Jamais caravane n’aura fait coulé autant d’encre. Et, de la même manière que les caravanes d’antan sillonnaient les déserts pour rapporter, par-delà les dunes, des produits exotiques et des livres rares, celle-ci était supposée, par-delà la mer, « amener les Algériens à renouer avec le livre et à les sauver du délabrement mental et de la démission culturelle qui sévit dans leur pays » (sic) [1]. Bref, une caravane salvatrice, bienfaitrice et libératrice. Rien que ça.

A se demander pourquoi les organisateurs n’ont pas osé profiter du périple de cette caravane pour programmer la « panthéonisation » d’Albert Camus sur son sol natal puisque cela n’a pas été possible en France. Une poignée de cendres à Annaba où il a vu le jour, une autre à Alger qu’il a tant aimée et une dernière à Oran qu’il a tant haïe, et le tour aurait été joué. La fusion matérielle inespérée entre la chair et le sol, le retour de l’enfant prodigue d’une Algérie à tout jamais disparue.

Il n’y a rien à dire. Autant les artistes et les écrivains se subliment à travers leurs créations, autant ils semblent gauches, puérils, voire insignifiants lorsqu’ils prennent la défense de l’un des leurs. L’affaire Polanski a été très éloquente à ce sujet.

L’erreur, en fait, est de confondre l’œuvre et l’homme. Cela a pour conséquence de pardonner ou de justifier les actes et les positions du second sous le fallacieux prétexte de la grandeur de la première. Et, trop souvent, l’œuvre est bien plus grande que l’homme.

La relation entre Camus et l’Algérie revendicatrice est perplexe et ambiguë, c’est le moins qu’on puisse dire. Elle déchaîne de vives passions, anime de houleux débats et est régulièrement aux premières loges dans la presse [2].

Certains ont avancé que le mutisme de l’auteur de l’Etranger sur le sort de la décolonisation de l’Algérie est dû à une certaine pudeur plutôt qu’à une faiblesse : « Tout ce qu’il écrit dans les journaux, depuis 1941, où il perçoit aussitôt la lâcheté sénile du régime de Vichy avant de s’engager deux ans plus tard dans la Résistance active, jusqu’à la tragédie algérienne, où il finit par se taire par désespoir et pudeur plutôt que par faiblesse. » [3]. Comment peut-on oser parler de pudeur lorsqu’il s’agit de l’Algérie, alors qu’il faisait preuve d’une verve intarissable pour d’autres causes ? Comment expliquer le discours du 22 janvier 1958 « dans lequel Albert Camus proclame avec chaleur, et surtout sans équivoque, son attachement à Israël » [4] alors que la guerre de décolonisation algérienne battait son plein ? Voici la transcription d’une partie de ce discours : « Ce sont mes amis d’Israël, de l’exemplaire Israël, qu’on veut détruire sous l’alibi commode de l’anticolonialisme mais dont nous défendrons le droit de vivre, nous qui avons été témoins du massacre de ces millions de juifs et qui trouvons juste et bon que leurs fils créent la patrie que nous n’avons pas su leur donner. » [5]

Comment peut-on être témoin du massacre des juifs et être amnésique au sort des Arabes exterminés, dix ans plus tôt, à Deir Yassine par d’autres juifs ? Comment peut-on trouver juste et bon la colonisation d’une terre ? Pourquoi être aussi grandiloquent pour cette cause et rester muet comme une carpe pour celle de l’Algérie ?

La réponse est simple. Un Arabe (au sens colonial du terme, c’est-à-dire l’indigène, l’autochtone) est colonisable. Un Arabe est « assassinable ». Meursault, le personnage du roman l’Etranger, en est la preuve tangible. Il n’a pas seulement tué un Arabe parce qu’il faisait chaud, il a tué tous les Arabes qui vivaient à Oran et qui auraient dû apparaître dans la Peste. Et puis, Meursault n’est pas mort. Bien au contraire, il n’a jamais été aussi vivant. En Israël, il a pris le pseudonyme de Julien Soufir qui choisit au hasard un chauffeur de taxi arabe d’El Qods, l’invita chez lui à prendre un café, lui administra 24 coups de couteau et lui trancha la gorge. Questionné sur son acte barbare (perpétré en 2007), il avoua tout naturellement : « Je n’ai rien ressenti, c’était comme si j’abattais un animal parce qu’un animal n’a pas d’âme. » [6]. Ailleurs, en Occident, Meursault a pris les pseudonymes de chefs de certains partis politiques d’extrême droite, de philosophes endimanchés ou de chroniqueurs cathodiques omniprésents et omniscients. Meursault, c’est aussi bien l’éloge de la suprématie d’une race que la revendication du mépris de l’Autre.

L’œuvre romanesque de Camus est indéniablement riche et il n’y a aucun doute sur sa pérennité puisqu’elle s’est méritée le prix Nobel. Elle doit être connue par les Algériens et tous les citoyens du monde friands de littérature. On doit lui consacrer des colloques, des symposiums et des conférences. Mais vouloir plaider, voire imposer l’algérianité de Camus et la rapatrier dans une caravane emblématique mérite réflexion. Et si des personnes ont des objections sérieuses sur la question, elles ont le droit de s’exprimer. La dictature des « bien-pensants », l’hégémonie d’une virtuelle grandeur d’âme et le monopole de la vérité est loin d’être l’apanage des vrais intellectuels. A la moindre objection, ceux-là mêmes qui se targuent d’être ouverts à la discussion, usent à profusion de quolibets, de formules à l’emporte-pièce et de grossièretés. Ils s’attribuent une ascendance seigneuriale, diabolisent ceux qui osent les déranger dans leur « mission divine » en les affublant de noms d’oiseaux et en leur interdisant le droit de penser. Ces donneurs de leçons devraient plutôt donner l’exemple et être à la hauteur de ce qu’ils prônent dans leurs romans. Camus est probablement un Algérien, mais d’une Algérie qui a disparu le 5 juillet 1962.

Ahmed Bensaada, Scientifique
Montréal, le 19 mars 2010

Références

1- L’Expression. (Page consultée le 19 mars 2010). «Yasmina Khadra : J’ai horreur de la manipulation», [en ligne] http://www.lexpressiondz.com/article/3/2010-03-04/73731.html
2- Une excellente étude sur la question intitulée «Camus dans la presse algérienne des années 1985-2005 » peut être téléchargée de l’adresse: http://www.christianeachour.net/Thematique%20albert%20camus.php
3- Libération.fr. (Page consultée le 19 mars 2010). «Camus, l’homme bien révolté» [en ligne]. http://www.liberation.fr/culture/0101604221-camus-lhomme-bien-revolte
4- Phrase provenant du site sioniste militant (textuellement revendiqué dans le site) «CONNEC’SION» où il est possible d’écouter l’enregistrement audio du discours d’Albert Camus.
5- CONNEC’SION. (Page consultée le 19 mars 2010). Albert Camus à ses amis d’Israël, [en ligne]. http://www.connecsion.com/Albert-Camus-a-sesamis-d-Israel_a532.html
6- Haaretz.com. (Page consultée le 19 mars 2010). All he did was kill an Arab, [en ligne]. Adresse : http://www.haaretz.com/hasen/spages/1077636.html

Article paru dans le quotidien algérien La Tribune du 24 mars 2010

4 commentaires

  1. http://abdelkader.blogs.nouvelobs.com/
    Merci aux Rédactions respectives de « hoggar.org/ » et de « lequotidienalgerie.org/ » d’avoir repris cet excellent article de notre ami le Dr Si Ahmed Bensaada jetant crûment la lumière sur les manœuvres infâmes de certains pseudo-intellectuels francophones en demi solde, tendant à réhabiliter l’image d’un Camus définitivement déconsidéré aux yeux des fiers algériens, pour ses positions clairement pro colonialistes et pro sionistes avérées, que n’auraient reniées ni des Le Pen ni des Aussaresse.

    Certains pourraient penser que ce genre de sujet n’a pas sa place parmi les priorités défendues dans les deux sites ci-dessus mentionnés, priorités qui sont éminemment politiques et centrées comme chacun sait, sur la dénonciation permanente du pouvoir illégitime en place et sur les nécessités de poursuivre la lutte pour le changement.

    Rien ne serait plus faux cependant, quand on connaît les actions de sape souterraine – et même souvent à ciel ouvert – auxquelles se livrent depuis quelques années déjà, à la faveur de la crise nationale, certains nouveaux harkis de la plume, de la farine d’un Moulessehoul Mohamed alias Yasmina Khadra ou autres Sansal Boualem et tant d’autres, apparemment enhardis, tout comme leurs commanditaires, par le discrédit moral qui pèse sur un pouvoir déliquescent et corrompu jusqu’à la moelle. Un pouvoir dont on ne peut raisonnablement par conséquent, attendre qu’il soit porteur d’un quelconque projet de société, pour une Société qu’il ne représente pas.

    Ceci pour dire qu’il y aurait comme une odeur de complicité de ce pouvoir, vis-à-vis de ces nouveaux chantres de la nostalgie coloniale, à en juger par le silence officiel total, devant ces coups de boutoir répétés depuis Paris comme depuis Alger, contre les sentiments nationalistes du Peuple algérien et la légitime fierté qu’il tire d’une Guerre de Libération nationale que les ennemis d’hier comme ceux d’aujourd’hui cherchent à minimiser, voire à souiller, en réhabilitant précisément les icônes de la colonisation comme Albert Camus dont on commémore en France, le 50ème anniversaire de la mort.

    Comme si, a contrario, c’était à l’Algérie de faire à présent, acte de repentance !

    Eh bien non, messieurs les « réhabiliteurs » ! l’Algérie n’est en rien concernée par telle ou telle commémoration. Ceci, au-delà-même de la personne de Camus, comme ce fut le cas pour cet autre anti algérien, le chanteur Enrico Macias, que même la longue et indécente étreinte de M. Bouteflika sous les lambris de l’Elysée n’a pas réussi pour autant, à effacer l’infamie de ses positions de sioniste.

  2. chiche et chiche
    chiche aux nouveaux Camus.

    chiche aux nouveaux écrivains du dernier quart d’heure.

    chiche à YASMINA KHADRA,BOUDJEDRA and co.

    ils ont toujours été ainsi,ils ne changeront pas et ne peuvent être libres comme ils pretendent.

    ils travaillent pour leurs seigneurs et maitres de tous bords.

    ils savent qu’ils se masturbent intellectuellement pour le compte des dictateurs et des collaborateurs d’hier et d’aujourd’hui.

    ils défendent des ideaux déchus et enterrés à jamais.

    ils sont colonisés et colonisables.

    ils n’appartiennent pas à nous et nous on aussi on ne peut appartenir à ces bourreaux de cervelles.

    merci quand même,monsieur AHMED BENSAADA.

  3. ABOUPORTANT on

    Les intellectomanes
    « Ils ont créé des gens qui ne connaissent pas leur propre culture,mais qui sont toujours prêts à la mépriser…D’autre part,ils admirent sans réserves tout ce qui est importé d’Europe… » Ali Shariati dans Civilisation et modernisation.
    Chacun est libre d’aimer le « génie » littéraire de Camus, mais essayer de tout faire pour l’imposer aux Algériens et de nous convaincre de son Algérianité me parait une escroquerie intellectuelle( escroquerie tout court).
    Certains assimilés parlent même de Camus l’Algérien.
    Je ne suis pas critique littéraire, je ne me prononce donc pas sur cet aspect de l’écrivain, néanmoins, ce que je peux dire c’est qu’en tant qu’Algérien j’ai ressenti de la nausée en lisant cet « Etranger » et sa « peste ».
    J’ai aussi deviné à travers son récit , tout le mépris et l’indifférence que pouvait avoir l’écrivain pour les gens de MON PEUPLE.
    Quand à moi je préférerai toujours l’honneur de mon peuple à la bonne littérature surtout quand celle-ci est méprisante envers les MIENS.

  4. Les idiots utiles
    Je n’étais pas au courant de cette « caravane » et,bien que n’étant guère surpris,je n’en ressens que, bien plus encore, une profonde et viscérale aversion à l’encontre de toute cette vile engeance de collaBEURS fascinée ou intimidée par leurs anciens maitres. S’ils savaient les pauvres malheureux, ce que en réalité l’intelligentsia française pense vraiment d’eux, peut-être reviendraient-ils à de meilleurs sentiments à l’égard de leur patrimoine culturel et à leurs martyrs qu’ils bafouent ignominieusement.

     » Les dictatures engendrent la cruauté,la violence. Mais le plus insupportable c’est quelles engendrent également l’idiotie » (Burgess).

    Nos idiots locaux et tête à claque de type Saîd Saadi, si l’on n’y prend pas garde,ils finiraient par vous faire haïr les opprimés et adorer les oppresseurs. Et ce n’est pas le Talmudiste Botul-BHL l’enfant de Béni-Saf,ni le fils de Constantine Benjamin Stora,notre Historien révisionniste et, en encore moins,le blidéen Jean Daniel Bensaîd de la Gauche-caviar qui me contrediraient. Parole de goy que je suis pour eux!

    Quant aux inoxydables Khalida Messaoudi,Benbouzid et bien d’autres renégats en poste de responsabilité depuis des lustres,ces agents de l’Étranger dis-je sont autrement plus redoutables et malfaisants que ces chameliers et leur caravane en vadrouille dans le bled. Ils font partie des troupes régulières internationales, de cette révolution cosmopolite en marche vers un « nouvel ordre mondial » prônée par le banquier milliardaire Rockfeller et toute le clan mafieux de la haute finance anonyme et vagabonde.

    Ces traitres à l’Islam et au peuple musulman sont des embarqués par «la civilisation occidentale qui ne vise à rien moins qu’à l’incorporation de toute l’humanité en une grande société unique, et au contrôle de tout ce que, sur terre, sur mer et dans l’air, l’humanité peut exploiter grâce à la technique occidentale moderne ». Arnold Toynbee.

    Je voudrai,en guise d’appel d’air bienfaisant,terminer par rendre un vibrant hommage au très regretté et grand homme Algérien de cœur,ami,frère et défenseur des opprimés algériens que fût Frantz Fanon. Grand écrivain, grand homme politique à la lucidité exceptionnelle, homme au grand cœur, cet homme de cette stature politique et humaine ne peut que faire de l’ombre à tous ces défenseur zélés du « temps béni des colonies »
    et autres faussaires de l’histoire de la résistance algérienne durant cent trente deux ans de colonialisme exterminateur,sûr de lui et dominateur.

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