le pouvoir réel sous Ben Bella, refusait uniment  de s’appuyer sur les institutions dans l’exercice de son pouvoir. Hormis un Conseil révolutionnaire coopté, toutes les autres institutions furent mises en sourdine. Ainsi, sur une simple ordonnance du 10 juillet 1965, le régime de Boumediene s’est passé du parlement, de la constitution, de toute élection même préfabriquée, etc. La première, sous Boumediene, eut lieu en 1976, soit onze ans après le putsch du 19 juin 1965.

Cependant, la période où l’Algérie a connu une régression sur tous les plans fut la gouvernance sous Chadli. Désigné par les militaires, ce choix fut catastrophique pour le pays. Chadli fut choisi en janvier 1979 par le congrès du parti. Ce dernier choisit alors l’officier le plus ancien comme seul candidat aux élections présidentielles du 7 février 1979. Avec l’appui de toute l’administration, Chadli obtint aux élections un score de 94% de suffrages, le consacrant président de la République. De ce choix irrationnel, Hocine  Malti écrit: «Aux Tagarins[nom du quartier où est situé le ministère de la Défense], on savait parfaitement qu’il[Chadli] n’était pas esclave du travail et, par conséquent, on exigeait pas beaucoup de lui…De fait, ce sont ses assistants et collaborateurs qui le suppléaient dans l’accomplissement des tâches relevant de sa responsabilité à la tête de la 2eme région militaire. Parmi ces derniers, deux personnages qui joueront des rôles vitaux dans l’Algérie des années 1980, 1990 et 2000: le capitaine Larbi Belkheir, que l’on vit à l’œuvre dès le début et le lieutenant Mohamed Médiène dit «Tewfik», qui apparaîtra plus tard.»Cependant, son départ de la présidence prouve, si besoin est, que sa marge de manœuvre était réduite. En 1992, suite à la victoire du FIS au premier tour des élections législatives, l’armée reprit le pouvoir. Cette reprise fut par ailleurs entachée de plusieurs illégalités. En effet, les militaires convoquèrent le HCS (Haut Conseil de Sécurité), organe placé sous la seule autorité du président de la République, pour donner naissance au HCE (Haut Comité d’Etat). Ce dernier avait pour mission de supplanter le président « démissionnaire ». Soucieux de préserver un simulacre de légalité, le HCE créa une assemblée consultative de 60 membres, appelée le CNT. Ironie du sort : plusieurs de ses membres furent battus, dès le premier tour, lors des « élections propres et honnêtes » promises par le régime. Dans la logique du calendrier, des élections devaient avoir lieu à la fin du mandat du HCE en janvier 1994. Foulant la légalité par terre, les décideurs emmenèrent Zeroual à la tête de l’Etat. Celui-ci n’organisa des élections le consacrant président de la République que près de deux ans après avoir assumé ce poste. Trois ans plus tard, il jeta l’éponge. Voulant sortir avec des honneurs, il s’engagea à organiser des élections anticipées sans fraude. Ce ne fut qu’une poudre aux yeux. Cependant, plusieurs personnalités furent alors appelées à assumer des responsabilités suprêmes. Abdelaziz Bouteflika fut contacté à deux reprises. La première fois en 1994 et la seconde fois en 1999. En 1999, ce fut Larbi Belkheir qui se chargea de la mission de convaincre Bouteflika. Bien que les discussions aient traîné, les deux hommes arrivèrent à s’entendre sur plusieurs points. Pour Hocine Malti: «Il [Bouteflika] s’engagea même à reprendre à son compte, dès son élection, l’accord passé par le DRS avec l’AIS et de le faire approuver par référendum. L’amnistie ainsi accordée aux combattants islamistes et l’absolution des crimes qu’ils avaient commis serait dès lors attribuées à la volonté populaire.»Ainsi, porté au pouvoir par les artisans de l’arrêt du processus démocratique, Bouteflika se trouva dès le départ ligoté. En lançant l’idée d’une réconciliation nationale, il tenta dès 1999 de rassembler les Algériens autour de ce projet. Mais si le peuple avait été réellement associé au projet, son adoption n’aurait pas dû poser problème. Car, sur ce sujet, l’Algérie ne fut pas la seule à y recourir à l’amnistie. Et la définition de la réconciliation n’est pas une acception algérienne. En effet, à différentes périodes, des pays ont recouru à ce genre de politique. Seulement, bien que les cas ne soient pas identiques, la démarche algérienne est alambiquée. En effet, contrairement au Sud-africains, où la population blanche refusait toute émancipation de la population noire ; en Algérie, le régime s’est constitué contre toute volonté populaire. La violence de la crise de l’été 1962peut nous renseigner, si besoin se fait sentir, sur la confiscation du pouvoir par une armée des frontières ne laissant place à aucune expression libre. Toutefois, quand les Sud-africains ont senti l’heure de la réconciliation arrivée, ils ont créé un climat propice pour une telle entreprise. Hélas, en Algérie, les solutions qu’on nous propose répondent à des intérêts particuliers. Dans ce cas, il est difficile d’attendre que la période Bouteflika accouche d’un véritable changement.  La question qui se pose maintenant est la suivante : comment réagiront les Algériens après la fin de l’ère de Bouteflika ? Vont-ils accepter qu’on choisisse pour eux ? Vont-ils se révolter, comme les voisins, pour qu’on respecte leur choix ? Tout compte fait, toutes ces questions ne peuvent pas être écartées d’un revers de la main.

Boubekeur Ait Benali
7 Septembre 2011

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