Introduction du traducteur

Les guerres n’engendrent que malheur et destruction. Le nombre de victimes, de veuves et d’orphelins, conséquence des agressions militaires et de la violence aveugle contre l’Afghanistan, l’Irak et  le Pakistan, est incalculable, et ceci depuis la déclaration de la « guerre contre le terrorisme » par Bush, le 12 septembre 2001.

Dix ans plus tard, un autre président américain, prix Nobel de la Paix de surcroît, nous annonce que « Justice est faite », se référant à la froide élimination d’un homme. Pourtant, la violence ne peut-être juste, ni la mort d’un homme rendre le monde « safer ».

Exécuter de sang froid une personne désarmée, blesser sa femme et traumatiser ses enfants, tel est l’idéal  de justice que nous propose la plus haute autorité américaine, le président Barak Obama, juriste de formation.

Il est certes préoccupant que la « justice » américaine se réduise à éliminer des personnes, sans leur accorder le droit à un jugement en bonne et due forme, ce qui aurait également permis aux parents des victimes du 11 septembre d’interroger les accusés et de comprendre pourquoi leur bien-aimés ne sont plus parmi eux.

Les Nazis responsables des plus grandes atrocités du vingtième siècle, dont  les victimes se chiffrèrent par dizaines de millions, ont eu droit à des procès en règle, à Nuremberg. Pourquoi pas un Arabe ?

Le professeur Chomsky ainsi que de nombreux juristes, enquêteurs, et experts, de même que l’administration américaine, qui ne l’a jamais impliqué auprès de la justice par manque de preuves tangibles, sont convaincus que Ben Laden n’a ni conçu ni participé à la préparation des attentats du 11 septembre 2001.  Pourquoi alors tromper le monde et confondre sciemment justice et vengeance aveugle ?

Abdelkader Boutaleb
Institut Hoggar
11 mai 2011

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Oussama et Obama

J’énoncerai quelques hypothèses sur ce qui s’est passé et je commenterai ultérieurement.

Point No 1 : Oussama est probablement décédé, néanmoins personne ne devrait prendre les paroles de ses assassins pour argent comptant. Une commission indépendante chargée de vérifier l’ADN devrait être formée.

Point No 2 : Si Oussama n’était pas armé dans une chambre à coucher cela signifie qu’il s’agit d’une exécution extrajudiciaire.

Point No 3 : Pour qu’il en soit ainsi, l’autorisation de tuer doit provenir de la plus haute autorité, c’est-à-dire d’Obama lui-même. Cela signifierait qu’il y a un changement de stratégie, de la guerre totale déclarée aux assassinats ciblés, brouillant les rôles supposés bien définis entre le Pentagone et la CIA, et tel que l’on peut le constater au vu des dernières nominations.

Point No 4 : Si l’ordre ne provient pas « d’en haut » mais d’une autorisation générale 007 de tuer, attribuée à l’unité 6 des Seals (phoques)  (NdT : Seals est la contraction de Sea-Air-Land / Mer-Air-Terre), ce serait encore pire : de plus en plus de gangs de tueurs professionnels sont lâchés dans la nature.

Point 5 : Ceux qui célèbrent une exécution extrajudiciaire, ou s’en réjouissent (Merkel) doivent réaliser qu’ils sont en train de légitimer une approche qui pourrait leur être appliquée par quelqu’un  qui pourrait vouloir « se réjouir » tout autant qu’eux.

Point No 6 : Qualifier la réaction occidentale de médiévale etc. est une insulte pour le Moyen-âge. La réaction a un nom : Civilisation occidentale en déclin (et même en déclin rapide), tournant le dos à d’importants acquis – tels que « pas de punition sans jugement », « pas de jugement sans procès », « pas de procès sans droit et audition de l’accusé » – alors que ceux-ci s’avèrent pressants.

Point No 7 : Cela est d’autant plus grave que Ben Laden est accusé d’être le cerveau opérationnel du 11 septembre (9/11) sans preuve, comme cela a été le cas pour les armes de destruction massive (ADM) en Iraq. Le fait qu’il ait approuvé les attentats relève de la liberté d’expression, et non du droit.

Point No 8 : Tuer Oussama ne mettra pas fin a sa cause, la lutte pour l’Islam. Les tueurs ne récolteront que l’effet inverse de ce qu’ils auront souhaité.

Point 9 : Le terrorisme d’Oussama, qu’il provienne d’al Qaeda ou d’ailleurs, le meurtre d’innocents (qui n’ont nullement porté atteinte à l’Islam) est absolument inacceptable du point de vue coranique.

Point No 10 : Obama a largement dépassé George W. Bush, avec ses guerres contre six pays musulmans, en y ajoutant (après l’Afghanistan et de l’Iraq) le  Pakistan, le Yémen, la Somalie et peut-être bientôt la Syrie.

Point No 11 : La violation de la souveraineté pakistanaise de la part d’Obama se retournera contre lui. Ce qui a été dit ne représente nullement une quelconque  justification de la violence d’al Qaeda-Ben Laden ou celle provoquée le 11 septembre (9/11). La première violence, selon les paroles d’Oussama, rentre dans le cadre de la lutte pour l’Islam, la seconde s’inscrit dans la lutte contre les manifestations économiques et militaires de l’empire américain. Comment les auteurs du 9/11 raisonnaient  n’est certainement pas un secret pour la  CIA ou pour le FBI; il est évident qu’ils abhorraient l’activité militaire-économique américaine. Par contre les réflexions d’Oussama sont disponibles pour n’importe quel « expert » (voir l’ouvrage édité par Bruce Lawrence « Messages to the World – The Statements of Osama Bin Laden » (Verso, 2005):

« C’est une des batailles de l’Islam eternel » (24 septembre 2001)

« Ce que l’Amérique ressent aujourd’hui n’est qu’une fraction de ce que nous endurons depuis des décennies. Pendant plus de quatre-vingts ans notre Oumma a subi humiliation et  mépris. » (7 octobre 2001)

La rhétorique d’Obama est également attrayante, bien que son action le soit moins; nous devons néanmoins considérer les deux (rhétorique et action) pour tous les deux (Obama et Oussama). Juger l’un (Obama) selon la bonne rhétorique et l’autre (Oussama) par la mauvaise action relèverait d’immaturité, bien que celle-ci ait été véhiculée par « les experts » au niveau des medias dominants.

Il n’est guère surprenant qu’ils aient eu besoin de 10 ans pour le retrouver. D’une organisation qui n’a pu prévoir la bombe thermonucléaire soviétique, le Spoutnik, le mur de Berlin, les missiles à Cuba, l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie et la fin de la guerre froide, il est permit de déduire que : le C pour Centrale, certainement; le A pour Agence, sans doute ; le I pour Intelligence, intelligente, alors là, pas du tout.

Personne, mis à part les USA, n’est surpris du fait que le Pakistan,  pays musulman dont des frontières coloniales artificielles de type Durand le séparent de l’Afghanistan et dont l’élite gouvernementale occidentalisée, ait  joué un double voir un triple jeu ; les Etats-Unis tombant dans leur propre piège.

C’est une culture profonde, et non l’intelligence, qui dirige ce malheureux spectacle. Ajoutez l’ignorance d’Obama en matière d’affaires étrangères (The New Yorker, 2 mai 2011) et nous nous retrouvons face à une victime de forces des ténèbres faible et loquace.

La réaction du côté Osama est prévisible (Centre International pour l’Etude de Radicalisation et la Violence Politique, ICSR du 6 mai 2011) :

« Les membres d’al Qaeda promettent l’amplification de leurs attaques dont les conséquences seront telles que “même les cheveux des nourrissons deviendront gris” et demandent aux Pakistanais de se soulever contre leur gouvernement. »

« Les Américains sont-ils en mesure d’éliminer ce dont Cheikh Oussama a vécu et a lutté pour, même avec tous leurs soldats, intelligence et agences ? Jamais ! Jamais ! Cheikh Oussama n’a pas conçu et bâti une organisation qui disparaîtrait avec sa mort – si la lumière de l’Islam et le jihad devaient disparaître par le meurtre ou la mort d’une seule personne, elle aurait disparu à la mort du Prophète Mohammed – Par contre les attaques les ont plutôt enhardis – portant à bout de bras et bien haut l’emblème de la vérité. »

Le récit d’al Qaeda, bien que pouvant être perçue comme menaçante et inacceptable est néanmoins cohérente. Celle de Washington ne l’est pas ; elle ne cesse de changer, jour après jour, heure après heure, blâmant le brouillard de la guerre, omettant d’avouer que le brouillard en fait réside dans les esprits des comités qui composent ces histoires. John Brennan est présenté comme le principal expert en « contre-terrorisme »; si sa version reflète son niveau intellectuel, il serait plus adéquat d’utiliser, a son propos plutôt le terme de « contreproductif ». Cela ne signifie pas que leurs récits mèneront à la vérité.

Existe-t-il une voie de sortie ? On aurait souhaité qu’Oussama envoie des milliers de femmes musulmanes vêtues de noir, parmi lesquelles des centaines entoureraient chacune des ambassades américaines, et requerraient, de manière non-violente, le dialogue. On aurait souhaité que l’empire américain, dont Obama est l’actuel administrateur, soit ouvert au dialogue et à la résolution des conflits. Mais Obama est aussi loin de la résolution des conflits qu’Oussama de la non-violence. Le président serbe Milosevic a voulu dialoguer, le président iranien Mohammad Khatami a voulu dialoguer, le président irakien Saddam Hussein a voulu dialoguer a travers ses quatre propositions de paix. Le leader libyen Kadhafi veut un cessez-le-feu accompagné d’un dialogue. Qu’en est-il de Washington ? Là-bas, ils ne veulent qu’une chose : le changement de régime, se débarrasser de la personne qu’ils ont au préalable démonisée au point qu’ils pensent que sa disparition de la scène équivaut à une résolution du conflit. Ils présentent un tel plat mijoté à des médias obéissants et à un public américain qui prie avec ferveur : « Donnez-nous aujourd’hui nos mensonges quotidiens ! »

Et pourtant, il y a deux voies pour la paix. L’une consiste à leur refuser tout soutien, à les isoler dans leur violente insanité ; pas d’alliés. Et l’autre consiste à reconsidérer le passé, et tout particulièrement les 27 agressions occidentales contre l’Islam depuis 1830 [i], en cherchant une forme de réconciliation. Il est peu probable que cette initiative se fasse à partir des bastions de l’arrogance occidentale, mais peut-être à partir d’autres.

Hypothèse plausible: Cheikh Oussama continuera à vivre dans l’esprit des gens longtemps après que le président Obama ait été oublié. Les deux sont extrêmement violents, tuant des civils en masse, doués en rhétorique, intelligents, attrayants et beaux. Mais l’un est du côté de l’Histoire, défendant bien que de manière inacceptable, ceux qui ont été injustement opprimés, tandis que l’autre luttant pour les oppresseurs injustes, pour un empire moribond, et contre l’Histoire.

Johan Galtung
9 mai 2011

[i]. 50 Years: 100 Peace & Conflict Perspectives, TRANSCEND University Press, 2008, Ch. 88; from www.transcend.org/tup.

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Osama et Obama

Some statements about what happened; then their elaboration:

[1] Osama is probably dead, but nobody should take the killers’ word for it. An independent commission with DNA evidence is indispensable.

[2] If Osama was unarmed in a bedroom this is extrajudicial execution.

[3] For that the license to kill has to come from very high quarters, meaning from Obama himself. The implication is a shift in strategy from general overt warfare to covert targeted killing, blurring the line between Pentagon and CIA, as seen by recent appointments.

[4] If there was no such license from above but a general 007 license to kill given to Unit 6 of the Seals (Sea-Air-Land), the situation is even worse: more roving gangs of professional killers are let loose.

[5] Those who celebrate extra-judicial execution, are “glad” (Merkel), might contemplate that they are legitimizing an approach that may be applied to themselves by somebody who also might like to be “glad”.

[6] To refer to the Western reaction as medieval etc. insults the Middle Ages. The reaction has a name: Western Civilization in decline (even rapid decline), leaving behind important achievements–like no punishment without sentence, no sentence without trial, no trial without law and hearing the accused–when they are most called for.

[7] This becomes even worse when bin Laden is accused of being the operational mastermind of 9/11 with no proof, like for WMD in Iraq. His endorsements fall under Freedom of Expression, not under Law.

[8] Killing Osama does not kill his cause, the struggle for Islam. The killers will harvest the exact opposite of what they hoped.

[9] Osama’s terrorism, Al Qaeda or not, killing those innocent of trampling on islam is totally unacceptable also from a Qur’anic angle.

[10] Obama has now left George W. Bush behind, at war with six muslim countries, having added Pakistan, Yemen, Somalia. Syria next?

[11] Obama’s massive violation of Pakistan sovereignty will backfire. What has been said is no defense for Al Qaeda-bin Laden violence; nor of 9/11. The former, in the words of Osama is struggle for islam, the latter is struggle against economic and military manifestations of the US empire. How the authors of 9/11 were thinking is under FBI-CIA wraps; they evidently hated US economic-military activity. But Osama’s thinking is available to any “expert” in Bruce Lawrence ed. Messages to the World-The Statements of Osama Bin Laden (Verso, 2005):

“This is one of the battles of eternal Islam” (24 Sep 01).

“What America is tasting today is but a fraction of what we have tasted for decades. For over eighty years our umma has endured this humiliation and contempt”(07 Oct 01).

Obama’s rhetoric is also attractive; the action less; we must focus on both for both. To judge one by good rhetoric and the other by bad action is immaturity, carried by “experts” on mainstream TV.

That they needed 10 years to track him down is no surprise. Of an organization that failed to foresee the Soviet thermonuclear bomb, the Sputnik, the Berlin Wall, the nukes in Cuba, the Soviet invasion of Czechoslovakia and the end of the cold war, one might conclude: Central, Yes; Agency, Yes; Intelligence, intelligent, certainly No. That Pakistan, a muslim country with artificial Durand type colonial borders to Afghanistan and a Western elite government plays a double, triple game surprises nobody except the USA falling into its own trap. The deep culture, not intelligence, is running this miserable show. Add Obama’s ignorance of foreign affairs (The New Yorker (02 May 11) and we have a weak, talkative victim of very dark forces for our eyes.

The reaction from the Osama side is predictable (ICSR-The International Centre for the Study of Radicalization and Political Violence, 06 May 11):

“Al Qaeda members promise a series of further attacks which ‘will even make the hair of babies turn grey’, and call for Pakistanis to rise up against their government”.

Are the Americans able to kill what Sheikh Osama lived and fought for, even with all their soldiers, intelligence and agencies? Never! Never! Sheikh Osama did not build an organization that would die with him, nor would end with him.–If the light of Islam and jihad could disappear with the killing or death of just one person, it would have gone the day Prophet Mohammed died–instead they were emboldened by the attacks–holding the flag of truth in their hands…”

The Al Qaeda story, threatening, bad, at least hangs together; Washington’s not. It is changing by the day, even by the hour; blaming the fog of war, not the fog in the minds of the committees composing those stories. John Brennan is billed as the leading counter-terrorism expert; if his version reflects his intellectual level, it is small wonder that counter-productive is a better term. This does not mean that their narratives will converge toward truth.

Is there any way out of this? One could wish that Osama had sent thousands of muslim women dressed in black, hundreds of them surrounding each US embassy demanding, nonviolently, a dialogue. One could wish that the US empire, of which Obama is the current administrator, were open to dialogue and conflict resolution. But Obama is as far from that as Osama from nonviolence. Serbia’s Milosevic wanted dialogue, Iran’s Mohammad Khatami wanted dialogue, Iraq’s Saddam Hussein wanted dialogue about his four peace proposals, Libya’s Gaddafi wants ceasefire with dialogue. And Washington? They want one thing: regime change, getting rid of the person they have demonized to the point that they think his disappearance from the scene is identical with conflict resolution. They feed that dish to obliging media and a US public praying “give us today our daily lies”.

And yet there are two roads to peace. One passes through denying them support, isolating them in their violent madness; no allies.

And the other passes through the past, the 27 or so Western attacks on Islam after 1830[i], reconsidering, reconciling. Unlikely from the bastions of Western arrogance, but possible maybe from others.

An educated guess: Sheikh Osama will live on in the minds of people long after President Obama has been forgotten. Both extremely violent, killing civilians en masse, rhetorically gifted, intelligent, attractive, handsome. But one is on the side of history, fighting, however wrongly, for the wrongfully suppressed, and the other for the wrongful suppressors, for a dying empire, against history. Sic transit.

Johan Galtung
9 May 2011

Note:

[i]. 50 Years: 100 Peace & Conflict Perspectives, TRANSCEND University Press, 2008, Ch. 88; from www.transcend.org/tup.

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