Le putsch des généraux factieux, le 21 avril 1961, consistait indubitablement à saborder l’initiative du général de Gaulle de négocier avec le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne). En effet, dés le 15 mars 1961, le processus de la négociation paraissait irréversible. Pour ce faire, le gouvernement français a décidé de mettre un terme à la répression militaire aveugle et au mutisme officiel ayant prévalu jusque-là. Le communiqué rédigé à l’issue du conseil des ministres a manifesté « son désir de voir s’engager, par l’organe d’une délégation officielle, les pourparlers concernant les conditions de l’autodétermination des populations algériennes. » Si du côté algérien, pour peu que la France n’ait que le GPRA comme seul représentant du peuple algérien, les chefs du FLN (Front de Libération Nationale) étaient prêts à trouver une solution au conflit vieux déjà de six ans ; du côté français, les tenants de l’Algérie française, parmi eux plusieurs généraux, s’inscrivaient en opposition radicale avec la politique gaullienne. Et afin d’inciter le général de gaulle à revenir sur l’offre de l’autodétermination, plusieurs réunions, regroupant les colonels Lacheroy, Argoud, Broizat et le général Faure, ont eu lieu à Paris en vue de préparer un éventuel Putsch. En Algérie, les militaires séditieux ont désigné le général Jouhaud, natif de Bou-Sfer, de convaincre le général Challe de prendre la tête de la révolte. Toutefois, le renversement du régime gaullien nécessitait une adhésion massive. En effet, il fallait reprendre le contrôle des grandes villes d’Algérie. Et puis, converger les forces armées sur Paris.

1― La difficile ouverture de la négociation

Le dernier président de la quatrième République, Pierre Pflimlin, avait été forcé à la démission pour avoir annoncé qu’il était possible de discuter avec les responsables du FLN. Résultat des courses : les ultras de l’Algérie française avaient provoqué son départ et avaient imposé, dans le même temps, le général de gaulle, bien qu’il ait été aussi investi par le parlement le 1 juin 1958. Par conséquent, le général de Gaulle avait mené une guerre sans pitié aux Algériens pendant les deux premières années de son retour au pouvoir. Mais une fois son pouvoir consolidé, à travers notamment son élection à la présidence de la République en décembre 1958, de Gaulle a décidé de mener la politique qu’il estimait adéquate. Et le tournant de la guerre a eu lieu en septembre 1959 lorsque de Gaulle a évoqué pour la première fois « le droit des Algériens à l’autodétermination ». Respectueux des principes démocratiques en métropole, il convoqué le corps électoral français, le 8 janvier 1961, pour se prononcer sur le principe de l’autodétermination des Algériens. Le résultat des urnes a été sans appel. Bien que ce référendum ait été caractérisé par l’appel de onze généraux demandant aux Français de voter non, plus de 75% d’entres-eux ont approuvé le principe de l’autodétermination.

Cependant, en réaction au communiqué du conseil des ministres du 15 mars 1961 confirmant la volonté du général de Gaulle de négocier avec le FLN, plusieurs réunions des officiers supérieurs se sont multipliées. Présidées par le général Faure, elles se tenaient souvent au domicile du colonel Lacheroy. Ces officiers, pour saboter le processus de paix, discutaient des moyens à déployer afin de renverser la cinquième République naissante. En écrivant sur la capacité et la détermination des insurgés à renverser le régime gaullien, l’historien Yves Courrière a rendu compte en ces termes : « Outre le 1er REP dont chaque commandant de compagnie était favorable au putsch et dont le chef par intérim, Elie Denoix de Saint Marc, marcherait si Challe le lui commandait. Il pouvait compter dés le premier jour sur le 27e dragon du colonel Puga, sur le 1er REC du colonel de la Chapelle, sur le 18e RCP du colonel Masselot, sur le 14eme RCP du colonel Lecomte, sur le 2e REC du colonel Coetgorden. »

Par ailleurs, en apprenant l’ajournement des préliminaires d’Evian, le 31 mars 1961, le général Challe a saisi ce temps de répit pour qu’il réunisse les conditions idoines au putsch. La conférence de presse du général de Gaulle du 11 avril 1961 a coupé court à toute discussion entre partisans de l’Algérie française et de Gaulle. Et la phrase qui a mis le feu aux poudres a été prononcée par de Gaulle, depuis Brazzaville, disant : « Je n’ai jamais cessé d’affirmer que les populations qui dépendaient de nous devaient pouvoir disposer d’elles-mêmes. » A partir de là l’épreuve de force ne pouvait pas ne pas avoir lieu.

2― L’arbitrage de l’armée

Prévue initialement dans la nuit du 20 au 21 avril 1961, la tentative du putsch a été reportée à l’ultime moment de 24 heures. Bien que l’armée n’ait pas basculé totalement, les insurgés tablaient d’emblée sur la chute de tous les points névralgiques d’Alger. De la délégation générale aux domiciles des hauts fonctionnaires en passant par le palais d’été, Radiodiffusion et Télévision, Alger devait tomber instamment entre les mains des rebelles. Cela dit, le plan élaboré par le patron du putsch, le général Challe, prenait en compte toutes les questions. Il a veillé lui-même à la répartition des tâches. Le général Zeller avait pour mission de convaincre le général Gouraud, chef du corps d’armée du Constantinois, de rallier l’insurrection militaire. Il devait ensuite s’occuper de toutes les questions administratives et logistiques. Quant à Jouhaud, épaulé par Salan à partir du 23 avril, il devait se charger des relations avec la population pied-noir.

Cependant, à deux heures quarante-cinq, le samedi 22 avril 1961, les généraux séditieux ont réalisé, point par point, le plan préalablement fixé. Désormais, tous les sièges, nécessaires au fonctionnement de la colonie, ont été accaparés par les paras. D’ailleurs, il n’y avait aucune résistance notable pour leur barrer la voie. Quant aux personnalités, celles-ci ont accepté de se faire arrêter à l’instar de Jean Morin, délégué général ou de Robert Buron, ministre des transports ou du général Gambiez, chef des armées en Algérie. Elles ont été envoyées illico en résidence surveillée à In Sallah.

Toutefois, si Alger a été prise facilement, dans l’ouest algérien l’équation était alambiquée. Le général de Pouilly, commandant du corps d’armée à Oran, voulait rester fidèle au gouvernement. La marine ne voulait pas non plus suivre la sédition. L’amiral Querville, chef de la base de Mers-el kebir, a refusé catégoriquement de se mettre sous les ordres de Challe contre le gouvernement. Pour pallier ces défections, le général Challe a nommé le général Gardy pour prendre le commandement armé (CA) de la zone territoriale. Arrivé à Sidi-Bel-Abbès, Gardy a souhaité rencontrer le général de Pouilly. Selon François Milles, dans « coups de poing dans un édredon » : « L’accueil est froid. Le général de Pouilly reçoit alors Gardy, en présence de Perrotat. Tous les efforts pour convaincre le commandant du CA d’Oran sont vains. » Par ailleurs, le 23 avril au soir, les généraux factieux ont constaté que la situation dans l’ouest était précaire. Pour soumettre l’ouest algérien, Gardy a lancé une opération contre de Pouilly qui s’était réfugié à Tlemcen la veille. En collectionnant tant d’échec, Challe a demandé à Gardy de rentrer à Alger avec les régiments Masselot et de Lecomte, restés fidèles au putsch.

3― De Gaulle en sauveur

Dés que de Gaulle a pris connaissance du putsch, il a tout de suite chargé son premier ministre, Michel Debré, de gérer lui-même l’affaire. Il s’agissait bien sûr d’une stratégie réfléchie. Car il ne fallait pas, selon lui, céder à l’intimidation, mais d’un autre côté il ne fallait pas prendre de décisions hâtives. Le lendemain, une équipe restreinte, composée de Louis Joxe et du général Olié, a été envoyée en Algérie. Au ministre des affaires algériennes, de Gaulle lui a confié les pouvoirs de la République à exercer sur place. Quant au général Olié , il l’a nommé commandant en chef en Algérie en remplacement du général Gambiez arrêté par les insurgés.

Cependant, le premier conseil des ministres, tenu le 23 avril à 17 heures, a été consacré à la question de la rébellion en Algérie. Par conséquent, l’Etat d’urgence a été décrété pour une période de six mois. Le lendemain, le général de Gaulle a mis en œuvre l’article 16 de la constitution. Selon Yves Courrière, cet article « permet non seulement à la police de garder à vue pendant 15 jours les suspects de subversion avant de les remettre à l’autorité judiciaire mais encore au préfet de les interner par simple décision sans en référer à la justice. » D’ailleurs, l’arrestation du général Faure, chevet ouvrière du putsch, et quelques-uns de ses proches collaborateurs a été possible grâce au recours à cet article.

Toutefois, bien que le risque de se faire arrêter ait été énorme, Louis Joxe a pu constater sur le terrain quelques réticences chez les officiers supérieurs. De son retour à Paris, ce dernier a dressé un tableau critique sur la situation en Algérie. Mais il a rapporté au général de Gaulle que la partie n’était pas perdue. Pour convaincre de Gaulle de s’adresser à la nation, louis Joxe a en effet argué que « le gros du corps d’officiers est hésitant et l’armée risque de basculer d’un moment à l’autre du coté de Challe », a écrit Philippe Masson, dans « A Paris : Un zeus tonnant ».

Par ailleurs, vers 20 heures ce 23 avril, des millions de Français se sont massés devant leurs télévisions. Pour la circonstance, le général de Gaulle a vêtu sa tenue de général de brigade. Selon Philippe Masson : « le ton est dur, dramatique ; on retrouve toute la mythologie gaulliste. » D’emblée, le général n’est pas allé par mille chemins pour incriminer les putschistes. Un pouvoir insurrectionnel, a-t-il dit, s’est établi en Algérie par un pronunciamiento militaire. Il a poursuivi en disant : « les coupable de l’usurpation ont exploité la passion des cadres de certaines unités… Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite. Il a une réalité : un groupe d’officiers partisans, ambitieux et fanatiques. » Après ce discours, le général Challe ne pouvait espérer gagner la partie. Du coup, à midi, le 25 avril, Challe a pris sa décision d’abandonner son combat. Il a mis fin au soulèvement et a décidé de se livrer à l’autorité légale.

Boubekeur Ait Benali
3 mai 2010

2 commentaires

  1. Attention coquille ! Pierre Pflimlin n’était pas le dernier Président de la République française. C’est René Coty qui le fut, de décembre 1953 à janvier 1959. Après les évènement du 13 Mai 1958 en Algérie, dont l’impact menaçait de s’étendre en France sous forme de Guerre civile, M. René Coty dut appeler le Général de Gaulle pour former un Gouvernement (Juin 1958). Investi par le Parlement français comme Chef du Gouvernement,De Gaulle profita du soutien de l’armée et du puissant lobby gaulliste de France, pour préparer une nouvelle Constitution, privilégiant l’Exécutif sur le Parlement.C’est la naissance de la 5ème République et l’organisation de l’élection du Président de la République en décembre 1958.

    • Réponse à Monsieur Dehbi
      Bonjour Monsiuer Dehbi !

      Je préfère vous appeler par votre nom ou prénom au lieu d’utiliser un subriquet, tel que coquille. Vous commencez votre message en me disant attention. Pour ma part, je n’estime pas que je n’aie pas commis une quelconque bourde. Quant à Pierre pflimlin, il a été bel et bien le dernier président du conseil de la IVeme République. Et René Coty était le président de la République. A ce moment-là, le président de la République n’avait pas assez de pouvoir. Je vous rappelle que le 24 mai 1958, René Coty avait chargé Pflimlin de former le gouvernement. Mais à cause de l’abstention des communistes, Pflimlin une majorité de votants mais pas celle des députés. Je vous rappelle que la quatrième République c’est l’équivalent de ce à quoi on assiste actuellement en Italie. Quant à de Gaulle, on peut aussi le considérer comme le président du conseil de juin à décembre 1958 et René Coty président de la République. S’il n’est pas considéré en tant que tel c’est parce qu’il n’a pas été choisi suite à une élection législative.

      Je peux vous dire, in fine, que je maintienne tout ce que j’ai écrit dans le texte. Et si vous voulez comprendre en détail cette époque, il va va falloir absolument lire Miche Winock dan « L’agonie de la quatrième République ».

      Amicalement Boubekeur

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