Depuis qu’il est à la retraite, Nezzar El-Djezzar n’a pas beaucoup d’occasions de tuer. Mais comme il n’aime pas se départir de sa vocation, alors il tue le temps. Quelle ne fut donc pas sa surprise lorsqu’il reçut la semaine passée le courrier suivant sur son adresse email djezzar@nmasakri.com : « Cher Nezzar, passe nous voir vite. La populace s’agite. Tu devras peut-être reprendre du service. Amitiés. Général Touati. ». El-Djezzar ne se fit pas prier. Il enfile son uniforme pas très uniforme car maculé de sang, accroche sa médaille de la Légion du Déshonneur, et fonce dans son char d’assaut T-72 en direction de la Présidence.

En cours de route, il écrase sciemment quelques infortunés piétions, histoire de se remettre dans le bain… de sang. A la vue d’un Nezzar au visage monstrueux, Touati sursauta : « Non frère Nezzar ! Il ne s’agit pas de tirer sur des manifestants désarmés. Enfin pas encore. On voulait juste prendre ton avis sur la réforme de notre système mafieux ».

Très découragé, Nezzar laissa filer : « D’accord, mais tu promets que lorsqu’il s’agira de faire usage des canons de char, tu m’appelleras en priorité ». Touati jura ses grands démons qu’il le ferait sans hésiter.

S’ensuivit alors une séance de « travail » de deux heures, au cours de laquelle, selon les premières indications, personne n’a été assassiné ni torturé. Cela reste bien sûr à vérifier. A sa sortie, Nezzar expliqua aux journalistes ses propositions pour les « réformes politiques » annoncées il y a quelques semaines de voix haletante par M. Aboudsouflika. Voilà ce qu’il avait à dire :

– L’alternance au pouvoir : Il faut une alternance crédible. On a eu un colonel président, et ensuite un général président, je propose donc d’aller de l’avant et de propulser un général-major à la présidence…la cohérence, c’est cela !

– Légiférer par ordonnance : Je ne sais vraiment pas ce que cela veut dire, on me l’a soufflé, et je le répète ici tel quel, sans conviction. Je suis peut-être vieux jeu, mais j’ai toujours pensé que les ordonnances, c’était l’affaire des toubibs. Alors ne mélangeons pas les genres…

– Garantir la liberté de manifester pacifiquement : J’émets une seule condition : la manif doit être exclusivement dirigée contre l’équipe de foot de l’Egypte. Toute autre manifestation sera réprimée dans le sang et je déclarerais immédiatement l’état de siège, la suspension de la constitution, l’ouverture de camps de concentration, la généralisation de la torture, des assassinats pédagogiques, et des massacres collectifs. Que cela soit clair pour tous…

– Limiter le nombre de mandats présidentiels : En particulier, si un président se prend vraiment pour un président et croit pouvoir virer comme ça n’importe quel général, alors il devient impératif non seulement de limiter le nombre de ses mandats, mais surtout de raccourcir son mandat actuel. Deux façons de procéder à mon avis : soit une longue et couteuse procédure de destitution, soit on l’emmène dans un… théâtre à Annaba. Pour des raisons d’économie budgétaire, je pencherais pour la seconde alternative….

Est-ce que vous avez des questions? lança El-Djezzar aux journalistes d’une voix menaçante.

Un journaliste téméraire osa cette interpellation : « M. Nezzar, que pensez-vous de Bouteflika? » El-Djezzar répliqua aussitôt : « C’est un homme cultivé, mais je me demanderais toujours pourquoi il ne va jamais au… théâtre ! »

Mounir Sahraoui
29 mai 2011

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