« Le Droit humanitaire peut s’imposer y compris lors d’une guerre d’Indépendance particulièrement violente. » C’est la conviction du leader et opposant algérien Hocine Ait Ahmed présentée lors de la Conférence Internationale « Droit international : Etats puissants et mouvements de résistance » tenue à Paris à l’Assemblée nationale les 18 et 19 septembre 2009.

Hocine Aït Ahmed – Si le droit du plus fort et, à fortiori sa raison, n’avaient pas été l’amère réalité de notre monde, en politique encore plus qu’ailleurs, nous n’aurions peut-être pas été amenés à ajouter le terme « humanitaire » à celui de Droit.

Même imparfait, le Droit semblait jusqu’au siècle passé constituer par lui-même et en lui-même une barrière contre la barbarie. Tous nos combats, qu’il s’agisse de la lutte pour l’Indépendance nationale ou des luttes pour la démocratie, nos combats ont eu pour moteur la revendication du Droit ; droit des peuples, droits de la personne humaine.

Mais le mot en lui-même, qu’il recouvre une lutte nationale ou une lutte sectorielle, le mot Droit avait, probablement à tort, une dignité en soi qui rejaillissait sur ceux qui en réclamaient sinon le rétablissement du moins l’instauration.

Mon propos n’est pas de développer une réflexion sur le Droit, mais ma modeste expérience de militant pour l’Indépendance nationale puis celle de militant pour la démocratie m’ont enseigné un certain nombre de choses que j’aimerais partager ici avec vous.

Face aux puissances coloniales et à leurs complicités, ni le droit international, ni le droit international humanitaire ne pouvaient être respectés et mis en œuvre.

En Algérie, c’est en 1956, en pleine guerre, qu’au Congrès de la Soummam les délégations militantes des différentes wilayas du pays ont pris conscience de l’impératif stratégique et urgent de renforcer à outrance les actions diplomatiques et de communication. Il s’agissait de mobiliser des actes de solidarité internationale avec l’Algérie combattante et de soutien des institutions onusiennes. Ces tâches s’imposaient face à des entreprises guerrières d’extermination et à des violations du droit international impunies.

Le peuple algérien, comme d’autres, n’avait pas oublié l’impact gigantesque exercé par la Conférence de Bandung sur l’accélération des phénomènes de décolonisation. Force est de constater que les résolutions adoptées par le congrès de la Soummam sur l’internationalisation du conflit algéro-français et sur le soutien solidaire des peuples du monde en tiers à la nation algérienne sont adoptées aux côtés de deux résolutions fondamentales : l’une qui consacre  » la primauté du politique sur le militaire « , l’autre qui impose  » le principe de la collégialité « , garant d’une cohérence démocratique et d’une cohésion politique.

D’autant que la composition pluraliste de ce congrès historique avait jeté les bases d’un consensus national, avec pour évolutions positives, d’abord de prendre de vitesse et de faire échec aux tentatives de division et de récupération des élites attentistes par le nouveau Gouverneur Soustelle.

Plus importante et décisive cette ébauche de consensus, allait mettre en branle une dynamique révolutionnaire au sens politique, démocratique, rationnel et réaliste. Pour ne pas dire pragmatique et non pas au sens de slogan populiste. Elle préparera la renaissance de la dawla – l’Etat – grâce à la légitimation populaire du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, le GPRA.

Du reste dans les mémoires remis notamment aux Nations Unies, nous avions mis en évidence le fait que les autorités algériennes battues par les expéditions coloniales n’avaient jamais concédé ni la souveraineté de l’Etat ni ses prérogatives, comme ce fut le cas au Maroc et en Tunisie qui avaient signé les traités du Protectorat.

Quant à la souveraineté de l’Etat algérien, elle n’avait pas disparu, n’en déplaise au droit impérialiste imposé à l’humanité. Elle s’est réfugiée dans le peuple algérien ; et chaque fois qu’il pouvait aller aux urnes, depuis la fin de la première guerre mondiale, se prononçait clairement pour la liberté et l’indépendance de son pays, défiant, fraudes et répressions sauvages.

Le GPRA a symbolisé le respect des droits humains et du droit humanitaire en dépit de l’état de guerre. C’est le premier et dernier gouvernement algérien pluraliste et démocratique.

Il ne cessait de rappeler à l’ordre l’Etat Major des Frontières pour condamner les violations des droits humains et dénonçait avec fermeté les liquidations sans justice et les emprisonnements arbitraires parmi les compatriotes commis sur les sols marocain et tunisien.

Par ailleurs, à propos du sort des prisonniers français, le GPRA s’est opposé à ce qu’ils soient abattus. C’était pour lui une décision humaniste mais surtout une manière de jouer le jeu de la légalité internationale et d’asseoir le prestige de la révolution en faisant respecter les normes de droit international humanitaire, alors que l’armée coloniale qui se targuait de comportements civilisés, continuait à défier la communauté internationale en poursuivant la stratégie des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité.

Une fois l’indépendance proclamée, toutes les stratégies qui avaient contribué à la victoire de la révolution algérienne contre le colonialisme français on été détournées de leur but initial qui était : la liberté pour la souveraineté du peuple, pour devenir les instruments d’un régime de domination impitoyable.

La solidarité internationale avec l’Algérie combattante est devenue complicité internationale avec le régime. Le soutien des institutions onusiennes est passé du peuple en lutte au régime en place.

De même les résolutions du Congrès de la Soummam ont été foulées au pied ;

1. La primauté du politique sur le militaire
2. Le principe de collégialité
3. La cohérence démocratique
4. La cohésion politique
5. Le pluralisme effectif et le consensus national.

Tout ceci avec en prime pour le pouvoir Algérien d’avoir réussi là où Soustelle a échoué : La division et la récupération des élites.

Deux exemples tirés de l’actualité – à la fois française et algérienne : l’affaire Mécili devenue l’affaire Hasseni et l’affaire des moines de Tibehirine.

Ces deux affaires montrent clairement que pour l’assassinat d’un opposant politique comme pour le massacre des moines, la collusion des intérêts a prévalu sur le Droit. Si on leur ajoute les massacres à grande échelle des années 1997/1998 sur lesquels un odieux silence s’est abattu, on prend la mesure de la folie criminelle que déclenche l’abandon du Droit.

On ne peut que conclure d’une part, que le Droit humanitaire peut s’imposer y compris lors d’une guerre d’Indépendance particulièrement violente, quand les peuples et les militants politiques croient encore en la possibilité de la restauration du Droit. Conviction qui leur vient du contexte politique international et non de leur horrible vécu sous la domination.

Et d’autre part qu’un contexte politique international où la complicité entre régimes et entre Etat se fait sur le dos du Droit à coup de manœuvres criminelles, de dissimulation et de propagande ne peut que conduire au désespoir des peuples et des cadres politiques dont ils accouchent.

Comme c’est le cas dans la plupart des conflits actuels, en Palestine, en Irak, en Afghanistan ou en Somalie.

C’est la négation, sur la scène internationale, des principes démocratiques les plus élémentaires. C’est le non-respect du Droit international par les puissants dans leurs pratiques (publiques ou secrètes) et dans le soutien qu’ils apportent à des régimes qui eux-mêmes violent les droits de leurs propres peuples.

C’est dans cette triste réalité que le Droit Humanitaire est appelé à la rescousse !

Tellement nécessaire aux luttes du passé en attirant le regard et la solidarité en direction des peuples en lutte, n’est-il pas en train d’être dévoyé ?

Maintenant que des Etats en ont fait un élément de domination -parmi d’autres – dans leur stratégie de domination, le Droit humanitaire a t-il encore une chance de se faire entendre en dehors de ces stratégies de domination et d’agression ?

***

Hocine Aït-Ahmed en quelques dates

1926 Naissance à Ain-El-Hammam ( ex-Michelet ) dans une vallée de Haute Kabylie.

1947-1949 Responsable national de l’OS (Organisation spéciale) chargée de former les cadres à la guerre des partisans et de procurer les armes pour préparer la guerre de libération.

1955 Dirige la délégation algérienne à Bandoung (1955 ) puis en avril 1956, il a ouvert et dirigé le bureau de la délégation du FLN à New-York à la session de l’Assemble générale de l’ONU qui inscrit le problème algérien à son ordre du jour (septembre).

Octobre 1956 Arrêté avec Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, Mostefa Lacheraf et Ahmed Ben Bella dans l’avion arraisonné en plein vol par l’armée française. Emprisonné 7 ans à la prison de la Santé.

Juillet 1962 Démission du gouvernement et de tous les organismes dirigeants de la révolution pendant la crise de l’été 1962. Il s’oppose au coup de force organisé contre le GPRA par Ben-Bella et l’état major de l’armée et refuse de faire partie du bureau politique du FLN.

Septembre 1963 Création du FFS (Front des forces socialistes) qui réclame le pluralisme politique face au verrouillage de la vie politique. Cette opposition au parti unique tourne à la résistance armée en Kabylie.

Octobre 1964 Arrêté en Kabylie. Condamné à mort par Ben-Bella, il est ensuite gracié.

Mai 1966 Evasion de la prison d’El Harrach à Alger. Exil en Suisse.

Décembre 1989 Retour d’exil.

Décembre 1991 Elections législatives (premier tour). Le FFS arrive en deuxième position après le FIS. Le FFS est en ballottage favorable dans de nombreuses circonscriptions dominées jusque là par la mouvance islamiste.

Janvier 1992 Annulation du second tour et interruption du processus démocratique. Instauration de l’état d’urgence.

Juillet 1992 Quitte l’Algérie pour ne pas servir de caution politique et continuer librement son combat. Il mène une intense activité diplomatique au plan international.

Février 1995 Il fut l’un des artisans principaux du Contrat politique négocié et signé à Rome dans les locaux de la communauté de Saint’Egidio . par les partis d’opposition les plus importants (dont le FLN ) et des personnalités Premier contrat social et politique dans le monde « arabo-islamique » Mais prioritairement une offre de paix négociée, faite aux tenants du pouvoir .

Hocine Aït Ahmed continue à assumer ses responsabilités sur deux fronts :

– A travers ses contacts et ses voyages à l’étranger, il poursuit son travail diplomatique pour aider à sortir l’Algérie de l’omerta internationale.

– Sur le plan intérieur, il continue son combat pour une solution politique. Il participe étroitement à la direction du FFS dans le cadre de ses prérogatives.

Source : http://www.infosud.org/Droit-humanitaire-et-mouvements-de,6770

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