L’orthographe du mot « ciconcelions » du titre n’et pas une erreur de frappe. C’est vrai qu’ils sont « si cons ces lions » qui croient rugir lorsqu’ils postillonnent le nom de Dieu, et qui massacrent des populations innocentes en son nom.

Curieusement, dans le même pays, à plus de mille six cents ans d’intervalle, les « Djihadistes » des GIA, puis du GSPC et de l’AQMI, semblent être les avatars des circoncelions, leurs ancêtres chrétiens, comme s’ils étaient revenus d’un lointain passé, par une porte dérobée du temps.

On dit que l’histoire bégaie, lorsque des évènements se répètent avec de curieuses similitudes, entre de longs intervalles.

C’est le cas du terrorisme dit islamiste, tout particulièrement dans mon pays, en Algérie. Ce qui s’est passé, durant ce nous appelons la décennie rouge, entre 1992 et 2002, a choqué la planète entière, par le déchaînement de violence qui a coûté la vie à des centaines de milliers de victimes innocentes, des déplacements de populations, et une répression féroce.

Curieusement, un processus copié-collé, si l’on excepte le contexte, et si l’on remplace le coutelas et la fourche par la kalachnikov et le TNT, a eu lieu, dans le même pays, par les descendants de ceux qui l’avaient provoqué ou subi, il y a plus de seize siècles.

Ce fut le schisme du donatisme, puis l’insurrection des Circoncellions, qui furent son bras armé.

Vers la fin du IIIeme siècle, les populations de la Numidie, actuelle Algérie de l’Est et Tunisie du Nord, connurent des évènements qui nous interpellent aujourd’hui, par un curieux reflux de l’histoire.

A cette époque,les populations berbères latinisées, qui habitaient les plaines, les piémonts, et les villes romanisées qui se trouvaient à l’intérieur du limes, étaient presque tous chrétiens, à l’exception des populations des montagnes, qui avaient le plus souvent gardé les rites animistes de leurs ancêtres.

Écrasés par la domination romaine, ployant sous la férule des nantis, des paysans pauvres, ou des exploitants ruinés, tous originaires de Numidie, sous le prétexte de purifier le christianisme de l’influence du pouvoir en place, mais qui, en réalité, furent des insurgés de la misère, terroristes avant la lettre, les Circoncellions, furent chauffés à blanc par leurs « prélats » donatistes, leurs « émirs » de l’époque, fanatisés jusqu’à la folie furieuse. Ils fondirent sur des populations isolées, fragilisées, sans défense, livrées à leur propre sort.

Ils leur firent subir les mêmes sévices et les mêmes horreurs, que les GIA infligeront aux populations isolées de la Mitidja, de l’Ouarsenis et de l’Oranie, plus d’un millénaire et demi plus tard.

C’était l’aube du christianisme, puisqu’il sortait enfin de la persécution romaine.

Le Donatisme un mouvement religieux, dont les ressorts originaires, du vivant de son précurseur, reposaient sur des aspirations à l’insurrection contre l’ordre établi, a été inspiré par l’évêque Donat.

La divergence majeure qui se fit jour au sein de l’Église d’Afrique, naquit de l’intransigeance de Donat à l’encontre des fidèles, et particulièrement des prélats, qui avaient succombé à la persécution romaine, et qui avaient abjuré le christianisme. L’ordination d’un Évêque qui procédait de cette polémique, mit le feu aux poudres. Mais Donat allait se retrouver face à une grande figure de l’Eglise d’Afrique, Augustin, qui devint un des plus prestigieux pères de l’Eglise. Il n’en resta pas moins, néanmoins, un fidèle de l’empire romain, totalement soumis à son autorité.

Augustin, comme Donat, était lui aussi berbère, origine dont il ne se glorifiait jamais, et dont il n’usa jamais de l’idiome, préférant les langues latine et punique à celle de ses ancêtres.

La polémique entre lui et Donat dégénéra très vite, puisque Augustin demanda à l’empereur Constantin de sévir contre les récalcitrants.

Les premiers Donatistes furent persécutés, martyrisés, dépossédés, déchus de leurs charges, parfois exécutés. Mais ces persécutions allaient durcir leurs convictions.

Ils versèrent dans une sorte d’intégrisme, peut-être le premier du monde. Mais ils se gardèrent bien de verser dans la violence. Ils préféraient s’adonner aux querelles dogmatiques, et à la diatribe tissée au fil de soie. Mais leur discours, fondamentaliste et rigoureux, avait séduit les foules de vagabonds qui erraient dans la campagne numide. Ceux qui allaient devenir les Circoncellions, les premiers terroristes religieux de l’histoire.

Mon pays, l’Algérie, a donc l’accablant privilège d’avoir donné naissance à l’un des premiers mouvements intégristes de l’humanité, celui des donatistes, et aussi au premier terrorisme religieux, celui des Circoncellions, il y a plus de seize siecles de cela, lorsque nos ancêtres étaient chrétiens. Le raccourci est certes facile. Mais les faits sont là !

Ce mouvement schismatique du Donatisme, s’il a été provoqué, par la nomination de l’évêque de Carthage, a été exacerbé par des querelles dogmatiques qui contestaient dans sa structure même, l’ordre ecclésiastique établi.

Donat et soixante-dix autres évêques numides s’opposèrent donc à l’ordination de cet évêque, et entrèrent en lutte ouverte contre l’église officielle.

Après maintes péripéties, celle-ci condamna le mouvement. Mais la rebéllion redoubla d’ardeur. Une persécution terrible s’abattit alors sur les Donatistes. Comme celle que déclenchèrent les généraux algériens contre les militants du FIS qui avait remporté les élections.

Mais cette violence de l’Empereur, attisée par Augustin, ne fit qu’aviver la protestation. Les donatistes se considéraient comme les seuls chrétiens purs, « fils de martyrs ». Leur opposition à l’autorité de l’empire et à l’église officielle qu’ils disaient corrompue, et qui l’était bel et bien, leur valut la sympathie, puis l’adhésion de larges couches de la société, particulièrement les plus démunies parmi elle.

A bien des égards, le Donatisme fut le FIS du IVe siècle. Un remake remarquable. La comparaison est d’autant plus curieuse que les donatistes étaient des chrétiens rigoristes, qui exigeaient le port de la barbe, qui imposaient celui du voile aux femmes, oui, oui, et qui se montraient particulièrement intransigeants sur les moeurs quelques peu dissolues de la société. Au point où ils s’érigèrent en censeurs moraux. Tout comme le feront certains jeunes savonaroles du FIS.

La persécution des donatistes par l’église officielle et par les « forces de sécurité » de l’époque, entraîna une terrible réaction de violence. Ce fut donc l’avènement des Circoncellions. Le GIA d’alors. Les circoncellions, ceux qui rôdaient autour des villages, selon le sens latin du terme, se recrutaient dans les cohortes de paysans ruinés, d’esclaves et des paysans les plus pauvres, ceux qui étaient honteusement exploités par les grands propriétaires terriens. La vraie cause de leur révolte est à chercher dans l’extrême misère dans laquelle ils avaient été plongés, dans la corruption généralisée, dans l’injustice érigée en système de gouvernance.

Ils exprimèrent leur colère et leur refus de l’oppression et de l’injustice, par un regain, voire une exacerbation, de religiosité, par une volonté farouche de revenir aux sources du christianisme. Ils portaient la barbe et s’identifiaient aux premiers martyrs. C’étaient en quelque sorte les précurseurs de nos actuels djihadistes.

Comme les GIA des années 90, ils s’attaquaient aux villages isolés, au cri de « Laudes Deo »(Louanges à Dieu), une sorte d’Allahou Akbar, en massacraient tous les habitants, jusqu’à égorger les nourrissons et les bêtes. Ils pillaient, violaient, au nom de Dieu et bravaient la mort, parce que leur but ultime était de périr en martyrs de la foi. Mais en martyrs repus de bonne chère et de chair fraiche. Des Djihadistes pur jus, avant l’heure !

Les donatistes, devenus prudents avec les ans, qui reniflaient le vent et qui ne voulaient pas insulter l’avenir, se gardaient bien de s’impliquer directement dans la violence, avec ces gueux de circoncellions.

Eux, se disaient les vrais modèles de chrétien, de la bonne pâte à bon dieu, louvoyaient dans les méandres du dogme, interprétaient les textes sacrés à leurs convenances, des fetwas dans le genre, développaient des thèses contre les docteurs de la foi, leurs muftis chrétiens, désavouaient la violence et se mirent à recourir à l’autorité et à l’arbitrage de l’empereur, tout en encourageant les Circoncellions dans leur folie suicidaire, l’air de rien.

En peu de mots, ils faisaient de la politique.

Résultat des courses, Ils finirent par réintégrer le christianisme officiel, et firent carrière dans le clergé ou dans les affaires, parfois dans les deux. Un peu comme leurs descendants du MSP et les Émirs »repentis ».

Ils devinrent des prélats aux goûts raffinés. Tellement éloignés de l’évèque Donat, qui avait été à l’origine d’un mouvement que certains historiens qualifient de révolutionnaire. Ils eurent leurs Clubs des Pins, leurs grandes et petites entrées, et se fondirent dans la satrapie ambiante.

Les similitudes avec ce qui se passe aujourd’hui sont tellement frappantes qu’on se demande si, en cherchant un peu, on ne trouverait pas le pendant du DRS dans l’inventaire de ces tragiques évènements.

A la différence que nous savons, avec certitude, que les empereurs romains de l’époque étaient des enfants de chœur à côté du DRS. Ce ne furent pas eux qui créèrent les Circoncellions. Ils les combattirent et les réduisirent. Contrairement au DRS, qui a créé les GIA, qui a infiltré, réaménagé le GSPC, puis crée la Qaeda au Maghreb Islamique, sur commande de ses amis américains, pour provoquer une vague de terreur dans le Sahel. Mais là est une autre histoire.

Etrange répétition de l’Histoire que l’utilisation de la religion, assaisonnée de misère et d’ignorance.

Ces évènements terribles qui se sont déroulés, il y a plus de seize siècles, qui ont été vécus tragiquement par nos ancêtres et qui ont provoqué le carnage et la dévastation au sein des populations les plus démunies, interpellent la curiosité intellectuelle et historique. Mais loin d’être une malédiction, un quelconque atavisme, ou un gene de la violence que nous porterions en nous, cette malheureuse disposition à verser dans l’excès et la démesure, dans l’utilisation outrancière et suicidaire de la religion, trouve son explication, non pas dans un quelconque fanatisme naturel, mais dans un désespoir immense, née d’une oppression sans bornes. Les mêmes causes engendrant les mêmes effets.

Comme ses ancêtres chrétiens, le peuple algérien musulman a été précipité dans une situation qui n’a d’autre issue que le malheur, l’indigence et l’injustice. Et cela dure depuis si longtemps. Depuis toujours.

Dans l’un et l’autre cas, avec plusieurs siècles entre les deux, Il a été pris en tenailles entre un pouvoir oppresseur et des circoncellions vengeurs. Et sanguinaires. Les djihadistes, comme leurs précurseurs circoncellions, qui sont issus des couches les plus malheureuses de la population, se vengent sur elle de toute la misère qui leur a été infligée par des satrapes malfaisants et tout puissants. Sauf que les circoncellions modernes ne font pas dans le détail. Ils préfèrent le TNT au gourdin et à la hache. Encore qu’ils ne répugnent à en user, pour le plaisir.

Et pour bien montrer qu’ils n’ont cure de la vie et des vains plaisirs qu’elle offre, puisqu’ils n’ont aucune chance d’y goûter, ils se font déchiqueter en même temps que leurs malheureuses victimes, convaincus, qu’au moment où ils explosent, les portes du paradis s’ouvrent à eux, sous les youyous des houriates qui les attendaient avec fébrilité.

Ah, s’ils pouvaient entendre les sarcasmes et les ricanements de ceux qui les ont envoyés à la mort, en leur concoctant des fetwas enflammées, à Ben Aknoun et autres antres du DRS.

Djamaledine Benchenouf
20 août 2010

Cet artticle a été publié également sur le site du Quotidien d’Algérie

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