« La conscience ne peut jamais être autre chose que l’Être conscient et l’Être des hommes est leur processus de vie réel. » Karl Marx- Friedrich Engels (L’idéologie allemande)

La réalité de notre pays nous interpelle fortement. Ce n’est pas la réalité des apparences, de l’autosatisfaction ou des illusions, mais celle du vécu et des profondeurs de notre société, celle surtout du quotidien et des perspectives de ses travailleurs, de ses élites, de sa jeunesse, de ses femmes, de ses personnes âgées, celle essentiellement de nos capacités effectives de production matérielles et culturelles, celle du niveau de notre savoir et de notre savoir-faire individuel et collectif, celle de nos campagnes et de nos villes etc. C’est la réalité du système de pouvoir qui régit le pays depuis plus de quatre décennies, un système de type autoritaire, fondé sur la rente pétrolière, sur sa répartition clientéliste, régionaliste voire népotique et coercitive. C’est la réalité que notre pays présente face à un monde en mutations profondes depuis quelques décennies, mutations qui sont les produits de dynamiques complexes mais fortes et durables et qu’il est impérieux de repérer, d’en saisir la portée historique à tous les niveaux et les exigences qu’elles mettent à l’ordre du jour pour toute société et tout Etat.

Cette réalité exige de nous de saisir concrètement les processus internes et externes qui la travaillent et lui donnent les formes explosives que nous observons, impuissants, depuis plus de quarante années. Elle nous impose aussi d’y percevoir les facteurs à l’œuvre qui préservent encore certaines formes de stabilité et de cohésion de notre nation.

C’est la nature du système de pouvoir, c’est la forme de l’Etat qu’un tel système a édifié pour le servir qui bloquent aujourd’hui, à l’extrême, la mise en action et en mouvement de toutes les énergies vives, productives et créatrices ainsi que de toutes les richesses particulièrement humaines que recèle le pays.

Quels sont ces processus internes et externes ?

Les facteurs internationaux

Le train de l’histoire roule à une vitesse vertigineuse. Il risque de passer sans que nous puissions contribuer à agir sur la force motrice qui le pousse, sur les formes qu’il reçoit, sur la ou les directions qu’il emprunte et à y prendre une place active, productive, efficiente, porteuse sur le long terme.

Les évolutions historiques mondiales actuelles sont d’une très forte intensité et marquées de complexité de même que de dangers majeurs pour l’humanité.

Le système capitaliste dominant, dans sa variante néolibérale, n’arrive plus, de part sa nature, à faire face aux processus déstabilisateurs déclenchés par les qualités qu’il a tenu à imprimer plus particulièrement, depuis trois décennies, aux multiples dynamiques lourdes de ce qui est communément appelée la mondialisation (sans que l’acception de ce concept soit nettement définie). Le capitalisme financier international spéculatif et férocement prédateur constitue l’une de ces dynamiques lourdes. Ses méfaits, que les puissances occidentales agissantes ont encouragés sans relâche depuis l’ère de Thatcher et de Reagan, plongent aujourd’hui le monde dans une crise multidimensionnelle d’une gravité sans précédent. Cette crise est non seulement celle du système financier et bancaire international mais aussi de l’économie mondiale réelle, de la culture occidentale ambiante. Elle est celle de l’architecture, économique et financière mondialisée, complexe, flexibilisée et diabolique que le néolibéralisme conquérant a tenu, à rythmes forcés, à donner au monde pour maximiser et accélérer ses profits et rien que ses profits et les formes de sa domination. Elle est celle des nouvelles forces productives cybernétisées, émiettées et mises en réseaux souples, modulables, orientées vers le développement de la productivité, la réduction des coûts de production et principalement la réalisation à tous prix de l’avantage concurrentiel le plus fort. Elle est celle de la surproduction comme de la surconsommation, rendant socialement et culturellement infernale l’équation offre-demande. Elle est celle de la problématique de la division internationale du travail, des organisations internationales et multilatérales qui s’y rattachent, à l’ère de la globalisation.

Cette crise, par ses caractéristiques et sa vigueur déstabilisatrices, frappe de plein fouet, certes à des niveaux différents, les pays dominants du capitalisme mais aussi tous les autres pays, le nôtre étant déjà fortement fragilisé par une crise nationale profonde qui perdure et par sa dépendance rentière.

L’élection d’Obama à la tête de la première puissance mondiale représente, sans conteste, une césure non seulement pour la nation multiethnique et multiculturelle américaine mais aussi pour le monde entier. Quelle orientations, quels contenus va entraîner une telle césure aux USA même comme dans les processus de restructuration internationale en cours ? Il est encore prématuré de repérer, à partir de l’action sur le terrain d’Obama après son élection, et de formuler les fondements et les axes opérationnels de ce qui pourrait être la doctrine Obama.

Cependant on peut remarquer, qu’au plan économique et financier, Obama est bien loin de vouloir remettre en cause la nature néolibérale du capitalisme dominant. Son traitement de la crise globale de ce système relève de la méthodologie du colmatage .Un tel traitement ne peut traiter le mal à ses racines.

Cela indique déjà que cette crise fera encore apparaître de nouveaux processus déstabilisateurs, aiguisant les conflits d’intérêts entre les puissances économiques, financières et politiques mondiales, régionales et même nationales, aggravant la situation des pays dits émergeants et de ceux sous-développés.

Nous n’avons pas l’intention, dans cette contribution d’essayer d’analyser en profondeur cette crise. L’essentiel est de reconnaître sa nature réelle et celle du système et du modèle de société qui l’a enfanté.

Mais la question la plus importante est celle-ci : Quo Vadis Algérie ?

Considérations sur les facteurs nationaux et leurs causes

Que faire Algérie pour être dans ce monde et de cette humanité et y gagner une place satisfaisante, voire rayonnante ? C’est cela l’impératif auquel nous sommes confrontés. L’impératif est un concept qui exprime en même temps la nécessité et l’urgence. La nécessité, s’agissant d’un Etat nation, émerge des dynamiques complexes du réel et se rattache, d’une manière ou d’une autre, à tout ce qui détermine et anime les facteurs constructeurs de la stabilité politique et sociale d’une nation et d’un Etat. L’urgence est dictée par l’intensité des éléments, de différentes natures, séparés ou conjugués, qui menacent sérieusement non seulement la stabilité de l’Etat et la cohésion de la nation mais mettent en péril, faute d’un sursaut collectif, l’existence de l’un et de l’autre ainsi que d’une vision cohérente portant l’avenir.

Cependant, chacun de nous, reconnaît, au fil du vécu au quotidien et des années qui passent, l’existence d’une réelle crise nationale et en ressent diversement la gravité.

Mais ceux qui dirigent notre Etat et ceux qui détiennent le pouvoir réel donnent l’impression, indépendamment de la forme de patriotisme qui peut animer leur action, de vivre et d’agir loin de la société, de ce qui se meut en son sein et des processus d’instabilités radicalisés multiples qui y prennent forme et menacent sa cohésion et son existence même. Ils semblent confortés dans un système qui les a produits et portés, qu’ils ont modelé ou modulé à leur convenance, se souciant d’abord d’assurer la pérennité du pouvoir et fort peu d’en faire un reflet de la projection, dans le temps et dans l’espace, de l’évolution de la société ainsi que de ses aspirations profondes au progrès et à la justice sociale.

L’évolution de la vie nationale montre à l’évidence que la nature du système de pouvoir autoritaire et populiste installé au lendemain de l’indépendance nationale n’a pas changé depuis, dans sa matrice essentielle, ceci indépendamment de la nécessaire analyse approfondie et objective des multiples facteurs historiques qui ont été à la base de son avènement et de son développement.

Dans une contribution publiée par le Quotidien d’Oran le 5 décembre 2003 et portant le titre « Cette crise qui nous ronge », nous avions écrit ce qui suit : « Nous semblons faire comme si nous étions une société à part, détachée de son environnement international et des lignes de forces lourdes qui déterminent l’évolution de ce dernier et qui ont une incidence décisive sur notre devenir.

Pourtant nous vivons, à l’échelle du monde, et chaque jour qui passe nous le montre avec force, des temps d’une très grande signification historique. Des événements et des évolutions d’une portée historique de long terme ont marqué fortement la dernière décennie du vingtième siècle. Ils continuent d’imprimer de leurs marques, avec une accélération renforcée, le millénaire qui commence. Nous assistons, défaits, impuissants et passifs à une recomposition globale des rapports de forces mondiaux, impulsés et modulés, aujourd’hui, au gré des évolutions, par la superpuissance militaire, économique, politique et culturelle des USA dominée présentement par l’idéologie du néo-conservatisme. Nous subissons la fougueuse action des dynamiques de la mondialisation qui, détournées par l’action éhontée du capital financier spéculatif international et par les théories économiques néolibérales, mettent l’économie mondiale en réseaux sévèrement contrôlés par un nombre toujours plus réduit de multinationales géantes dont la structure et la répartition spatiale sont fonctions de leurs stratégies de long termes et de l’évolution de leurs avantages concurrentiels respectifs. Nous observons les coups féroces qui sont assénés à l’Etat nation et à ses capacités de régulation, sous couvert de l’ouverture et de valeurs universelles devant être partagées, notamment par des organisations multilatérales sous contrôle comme la BIRD, le FMI, l’OMC, etc.

Réfléchir sur la crise que connaît actuellement l’Algérie, nécessite, de ce fait, la prise en compte des tendances d’évolution historiques signifiantes, nationales et internationales, pour mieux saisir la densité et la complexité des dynamiques agissantes du passé et pouvoir doter d’une pondération réaliste les voies susceptibles d’ouvrir des perspectives capables d’intégrer avec efficience l’Algérie dans les challenges du 21ème siècle »

Ce qui précède, nous l’écrivions fin 2003.

Les évolutions de ces dernières années confirment et soulignent même les éléments d’appréciation et d’analyse avancés.

Il est, d’autre part, utile d’observer et de prendre en considération que notre pays n’est pas le seul à connaître une crise d’une telle dimension. D’autres pays, du monde arabe ou de ce qu’on appelait le tiers-monde, plus particulièrement ceux issus d’un véritable mouvement de libération nationale, vivent des crises présentant des caractéristiques similaires. Quelles en sont les raisons ? Nous en soumettons brièvement quelques unes à l’examen et à la réflexion :

1. Des systèmes de pouvoir autoritaires, parfois despotiques s’y sont installés, souvent en utilisant de différentes manières, dans des conditions historiques diverses, la force militaire, émoussant la conscience libératrice des combattants et de larges secteurs de leurs peuples et dont l’intelligence et la fougue avaient nourri la révolution de libération nationale. Ils y perdurent par la coercition et la « pensée » unique depuis de longues et usantes décennies.

2. Des voies de développement économique et social y ont été empruntées qui ont en fait des pays rentiers, plutôt consommateurs que producteurs pour ne pas dire productifs, où la rente et l’économie virtuelle déterminent les rapports réels de même que les styles de direction ou de gestion.

3. Ce sont des pays dépendants et réellement endettés ; des pays développant plus de facteurs d’instabilités que de facteurs forgeant une cohésion nationale féconde de progrès et de productivité économique, sociale et culturelle et de justice sociale.

4. Des pays où la jeunesse qui constitue leur composante majeure et pouvant être leur principale richesse, est livrée à elle-même, désorientée, désarmée, penchant parfois vers le suicide collectif, cherchant le sens qui lui est nécessaire pour la motiver et lui donner les impulsions utiles au déploiement de toutes ses énergies, de sa créativité et de son efficience.

5. Des pays où le chaos ambiant et aux postes de commandes étouffe toute velléité d’organisation, de rationalité ou de cohérence, où l’exercice de la liberté individuelle, condition de toute pratique démocratique étouffe dans une atmosphère imposant la soumission et favorisant toutes les violences et les intolérances.

6. Des pays soumis à des rentes minières que la nature a mis des millions d’années à constituer, épuisables à termes et que les maîtres du marché international et de la spéculation financière mondialisée régulent au gré de leurs intérêts immédiats et stratégiques. De telles rentes y produisent le luxe de mauvais goût d’une infime minorité de parvenus ainsi qu’une pauvreté aggravée et multidimensionnelle de la grande majorité de notre société principalement de sa jeunesse.

De telles caractéristiques, qui sont loin d’être exhaustives, exigent d’être fondées par une analyse plus approfondie des facteurs nationaux et particulièrement internationaux qui ont pesé sur les processus de leur formation au cours des différentes phases qui ont marqué le vingtième siècle. Ce dernier a été qualifié par le grand historien britannique Eric Hobsbawm de « siècle des extrêmes ». Des évolutions diverses mais surtout à fortes orientations idéologiques et politiques antagoniques ont pesé, directement ou indirectement, sur les choix fondamentaux de ces pays. De telles évolutions se sont inscrites, dans les formes qu’elles prenaient, dans le long terme. Elles correspondaient, certes dans certaines mesures, aux conditions objectives telles qu’elles mûrissaient et étaient perçues à chacune des phases historiques par lesquelles les nations, les Etats et l’humanité ainsi que les rapports sociaux et les rapports de forces qui prévalaient en leurs seins et entre eux.

Eric Hobsbawn écrivait : « L’histoire a été dissociée de la téléologie » La téléologie, c’est une doctrine reposant sur l’idée de la finalité.

Il ajoute : « Pour tous les historiens, l’historiographie est restée, et reste, ancrée dans une réalité objective, à savoir la réalité de ce qui s’est produit dans le passé. Toutefois, elle ne part pas de faits mais de problèmes et elle exige qu’on enquête afin de comprendre pourquoi et comment ces problèmes – paradigmes et concepts – sont formulés comme ils le sont dans des traditions historiques et des environnements socioculturels différents…

L’objet de l’histoire devait être de poser les grandes questions du « pourquoi » selon la formule de Lawrence Stone (auteur de The Causes of the English Revolution)

L’histoire mouvementée et riche du vingtième siècle a pesé et pèse toujours lourdement sur les évolutions historiques en cours. Examiner les lignes de forces de ce poids du vingtième siècle peut nous aider, au moins à avancer quelque peu dans le nécessaire effort pour rendre intelligible notre réel, pour pondérer au mieux les éléments d’analyses ou affirmations qui émergent.

Le lourd poids du vingtième siècle

Le vingtième siècle a été, en effet, en essayant de synthétiser :

• Le siècle de la révolution russe d’octobre 1917 qui a été mûrie par une histoire religieuse, impériale et capitaliste lourdement chargée de sang et d’injustice sociale, une révolution qui a « ébranlé le monde », avec ce qu’elle a induit comme possibilité d’un système économique et social et même culturel alternatif au système capitaliste dominant ;

• le siècle de la première et de la deuxième guerre mondiale, initiées par l’impérialisme mondial, particulièrement germanique, arrivé à un certain stade de son développement et voulant imposer, par le recours à la force et à l’extermination de peuples entiers, ses velléités d’expansion et de domination planétaire ;

• Le siècle de la défaite mondiale des forces militaires et des pouvoirs fascistes, notamment celui d’Hitler par une alliance internationale des Etats et des peuples ayant su surmonter, pour une période, les clivages idéologiques pour défendre et assurer la survie de l’humanité et donner à la paix mondiale sa valeur et sa stabilité stratégiques ; mais c’était aussi le siècle de l’utilisation par les USA de l’arme nucléaire et du développement et du déploiement planétaire de ses arsenaux diversifiés en nature et en puissance de feu et de destruction ;

• Le siècle de la mise en place d’un réseau de dictatures militaires fascisantes en Europe comme en Grèce, en Espagne ou au Portugal, en Amérique latine comme au Brésil, en Argentine, au Chili et ailleurs, en Asie comme en Indonésie, aux Philippines etc. Un tel réseau devait contrecarrer le mouvement du spectre communiste en marche et assurer la sécurité de l’occident ;

• Le siècle où le capitalisme développé, au sommet de sa puissance et de ses crises, a su élaboré et mettre en œuvre de réelles capacités d’adaptations en aiguisant la férocité de sa nature exploiteuse de la force de travail dans ses différentes formes et ses capacités de développement et d’exploitation du progrès technique, technologique et scientifique.

• Le siècle de l’émergence de forces sociales et politiques puissantes et organisées, dans les pays alors développés mais aussi dans les territoires des empires coloniaux. De telles forces étaient essentiellement nationales, républicaines, démocratiques, de progrès et issues ou rattachées à la classe ouvrière et à la paysannerie laborieuse. Elles ont constitué les plus forts bataillons dans les luttes anti-impérialistes, dans les farouches résistances antifascistes, pour la paix, pour les conquêtes démocratiques et sociales les plus larges. Elles ont été à la base de conquêtes sociales et culturelles historiques qui ont humanisé et démocratisé, un tant soi peu, les rapports de production, qui ont renforcé les positions et l’efficience de l’action des organisations syndicales, qui ont aussi favorisé la mise en œuvre de réformes économiques et sociales telles celles élaborées par Keynes au lendemain de la deuxième guerre mondiale ;

• Le siècle de la formation, dans les empires coloniaux, de mouvements nationaux modernes, initiant, sous des formes diverses, de réels et longs processus de décolonisation, recourant le plus souvent à de véritables et longues guerres de libération nationale, comme c’était le cas, de façon exemplaire, en Algérie ou au Vietnam. Les années soixante et soixante-dix de ce siècle ont consacré, dans une large mesure le processus de décolonisation, la dislocation des empires coloniaux, la formation de nouveaux Etats-nation influencés par les recompositions géostratégiques en cours avec la mise en place, en gros de deux grands blocs, idéologiquement, économiquement, socialement, culturellement et militairement antagoniques ;

• Le siècle de l’extension et de l’intensification des luttes idéologiques dans un monde marqué d’une part par la constitution de l’URSS comme puissance politique, économique, culturelle et surtout militaire ; par l’émergence du système socialiste mondial couvrant d’importants territoires de l’Europe centrale, de l’Asie et même des Caraïbes, d’autre part par un aiguisement accéléré du caractère impérialiste du système capitaliste créant de puissants instruments et moyens économiques, politiques, militaires pour assurer son hégémonie planétaire comme, entre autres, le plan Marshall qui a, entre autre rendu à l’Allemagne occidentale sa puissance économique, son rôle stratégique et militaire dans l’alliance atlantique, la BIRD et le FMI, l’OCDE, l’ONU, l’OTAN, le système mondial de bases militaires intégrées et de plateformes d’écoute et de renseignement ;

• Le siècle d’une implacable guerre froide, souvent échauffée dans certaines régions du monde particulièrement sensibles, entre les deux systèmes sociaux dominants, soumettant l’humanité à un dangereux équilibre de la terreur puisque fondé sur la puissance de la première frappe et sur les armes nucléaires toujours plus sophistiquées et plus massivement meurtrières ;

• Le siècle, aussi, d’un développement prodigieux des sciences, des techniques, des technologies, des connaissances et du savoir en général. L’organisation et le management du travail et des entreprises y ont fait des pas de géants, renforçant le développement de l’accélération de la productivité, de la valeur ajoutée individuelle et des collectifs donnant naissance à de nouvelles stratégies de restructurations spatiales, technologiques, de filières, financières, de regroupements multinationaux et transnationaux engageant subrepticement les processus et les dynamiques lourdes de ce qu’on appelle désormais la mondialisation ;

• Le siècle, surtout, de la dislocation et de la disparition de l’URSS et du système socialiste mondial que d’aucuns prétendus historiens, comme Francis Fukuyama, ou d’intellectuels autoproclamés au service d’officines diverses, ont qualifiée légèrement et hâtivement de « fin de l’histoire ». Ce faisant, ils font fi, pour leurs intérêts, de l’histoire des faiseurs réels de l’histoire que sont les sociétés et les nations sur la base de l’évolution et des transformations des rapports sociaux de production et d’échanges qu’entretiennent entre elles les différentes classes et couchent sociales qui les composent. Ce sont ces artisans directs de l’histoire qui, directement ou indirectement, consciemment ou non, mais en tous les cas en partant de « leur processus de vie réel » et dans leur résultante générale, ont favorisé en définitif une telle dislocation et une telle disparition sans pour autant donner une nature plus humaine ou plus libératrice au système capitaliste dominant et encore à la première puissance qui le représente. L’analyse approfondie et circonstanciée des évolutions historiques du début et de la fin du vingtième siècle qui ont rapport avec le socialisme comme Etats, nations et système social, doit être entreprise par les spécialistes mais aussi par les différends acteurs avec un sens aigu de la critique et de l’autocritique scientifiques voire objectives. Cependant le constat de la nouvelle configuration du monde et des dynamiques qu’elle provoque doit être considéré comme un facteur historique majeur modulant fortement les enjeux stratégiques en modifiant les rapports de forces réels et en donnant lieu à des recompositions des espaces géostratégiques ;

• Le siècle, enfin, où, au cours de ses deux ou trois dernières décennies, sont apparues, à l’échelle de notre planète, certaines limites liées à la nature réelle et inchangée du système capitaliste et aux acceptions utilitaristes, données au fil des phases par lesquelles il a dû passer, aux valeurs de la civilisation qu’il est sensé représenter et réaliser. Il s’agit avant tout des limites manifestées par un marché et une concurrence, débridés à l’extrême, modulant à l’envie la nature et la forme de l’Etat servant d’abord leurs intérêts immédiats et lointains, massifiant la pauvreté et l’exclusion sociales, déshumanisant l’humain, compressant à l’infini toute action à un processus digitalisé, voire robotisé. Il s’agit aussi des limites liées à l’épuisement accéléré des ressources minières et à la rareté de nouvelles découvertes majeures et accessibles comme pour ce concerne les hydrocarbures et les ressources énergétiques en général. Il s’agit également des limites se rapportant au dérèglement des écosystèmes et à la problématique des causes humaines et industrielles de l’alarmant réchauffement climatique. Il s’agit en outre des limites liées aux nouvelles pandémies qui menacent dangereusement d’importants segments de populations et qui se rapportent au modèle « macdonaldisé » de consommation et de civilisation prétendument mondialisée. Il s’agit enfin des limites se rapportant à l’humanisme et à la démocratie de l’occident issu de la révolution américaine et des lumières ou de l’Aufklärung. De telles limites marquent le quotidien des pays développés, les rapports de ses derniers au cours des processus de reconfiguration géostratégiques qu’ils ont engagés pour forger leur facteur de pondération dans les rapports de forces entre les pôles dominants qui se construisent au fil des évolutions de la mondialisation.

De telles caractéristiques et évolutions du siècle dernier ont laissé leurs empreintes sur les choix des voies de développement et la construction de l’Etat et de la nation dans des pays comme l’Algérie. Le déclenchement de la révolution de novembre 1954 a été un impératif incontournable, produit d’un long processus de luttes politiques et sociales sévères contre la domination et l’exploitation coloniales. Une telle révolution s’inscrivait, de fait, dans l’irrésistible mouvement mondial d’émancipation, de libération nationale et de progrès. Par sa consistance nationaliste et révolutionnaire et la forme radicalisée, que la férocité du colonialisme et les solidarités occidentales de classe qui étaient acquises à ce dernier, l’ont contrainte à prendre, elle est devenue un puissant facteur inducteur du mouvement international de libération nationale et des institutions organisées auxquelles il a donné naissance comme le mouvement des non-alignés, la tricontinentale etc.

L’indépendance nationale, arrachée à l’occupant et d’une certaine manière à ses alliés stratégiques impérialistes, a modifié sensiblement la structure des rapports de forces mondiaux. Elle a accéléré le processus des indépendances nationales et de l’avènement de nouveaux Etats Nations.

Aussi, l’évaluation objective du réel mondial de l’époque et des processus de long terme qui le travaillaient et lui donnaient forme, ne pouvait être faite indépendamment du paradigme de la libération nationale et sociale et du socialisme. Ce dernier déterminait, en quelque sorte, la nature des pouvoirs, les orientations générales des choix économiques et sociaux ainsi que des rapports internationaux.

C’est ainsi que les instances dirigeantes algériennes, issues de la guerre de libération nationale, ont mis au point, non sans luttes internes acerbes, les orientations et les choix fondamentaux inscrits par exemple dans le programme de Tripoli, dans la charte nationale de 1964 et qui découlaient, avec une marque nationale sinon nationaliste, de ce paradigme de la libération nationale et sociale et du socialisme. L’Algérie entendait ainsi se placer dans une orientation socialiste. Nous ne voulons pas, dans cette contribution, nous lancer dans un examen circonstancié, voire approfondi, des choix fondamentaux de notre pays à la lumière des processus réels qui ont été à la base des évolutions, principalement au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle. Un tel examen doit être fait. Mais il doit l’être à la lumière d’une intelligibilité rigoureuse des contradictions fondamentales, principales et secondaires qui déterminaient, dans une large mesure les développements de l’époque. C’est ainsi, par exemple, que nous ne pourrons pas comprendre objectivement la crise profonde qui frappe notre société si nous ne procédons pas à une analyse critique et autocritique du modèle de construction du socialisme tel qu’il a été mis en œuvre en URSS et dans les autres pays socialistes et des voies théoriques qui ont été développées pour des pays comme l’Algérie comme la révolution nationale démocratique (RND), la voie non capitaliste de développement (VNC), la démocratie révolutionnaire (DR), l’orientation socialiste etc.

C’est ainsi que nous devons aussi procéder à une analyse plus rigoureuse et surtout plus objective du réel du capitalisme à l’échelle internationale, dans notre région et dans notre pays ainsi que des dynamiques majeurs qui le portaient.

Mais si les efforts multidisciplinaires à fournir pour comprendre les racines et la portée de notre crise sont nécessaires, utiles et urgents, il reste que nous devons faire face au réel tel qu’il se présente actuellement à nous et surtout, en prenant la mesure de ce réel, de tout entreprendre pour construire les bases nous permettant de refonder notre Etat, notre système de pouvoir pour édifier solidement la République en faisant face hardiment aux défis majeurs de notre temps dûment repérés.

Les défis majeurs auxquels nous sommes confrontés

Il est des moments, dans les évolutions historiques des nations et des Etats, où des actions d’exception peuvent s’imposer pour faire face à des défis majeurs pour consolider l’existence de la nation et construire une situation la mettant en mesure d’avancer vers le progrès et un bien-être en développement continu. De telles actions mûrissent dans les méandres du tissu social, au fil des années et des contingences, y compris dans les forces dirigeantes, y compris celles qui sont aux commandes du pouvoir. Elles peuvent prendre des formes et des sens imprévisibles. Elles peuvent surtout se muer, comme notre jeune histoire le montre, en radicalités, aux conséquences multiples et durables que les rationalités les plus percutantes peuvent difficilement maîtriser, si les jonctions et les cohérences sociales et politiques patriotiques et de progrès ne sont pas démocratiquement recherchées et construites avec la force d’une vision partagée et la conscience de la nécessité des compromis de progrès et de justice sociale historiquement porteurs .

Nous considérons que notre pays se trouve confronté à l’urgence d’un tel impératif. Nous devons faire montre de notre capacité individuelle et collective d’une autocritique concrète, non teintée de subjectivité ou tactiquement calculée, mais découlant d’une intelligibilité partagée des lignes de forces lourdes qui travaillent notre réel, de leurs orientations fondamentales, des conséquences pour le long et le moyen terme qu’elles dessinent.

Depuis les années soixante-dix du siècle dernier, les évolutions mondiales, régionales et nationales nous confrontent à un certain nombre de défis majeurs liés :

• Aux dynamiques, aux contenus et aux formes inquiétantes prises par une mondialisation radicalement néolibérale ;

• Aux bouleversantes évolutions démographiques annoncées ;

• Aux capacités des ressources hydriques, leur épuisement progressif, à leur répartition planétaire, à l’iniquité de leur distribution ;

• Aux impacts durables des changements climatiques et écologiques ;

• Aux accélérations du développement du savoir et du progrès technique et technologique ;

• A l’épuisement des matières premières classique à la base jusqu’ici du développement industriel et technique de même qu’au retard accusé pour le développement de nouvelles matières premières correspondant aux possibilités qu’offre l’ère des NTIC, de la nanotechnologie etc. ;

• Aux dynamiques nouvelles, émergeant des transformations géostratégiques en cours et des rythmes nouveaux de transformations économiques, sociales et culturelles, liées aux problématiques de la sécurité et de la paix mondiale.

De tels défis s’amplifient et s’aiguisent à la fois. Ils doivent être déclinés en autant d’impératifs à se fixer et à exécuter au risque pour toute nation et pour tout Etat de se voir mettre hors de l’histoire. Cela concerne, au premier chef, les Etats nations qui ont émergé des héroïques luttes anti coloniales et de libération nationale. Cela vaut plus particulièrement pour l’Algérie rongée par une crise profonde depuis plus de quinze années.

De tels défis touchent, d’une manière générale, l’humanité entière qui semble avoir subi des transformations accélérées depuis le début du vingtième siècle aux plans politiques, géographiques, économiques, sociaux et culturelles qu’elle n’était pas en mesure de supporter et de prendre en charge tout en fortifiant les ressorts assurant sa stabilité relative.

De tels défis posent l’impératif de la refondation de l’Etat nation reposant sur la démocratie, le progrès et la justice sociale. Ils posent l’impératif d’un changement reposant sur des paradigmes qui donnent du sens et mobilisent la jeunesse, les femmes et toutes les catégories sociales, principalement celles rattachées au travail. Ils posent l’impératif de construire le développement économique et industriel, social, culturel avec des objectifs stratégiques qui, parce que découlant du réel et produits d’un effort véritablement national, fortifieront les processus de la refondation démocratique de l’Etat.

Le changement, dont nous avons besoin impérativement, ne peut être administré. Il doit être, pour être valable et correspondre aux besoins réels du pays, l’œuvre continue, relevant de plus en plus de la conscience de la nécessité, de l’action organisée, des forces sociales et politiques les plus larges et les plus diverses qui y sont les plus concernées et qui y ont le plus intérêt. Il s’agit de l’ensemble des détachements des travailleurs, des jeunes, des femmes, des bataillons de cadres formés mais subissant un chômage démoralisant ou une démobilisation systémique poussant aux radicalismes, voire au suicide.

Ce changement a besoin de forces politiques et sociales démocratiques réelles, c’est-à-dire ancrées dans la société et ses besoins.

Ce changement, pour engager les processus complexes de la refondation de l’Etat, de la reconstruction économique, sociale et culturelle, doit relever d’un vrai mouvement social et politique déterminé à l’accompagner, à lui insuffler à partir de l’intelligibilité du réel sens, contenu et forme. Karl Marx, encore lui, il est bien vivant, a écrit : « Toute avancée allant dans le sens d’un mouvement réel est plus importante qu’une douzaine de programmes »

L’impératif du changement interpelle toutes les forces politiques et sociales réelles, particulièrement celles attachées à l’exercice démocratique, aux idées de progrès et de justice sociale. Que le débat se développe entre nous autour de ces défis majeurs, de l’impératif du changement et de la refondation démocratique de l’Etat.

Ahmed Mahi
6 juillet 2009

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