La jeunesse algérienne vit, ces dernières années, dans une situation de marasme abyssal. Elle est probablement l’une des situations les plus  alambiquée que l’Algérie ait connue. Bien que le pays soit très riche, sa jeunesse est soumise à des formes d’injustices et d’humiliations intenables. Et face au système politique inique, deux phénomènes au moins ont fait, ces derniers temps, leur apparition: la Harraga et l’immolation par le feu. Par ailleurs, le hic, en Algérie, c’est que ces injustices ne peuvent même pas être décriées. En effet, le pouvoir algérien, depuis la promulgation de l’état d’urgence, n’autorise aucune manifestation pacifique à Alger. Et le verrouillage du champ politique, et c’est le moins que l’on puisse dire, a atteint son paroxysme avec l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir. En effet, les libertés politiques sont tout bonnement mises en sourdine. Cette façon de gérer les affaires du pays a engendré deux injustices majeures: le régime ne résout pas les problèmes du peuple et il ne le laisse pas les revendiquer. Or le peuple algérien, contrairement à ce que l’on puisse penser de lui, est un peuple qui apprécie la liberté et son indépendance, et ce quelle que soit l’emprise. Et si celles-ci n’étaient pas effectives en Algérie, il faudrait chercher les raisons ailleurs. En effet, les événements, qu’ont vécu les Tunisiens et les Égyptiens, ont été suivis, avec intérêt, par le peuple algérien. Incontestablement, il a partagé sans ambages leur combat. Mais chaque peuple a ces spécificités.

I) Le cas algérien

Les Algériens ont cassé le carcan dés octobre 1988. Le pays a vécu les trois années [1989-1992] les plus libres depuis son indépendance. Hélas, cette parenthèse fut fermée un certain 11 janvier 1992 par un coup d’État. Ce constat n’est pas partagé par l’ensemble des Algériens. Et l’interrogation qui demeure d’actualité est de savoir si le parti vainqueur à ce moment-là pouvait être le véritable protecteur de toutes les libertés du peuple algérien? En tout cas, si la question reste discutable, on ne pourra pas dire autant du verrouillage du champ politique depuis l’arrêt du processus démocratique. En tout cas, ce coup de force a conduit inévitablement à la suspension de tous les acquis où les vainqueurs à cette élection n’auraient pas fait pire. Tout compte fait, cette politique ne suscite plus l’adhésion du peuple. Au faîte de sa puissance, avec des réserves de change atteignant les 150 milliards de dollars, le régime n’a réuni entre 20 et 30% de votants lors de la dernière élection présidentielle. En revanche, cette politique du régime a engendré des situations dévastatrices: Corruption généralisée, censure, enrichissement injustifié d’une infime catégorie de la société, la paupérisation de la classe la plus vulnérable, etc. Et l’exacerbation du contrôle de la société pousse les jeunes, environs 500 par mois, à quitter le pays en risquant leur vie dans les eaux méditerranéennes. D’autres téméraires essayent sporadiquement de braver la peur en sortant dans la rue. Les estimations font état de prés de 10000 émeutes en 2010. Du coup, on peut dire que les ingrédients d’une explosion sociales sont réunies depuis quelques mois déjà. En effet, elle fut bien marinée bien avant les révolutions tunisienne et égyptienne. Surtout, les deux révolutions sont menées par une jeunesse que rien ne différencie de son homologue algérienne. D’où l’interrogation suivante: pourquoi ces révolutions ont-elles pu réussir alors que cette perspective est difficilement envisageable en Algérie? Ailleurs, ces jeunesses assoiffées de liberté n’ont pas confié leur avenir à des appareils politiques désuets. Dans ces deux pays, les militants se sont fondus dans la masse. Or, en Algérie, l’entrée en lice des partis a inévitablement dissuadé les jeunes. Les échecs des marches du 22 janvier et du 12 février sont la preuve que la révolution est une affaire dépassant amplement les partis.

II) Que faire ?

Le peuple doit, et ceci est une évidence, prendre son destin en main en dehors de toute manipulation. Il doit réclamer le droit à la liberté et la bonne gestion de ces deniers. Pour ce faire, il ne faudrait pas qu’il attende une recette miracle survenant ex nihilo. Cependant, la désaffection du peuple, tout à fait justifiée, à l’appel de la coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) ne doit pas l’empêcher de penser à son avenir. En dépit du rejet de la dictature en place[ du commandement militaire à la présidence], il n’en demeure pas moins quele peuple ne veut pas non plus adhérer à la stratégie des partis ne se démarquant pas totalement du régime, érigé depuis un demi-siècle. Or, un parti de la coordination siège encore au parlement et son président rencontre le chef du DRS en vue d’évaluer la situation du pays.

Cependant, tant que le peuple n’est pas sûr d’être maître du mouvement, la place du 1er mai ne se transformera jamais en la place Al-Tahrir. En effet, bien que la ressemblance entre les deux régimes soient identiques, force est de constater que le peuple algérien ne s’est pas reconnu dans les partis qui l’ont appelé à sortir, le 12 février, dans la rue. Malgré la faiblesse de la participation, le régime a fait appel à ses relais. Ces derniers n’ont pas hésité à se focaliser sur la présence d’Ali Belhadj, ancien dirigeant du FIS dissous. Un journal à la solde du pouvoir a eu le culot de se demander pourquoi les manifestants n’avaient-ils pas renvoyé illico facto cet encombrant militant. Or une révolution populaire n’exclut personne. Mais elle ne laisse personne la manipuler. L’exemple égyptien est à ce titre édifiant. Les Frères musulmans ne sont acceptés qu’à titre de citoyens et non de militants. D’ailleurs, doit-on hypothéquer notre liberté à cause de la participation d’autres Algériens prônant des solutions radicales soient-elles ? Dans une interview au journal la Croix, Lahouari Addi souligne en répondant à la question sur les craintes d’une récupération des islamistes: «Ce sont les régimes autoritaires qui sont à l’origine de la radicalisation d’une frange islamiste. Quant aux autres, ils ont évolué et joueront pour la plupart le jeu du changement. Les conditions politiques et idéologiques sont réunies pour la démocratie arabe. L’heure est à plus de vigilance car les prédateurs ne lâcheront pas prise de sitôt, pour laisser se défaire leurs intérêts mal acquis, leurs privilèges et leur pouvoir. Ils doivent surtout compter sur eux-mêmes. Ils sont les seuls à voir mieux ce qui les arrange sans se laisser guider par des milieux dont les travers à se mêler des affaires des autres mènent au désordre ou, au mieux, à une démocratie “conditionnelle”.» (1)

Pour conclure, en Algérie, la mobilisation réussirait si l’initiative venait de la jeunesse souffrante. Or, on le constate bien que la rue algérienne n’est pas prête de rééditer les exemples tunisien et égyptien. Les initiateurs ne rassurent pas le peuple. Car quelques-uns sont connus pour leurs positions anti démocratiques antérieures. Car au delà du dispositif sécuritaire à Alger, le manque d’engouement à l’échelle nationale prouve que les chances d’aboutissement sont infimes. Au lieu de tirer cet enseignement, la coordination renouvelle l’appel pour le samedi 19 février 2011. Sur les enseignements à tirer, un observateur de la scène politique les résume comme suit: «Comment un jeune qui n’a jamais croisé ce même député « marcheur du 12 février», dans un bus ou dans une bousculade à la mairie pour obtenir le fameux S12, peut-il croire en celui-ci. Comment un salarié qui n’a pas eu l’occasion, une fois dans sa vie de se frotter, voire de discuter avec ce député à la Poste lorsqu’il va chercher son smic de subsistance. Leurs salaires ne sont pas pareils, leurs mondes sont tout aussi décalés. Comment espérer séduire la foule, quand on pause en smoking avec BHL au Festival de Cannes, alors que des jeunes se noient par centaines dans la méditerranée.» (2)

En somme, la condition sine qua none d’un large rassemblement national se réalisera lorsque le militant aura choisi d’être avant tout citoyen. A ce moment-là, la révolution aura toutes ces chances d’aboutir.

Boubekeur Ait Benali
15 février 201

Notes de renvoi :

1. Interview du 12 février 2011, journal la Croix.
2. Redwane N, Algérie Focus, 13 février 2011.

2 commentaires

  1. La Révolution!!!
    Cher Monsieur,

    La révolution en Algérie a eu lieu en 1954 grace à des hommes et des femmes qui ont vécus et connus la misère et les injustices et mépris causés par le joug colonial, ces gens là ont décidés un jour au nom de Dieu de mettre fin à cette colonialisme qui s’est acharné sur notre pays afin de le piller de toutes ces richesses.

    Le peuple Algérien à certes besoin de beaucoup plus de liberté et de justice et d’une vie meilleure, mais pour avoir tout cela il y a plusieurs moyens à utiliser, tous sont bon sauf la violence. Alors, s’il vous plait, arrêter d’inciter les Algériens à se révolter alors que vous, vous êtes pratiquement tous installés à l’étranger avec cos familles.
    Un proverbe dit « A bon entendeur salut ».

    • Réponse à Zatout
      A monsieur Zatout Ali!
      Je vous confirme d’emblée que je ne suis pas partisan de la violence et je ne le serai jamais. Ce qui s’est passé en 1954 est certes une révolution, mais le moyen d’y parvenir fut dés le départ le recours aux armes. Or, dans mon texte, je ne fais aucune allusion aux armes. Ce que toi tu nommes changement en citant un par un les éléments à changer, moi je les appelle révolution. Car la définition de la révolution n’est rien d’autre que de changer le système en place. Le but est que tout le monde bénéficie d’un même système favorable aux libertés individuelle et collective. Encore une fois, on peut vouloir le changement dans son pays sans qu’il y ait pour autant effusion de sang. Depuis 1992, je m’inscris en faux contre toute utilisation de la violence. Le sang des Algériens doit tout simplement cesser de couler. Donc, cher monsieur, il est inutile de faire des faux procès. Et là où le vrai algérien se trouve, il doit aimer son pays. Sur ce point précis, je suis en adéquation avec ma conscience.

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