L’échec de la coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) devait être une occasion, à ses promoteurs, de se remettre en question. A défaut d’un tel travail sur soi, il fallait en moins tirer les enseignements idoines. En effet, un déficit de crédibilité a incité les Algériens à ne pas répondre à leurs appels successifs. Bien que le blocage des voies menant à Alger soit effectif, il n’en reste pas moins que l’échec de cette organisation, en raison de la présence de quelques partis en son sein, est patent. Dès le départ, la question qui fut posée est de savoir si la place du 1er mai pouvait ressembler à la place Al-Tahrir du Caire. La réponse est sans appel : la différence est difficile à faire bien que la répression, qui s’en est suivie ici et là, ait été la même. En effet, depuis le début de la contestation égyptienne, la place Al-Tahrir fut encerclée par les forces de police. Et les passages furent surveillés et filtrés. En revanche, cela n’a pas empêché les Cairotes de rejoindre le lieu de la contestation. En Algérie, dans toutes les manifestations, depuis le 21 janvier 2011, le nombre de policiers dépasse celui des manifestants. Du coup, la raison ne peut être expliquée que par le manque de confiance que suscitent les initiateurs de la manifestation. Cela dit, la présence de maitre Ali Yahia Abdenour laisse pantois. Militant invétéré, il fut de tous les combats, menés parfois contre vents et marées dans les années 1990. En tout cas, en d’autres circonstances, ses appels auraient été bien accueillis.

Cependant, depuis peu, les éradicateurs optent pour une tactique machiavélique. Ne voulant pas se remettre en question, ils expliquent leur échec par l’initiative d’Abdel Hamid Mehri, soutenue par Hocine Ait Ahmed. Or, ces éradicateurs cherchent-ils au fond le changement profond ? Pas si sûr. Les éradicateurs, et cela est un secret de polichinelle, ne s’opposent à Bouteflika que pour renforcer le pouvoir concurrent. Car, selon Mohamed Benchicou, la stratégie de Bouteflika est de mettre en œuvre la plateforme de Sant ‘Egidio. Cela suffit à employer tous les moyens en vue de le discréditer. Heureusement, la caste militaire, écrit-il, bloque cette initiative. Partant, tout est dit. Tout compte fait, les citoyens ne sont pas dupes. D’ailleurs, dès la connaissance du différend opposant Bouteflika au chef des services secrets, le général Toufik, les éradicateurs ont pris cause et fait pour ce dernier. Mais les Algériens veulent-ils forcément se positionner par rapport à un clan du pouvoir ? Ce qui est évident c’est que les Algériens espèrent sortir de cette situation de déni systématique de leurs droits. En effet, bien que la société soit lasse des violences des années de braises, l’engouement suscité par les révolutions nord-africaines renseigne, si besoin est, sur le désir de changement en Algérie. Mais comment peut-on prétendre incarner le changement si le choix des Algériens n’a pas de chance d’être entériné? En effet, on a assisté, par le passé, à ce genre de situation. Précisément, en 1992. Bien que l’éventuelle tricherie du vainqueur doive être prouvée et condamnée par la loi, les amis de Benchicou ont appelé, tout bonnement, à l’arrêt du processus démocratique. Ainsi, tout en étant prêts à apporter le soutien indéfectible au régime opaque en cas de la moindre difficulté, les éradicateurs se mettent en avant pour réclamer le seul changement du locataire d’El Mouradia. Or le peuple algérien ne cherche pas à sauver ni l’un ni l’autre. Il cherche avant tout à se réapproprier son droit d’exister politiquement.

Mais pour les éradicateurs, tout ce qui peut symboliser cette dynamique est combattu. Dans les colonnes d’un quotidien national, Benchicou écrit: «Il y eut l’irruption d’un homme : Hocine Aït Ahmed, le fondateur du Front des forces socialistes, qu’on dit adversaire acharné de la caste militaire et infatigable partisan de la réconciliation avec les islamistes. De son exil suisse, Aït Ahmed saisit immédiatement après la chute de Ben Ali et les premiers affolements de Bouteflika, les conséquences catastrophiques qu’aurait un départ du président algérien : ce serait la fin du projet de «réconciliation» caressée depuis Sant ‘Egidio ; le tête-à-tête insoutenable avec les généraux ; l’émergence d’une Algérie nouvelle à la construction de laquelle les islamistes et les «réconciliateurs» n’auraient pas pris part et dans laquelle, craint-il, les généraux continueraient d’exercer le pouvoir.»

Du coup, en faisant peur aux Algériens, les éradicateurs avertissent qu’un choix libre des citoyens risque d’embarrasser le pouvoir réel. Mais, en ne réussissant pas à convaincre les Algériens, ils discréditent toute autre dynamique. Car le rejet de la plateforme de Sant ‘Egidio reste le point sur lequel se joignent tous les éradicateurs. En effet, bien que des divergences existent dans leur camp, l’empêchement de l’instauration de la République démocratique les soude. Pour que le lecteur ne soit pas perdu, il faut rappeler que la plateforme de Sant ’Egidio fut adoptée par des partis politiques réunissant plus de 90% de suffrages le 26 décembre 1991. La décision primordiale, entérinée ce jour-là à Rome, fut le bannissement à jamais de la violence dans l’exercice du pouvoir ou pour y parvenir. Voici quelques mesures contenues dans l’article 1 de la charte:

« — le rejet de la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir.

— le rejet de toute dictature quelle que soit sa nature ou sa forme, et le droit du peuple à défendre ses institutions élues.

— le respect et la promotion des droits de la personne humaine tels qu’énoncés par la Déclaration Universelle, les pactes internationaux sur les droits de l’homme, la convention internationale contre la torture et consacré par textes légaux.

— le respect de l’alternance politique à travers le suffrage universel.

— le respect de la légitimité populaire. Les institutions librement élues ne peuvent être remises en cause que par la volonté populaire.

— la primauté de la loi légitime

— la garantie des libertés fondamentales, individuelles et collectives quels que soient la race, le sexe, la confession et la langue.

— la consécration du multipartisme.

— la non implication de l’Armée dans les affaires politiques. Le retour à ses attributions constitutionnelles de sauvegarde de l’unité et de l’indivisibilité du territoire national.

— les éléments constitutifs de la personnalité algérienne sont l’Islam, l’arabité et l’amazighité; la culture et les deux langues concourant au développement de cette personnalité doivent trouver dans ce cadre unificateur leur place et leur promotion institutionnelle, sans exclusion ni marginalisation.

— la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

— la liberté et le respect des confessions.»

Cependant, après les explications de Mehri, dans une conférence de presse, tenue au siège du FFS, la stratégie des éradicateurs est mise à nue. La différence entre les éradicateurs et les réconciliateurs se situe dans la détermination des uns de faire couler le sang des Algériens et la volonté des autres de faire de l’Algérie un pays où l’apaisement sera sa pierre angulaire. Toutefois, bien que Mehri reconnaisse sa volonté de travailler avec Hocine Ait Ahmed, il nie, de façon catégorique, la démarche que lui reprochent les éradicateurs. Il ne se serait pas entendu avec le président du FFS en vue de sauver Bouteflika. Selon lui, «Ce n’est ni moi ni Ait Ahmed qui allons sauver le régime… Je tiens à ce que mes positions soient claires et publiques. Je crois que les questions d’intérêt général n’ont pas de secret et se règle devant l’opinion publique.» En somme, il existe une autre différence entre eux. Ils divergent sur la façon d’envisager la résolution de la crise. Contrairement aux partisans de l’éradication qui rencontrent le chef des services secrets en vue d’évaluer la situation du pays, Abdel Hamid Mehri reconnaît que si une telle rencontre devait avoir lieu avec le chef de l’État, celle-ci serait publique.

Finalement, il est clair que les éradicateurs ne souhaitent pas la fin du régime hérité de la crise de l’été 1962. Dans leurs différentes marches, du 21 janvier à nos jours, les slogans sont pour la plupart « Bouteflika dégage ». Est-ce suffisant ? En tout cas, les Algériens demandent plus que ça. Selon Mehri, l’Algérie a vécu un cas similaire sans que la situation ne soit changée dans le fond. De l’avis de l’ancien secrétaire général du FLN, présent à Sant ‘Egidio, il faudrait privilégier le changement du système au lieu de se focaliser sur le départ de Bouteflika : « Cela ne sert à rien. Au début des années 1990, des voies s’étaient levées pour exiger la démission de Chadli Bendjedid. Chadli est parti et le régime est resté. » Au fond, la stratégie des éradicateurs n’était-elle pas de sortir les premiers, en sachant qu’ils n’auraient pas été suivis, pour imposer leur revendication ? Si tel est le cas, ils ont réussi à empêcher la révolution semblable à celles de la Tunisie ou de l’Egypte.

Boubekeur Ait Benali
17 mars 2011

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