L’auteur de « Grèves et conflits politiques en Algérie », Amar Benamrouche, a présenté son livre, hier, à Toulouse. La rencontre a lieu à la pizzeria, place Belfort, chez Zoubir et Hafid. Cette dernière est fréquentée notamment par la communauté algérienne fortement présente dans la ville rose.

D’emblée, le conférencier explique sans ambages le rôle du mouvement syndical. Car, estime-t-il, les mouvements sociaux structurent indubitablement les sociétés. Bien qu’il y ait un conflit latent en Algérie, Amar Benamrouche admet que la population algérienne a encore un grand rôle à jouer. En dépit du rôle néfaste des médias occidentaux présentant la situation en Algérie comme étant une bipolarisation entre le régime et les islamistes, la réalité c’est que la société n’a jamais cessé d’exprimer ses mécontentements. Même au sein du régime, argue-t-il, il y a des personnes qui aimeraient voir leur pays s’épanouir. Fait-il allusion aux réformateurs ? Sans doute.

Cependant, son livre est scindé en quatre périodes distinctes. Chacune contient environ une décennie. Pour le conférencier, à l’indépendance de l’Algérie, la politique d’autogestion inhiba toute forme d’expression syndicale contestataire. Car le syndicat unique, en l’occurrence l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens), avait pour ambition de rassembler toutes les tendances issues de l’avant guerre. Il s’agit bien sûr de l’USTA messaliste et de l’UGSA communiste. En fait, il précise que cette emprise du régime sur le mouvement syndical remonta au premier putsch syndical de septembre 1962. Le prolongement de cette mainmise fut ressenti dans les entreprises par le contrôle direct des directions par le pouvoir. Ce fut les fameux yeux de la sécurité militaire dans les entreprises.

Toutefois, en mars 1965, Ben Bella lâcha du lest et rectifia le tir, argue-t-il, en convoquant le congrès de l’UGTA. Il désigna à la tête de la centrale syndicale, à la fin des travaux du congrès, le communiste Mouloud Oumeziane. Hélas, cette infime ouverture ne dura pas très longtemps. Car dés la prise du pouvoir par Boumediene, suite au coup d’Etat du 19 juin 1965, il y eut une interdiction formelle de toute manifestation contestataire à tout niveau que ce soit. Dans l’esprit du président du conseil de la révolution, renchérit-il, « l’autogestion est une anarchie » à laquelle il fallut remédier. Du coup, il prôna ni plus ni moins qu’une étatisation de l’économie nationale. Mais en 1966, soit une année après le putsch, Boumediene sollicita le soutien de l’UGTA en convoquant personnellement les responsables de la centrale syndicale. Par la suite, bien que Boumediene ait bénéficié d’un large soutien – beaucoup l’eurent fait pas crainte–, les récalcitrants furent tout bonnement châtiés. Cette politique de répression aveugle dura jusqu’à la fin de l’année 1969, dit-il.

Les années 70 furent par ailleurs inaugurées par une nouvelle politique nationale. Elles furent marquées, selon le conférencier, par la mise en place d’une politique sociale consistant à garantir la gratuité des soins aux Algériens. Cette mesure s’accompagna par un large consensus national. Pour autant, les travailleurs ne cessèrent pas de revendiquer l’amélioration des conditions de vie de leurs concitoyens comme le prouvèrent les mouvements de contestation de 1977à 1979. Néanmoins, la disparition de Houari Boumediene en décembre 1978 déboucha sur le débrayage dans la lutte syndicale. Ce fut en quelque sorte une période de répit. Celle-ci ne fut pas non plus de longue durée. Car la nouvelle ère, où Chadli Bendjdid fut nommé à la tête de l’Etat, ne fut pas une sinécure pour le mouvement ouvrier. Au contraire, d’autres revendications ont été mises en exergue. Le conférencier cite pour exemple le printemps berbère qui, d’après lui, posa en plus de la revendication identitaire des réformes d’ouverture politique. Il rappelle que les syndicalistes furent partie prenante de ces manifestations. Il fait allusion aux ouvriers du complexe d’Oued Aissi et de Draa Ben Khedda. Suite à cela, plusieurs régions suivirent la Kabylie. Les manifestations les plus violentes furent enregistrés à Oran, Saïda, Laghouat, et enfin, Constantine et Sétif en 1986. Ces contestations connurent leur apogée en 1988. Elles se terminèrent par les concessions du régime tolérant désormais le pluralisme politique mais pas de pluralisme syndical selon la l’article 2 de la loi 90-14.

Cependant, la carte syndicale connut, de 1990 à 1992, une nouvelle organisation. Le conférencier distingue trois pôles. L’un traditionnel ou conservateur est représenté par l’UGTA. Le second est caractérisé par l’avènement de syndicats autonomes, portés par les démocrates. Le troisième est constitué de syndicalistes d’obédience islamiste. Cet intermède est refermé, selon le conférencier, après le conflit de l’hiver 1992. Il faut dire que l’état d’urgence, en vigueur jusqu’à aujourd’hui, empêche toute forme de contestation d’aboutir. Ainsi, depuis l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika aux responsabilités, le régime fait en sorte que le seul interlocuteur syndical soit l’UGTA. Actuellement, le syndicat national est écartelé entre deux partis présidentiels, le FLN et le RND. Ces deux partis partagent, en alliance avec le MSP, le pouvoir et la mainmise sur l’UGTA. D’ailleurs, le bureau international du syndicat, nous apprend le conférencier, condamne l’Algérie pour les atteintes au droit syndical. Toutefois, bien que le régime bride autant que faire se peut l’expression syndicale, il n’en demeure pas moins que la lutte ne s’est pas estompée pour autant. Au contraire, conclut-il, les luttes se font désormais sur fond de pluralisme syndical. En fin, après un débat intéressant, la présentation du livre s’est achevée avec la vente-dédicace.

Boubekeur Ait Benali
29 octobre 2010

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