L’Article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 déclara : « Les hommes naissent libres et égaux en droits ». L’article premier de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, ajoute seulement le mot dignité; le concept de dignité humaine est la clef de voute de la société, et son contraire est humiliation. Lorsque l’homme est humilié, il oublie qu’il est habité par la vie et il la risque. « Quand l’animal politique renonce à la politique, il ne reste plus que l’animal qui applique la loi de la jungle » a écrit Régis Debray.

Très attachés à la décolonisation et à la libération des peuples colonisés, les Algériens considèrent la réforme des Nations Unies, comme une nécessité politique et une exigence éthique. Les aspirations des Algériens sont simples et se résument en un mot «dignité» : dignité en tant que citoyen et dignité en tant qu’être humain. La première implique la libération du peuple de l’occupation étrangère, la seconde ne se conçoit pas sans démocratie, sans liberté, sans justice et sans solidarité. Il y a le poids des mots employés pour exprimer la dignité et ils sont très lourds.

Les blessures les plus graves sont celles qui atteignent la personne humaine dans sa dignité. La violence, la barbarie, c’est cette part de ténèbres qui existe en l’être humain. Elle mène l’homme, qui n’exprime pas d’état d’âme en la pratiquant, vers le régime animal, et sa loi implacable du talion, qui rendra aveugle l’humanité entière.

La colonisation est un fait historique et absolu, cruel, qui a pris des formes inhumaines, exécrables. Au nom du cœur et de la raison, de la dignité et de la conscience politique, le peuple algérien a combattu le colonialisme français qui a tenté de justifier l’entreprise coloniale par le mythe de la colonisation civilisatrice humanitaire, de l’Algérie colonie de peuplement, alors que la réalité est faite de génocides, de crime contre l’humanité, de crimes de guerre, d’asservissement du peuple, de terreur, de racisme, et d’aliénation culturelle. L’indépendance nationale a été payée de son lourd prix du sang et des souffrances. Elle a suscité des martyrs qui ont utilisé cette arme ultime, leur vie, jusqu’au sacrifice suprême. Ce ne sont pas ceux qui se battent qui recueillent les lauriers, sauf à titre posthume. Il ne faut pas laisser disparaître les témoignages de la génération de combat sur l’humiliation subie par le peuple algérien lors de la colonisation, dont le prix est important et que personne n’entend perdre. Se battre pour la dignité humaine, c’est dénoncer la falsification de l’histoire. Avec la loi du 23 février 2005 qui glorifie le colonialisme, la France n’a pas fini sa décolonisation.

Les Algériens ont besoin d’une vie de dignité et de liberté. Ils ont acquis leurs droits humains qui sont l’un des rares lieux privilégiés de rencontre des Algériens de tous bords, l’ultime valeur à défendre. Depuis l’état d’urgence du 9 février 1992 qui a glissé vers l’état de siège par l’arrêté non publiable du 25 juillet 1993, chaque jour apporte une sinistre moisson d’outrages à la dignité humaine. C’est l’oppression qui enfante la liberté, et la répression qui enfante les droits de l’Homme.

La vision globale et non partielle des droits de l’Homme, implique la défense de l’Etat de droit contre l’Etat policier, la liberté contre la tyrannie, l’humanité contre la barbarie. Quand les véritables protestations et constatations ne viennent pas de pays qui bafouent les droits de l’Homme, l’opinion publique internationale est tentée de penser que les peuples ont les gouvernements qu’ils méritent, puisqu’ils ne sont pas descendus dans la rue. La raison est que ces peuples encadrés par la police et l’armée, réprimés, privés de liberté, ne peuvent ni agir, ni réagir. Il appartient alors à l’opinion publique internationale de prendre le relais.

Le régime politique n’a pas donné aux Algériens plus de droits et plus de liberté que le régime colonial. Il a intégré la pensée coloniale et les schémas mentaux coloniaux. Le peuple algérien n’a pas le contrôle de son destin, subit la politique au lieu de la conduire. Il est asservi, et l’Algérien réduit à l’état de sujet. Le plus grave n’est pas d’avoir des sujets, mais de les appeler citoyens. Le président de la république vient de se doter d’une constitution qui fait de lui seul tout l’exécutif, tout le pouvoir. La personnalisation et la concentration à outrance du pouvoir sont inefficaces et dangereuses. Le peuple algérien est appelé à voter pour maintenir la forme extérieure de la démocratie, mais non pour choisir en toute liberté ses représentants aux institutions élues de l’Etat.

Les pratiques qui faussent le scrutin et le libre choix des électeurs, sont permanentes. Le peuple vote ou on vote pour lui, mais il ne décide jamais, il ne fait qu’entériner le choix des décideurs.

Les élections préfabriquées ne mènent pas à l’alternance et à la démocratie, mais à la normalisation autoritaire de la société. Le problème n’est pas d’appeler les gens à voter, il est de pouvoir leur garantir que leur vote sera respecté.

Le président Abdelaziz Bouteflika sera réélu par un scrutin transformé en plébiscite sur sa personne. La verticale du pouvoir fait de lui un monarque, plus une sorte de pharaon au pouvoir illimité. Les Algériens ne participent pas en nombre aux élections, car ils savent qu’elles sont truquées. Ne pas respecter les règles d’une élection propre et honnête, c’est courir le risque d’une grande désaffection de l’électorat, d’une abstention record. La lutte contre la fraude électorale fait avancer le combat démocratique, car elle pousse la société à agir par ses propres mécanismes de défense. La dégradation politique et morale des institutions est due à l’absence d’alternance, qui permet de maintenir au pouvoir les mêmes clans et les mêmes intérêts, durant une longue période.

L’ordre public n’autorise pas les services de sécurité à se placer au-dessus des lois, mais à les appliquer rigoureusement, tout en se soumettant au contrôle de la justice. Les tâches de sécurité qui incombent à l’Etat doivent être assurées dans le respect des droits de l’Homme, de l’intégrité physique et morale de la personne humaine. Défendre la dignité humaine, c’est en premier lieu, refuser la torture dont l’interdiction doit être immédiate et globale. De très nombreux messages, vérifiés, exprimés avec force, angoisse, détresse et colère, par les prisonniers, leurs familles, leurs avocats, ont fait état, durant la décennie 90 et la suivante, de tortures qui ne sont pas des bavures, ou des faits isolés, ou encore des accidents de parcours, mais une pratique administrative courante, employée par les services de sécurité relevant tant de l’autorité militaire que de l’autorité civile. La torture avec ses conséquences les plus extrêmes, la mort ou l’handicap à vie, est une barbarie et un acte d’infamie qui avilit ceux qui la pratiquent. Elle est partie intégrante des interrogatoires qu’elle remplace ou accompagne.

La dignité humaine se soulève contre la police et la justice quand elle a le sentiment que de graves injustices ont été commises. Comment arriver à assurer la sécurité, sans humilier la population ? Le pouvoir parait culturellement incapable de savoir ce que peut être la souffrance, le désespoir de gens au chômage, qui sont en permanence sous la surveillance de la police. Le pouvoir politique croit nécessaire de répondre par des méthodes quasi militaires, à des jeunes en souffrance qui se révoltent. La vie dure et parfois cruelle assène des coups qui laissent des blessures, et des cicatrices au corps et à l’esprit. L’ironie comme l’humour éloignent le désespoir et tempèrent la dureté des constats.

Le pouvoir judiciaire ne peut s’imposer que par son indépendance par rapport au pouvoir exécutif, et par la compétence et l’honnêteté des juges. Le cadre du juge est la loi, son devoir est l’impartialité.

Tout manquement au droit d’expression, offense la dignité humaine. La liberté d’expression qui est une conquête fragile qui doit être cultivée, protégée, renforcée, est un droit élémentaire de la vie politique, sociale et culturelle, de la création scientifique et artistique. L’exigence de liberté implique une multiplication des sources d’information. La question fondamentale à se poser pour assurer une circulation de l’information libre et équilibrée est celle-ci : les hommes et les femmes reçoivent-ils l’information nécessaire pour avoir une large compréhension de la société et du monde ? De plus, sont-ils en mesure, sans censure, d’exprimer leurs points de vue et leurs préoccupations.

Le pouvoir politique exerce un contrôle non seulement sur l’information interne, mais aussi sur toute celle qui vient de l’extérieur. S’il a le droit de s’exprimer à la télévision, pour défendre son programme et la manière dont il gère le pays, il n’a pas le droit de s’accaparer d’un service public et de le monopoliser pour éviter tout débat contradictoire, qui est l’hygiène et même l’oxygène de la vie publique, passage obligé d’une démocratie formelle à une démocratie réelle.

On voit en la presse un 4ème pouvoir alors même qu’on ne distingue pas nettement les trois premiers, du fait qu’il y’a, non pas séparation mais confusion des pouvoirs.

La liberté religieuse est inséparable de la liberté d’expression. L’article 35 de la constitution qualifie d’inviolable la liberté de conscience et la liberté d’opinion. La liberté religieuse n’est qu’un aspect particulier de la liberté d’opinion. Elle a été consacrée au niveau international par l’article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, et confirmée par l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966.

Elle a été définie de manière précise par la déclaration des Nations Unies du 25 novembre 1981 relative à la lutte contre toutes les formes d’intolérance et de discrimination, fondée sur la religion ou la conviction : « Toute personne a droit à la liberté  de manifester sa religion individuellement ou en commun, en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques de l’enseignement ».

La déclaration de l’UNESCO du 16 novembre 1995 édicte : « La tolérance est la clef de voûte des droits de l’Homme, du pluralisme, de la démocratie et de l’Etat de droit ». La fermeture des lieux de prière est une intolérance religieuse. C’est dans l’esprit des hommes que naissent toutes les formes d’intolérance et de discrimination, c’est à ce niveau que se situe l’action à mener. Le rôle de l’éducation et en particulier de l’école, est dans ce cadre essentiel, voir incontournable.

Le peuple algérien ne peut vivre dans la dignité, que s’il a éliminé la corruption. Un contrôle rigoureux permettrait de mettre à jour de nombreux scandales politico-financiers, tant par les sommes détournées, les réseaux impliqués, la pratique de la corruption généralisée. Un dirigeant qui est en grâce avec les décideurs, ne peut être poursuivi quand il est en délicatesse avec la justice pour malversation, ni jeté en pâture à l’opinion publique.

La paix sans la vérité et la justice n’est qu’impunité. Les droits de l’Homme et la paix sont deux aspects indissociables de la vie humaine. Toute tentative de préserver l’un au dépens de l’autre, d’assurer la paix au dépens de la vérité et la justice, conduit à l’échec des deux. La « charte pour la paix et la réconciliation nationale », qui devait être un grand projet politique, a sacrifié les impératifs de vérité et de justice ; elle est réduite à sa dimension sécuritaire.

Faut-il tronquer la justice pour la paix ? Faut-il choisir entre le droit et le pardon ? Faut-il lutter contre l’oubli et préserver la mémoire agressée ? Que choisir, le pardon contre la justice, ou la paix par la justice ?

Que sont devenus les disparus ? Des morts sans sépulture, des vivants sans existence ? Aucune affaire de disparus n’a été élucidée, et il n’y a pas de volonté de le faire. Les milliers de disparitions forcées constituent des violations flagrantes du droit interne et des conventions et pactes internationaux, ratifiés par l’Algérie. Il s’agit de crimes contre l’humanité.

Le pouvoir n’a pas été capable de prévoir, de voir et surtout d’avoir une vision politique claire des frustrations du peuple exaspéré par les conditions de vie qui lui sont réservées, la régression brutale et continue de son niveau de vie. La paupérisation de la société a atteint le seuil de l’indigence. La sécurité humaine concerne la pauvreté, la faiblesse du système d’éducation et de santé et le manque de liberté.

Le pouvoir accentue les inégalités au point de reconstruire comme au temps de la colonisation une véritable hiérarchie sociale stratifiée. La politique néoconservatrice ultra libérale suivie, a créé une société duale, verticalement divisée entre, d’une part, les nantis qui vivent bien, et d’autre part, la majorité du peuple trop pauvre, ce qui est l’exemple d’une profonde injustice sociale.

La personne humaine n’est pas un moyen mais une finalité, la fin de toute politique. Le droit à l’humanité consiste à traiter toute personne humaine dans le respect de sa dignité. Le refus de la haine, de l’injustice, de l’arbitraire, de l’exclusion qui n’est pas une opinion mais un crime qui a franchi le seuil de l’intolérance qui ne peut être toléré, est celui de la dignité humaine.

Etre tolérant c’est reconnaitre l’Autre, différent de soi, mais égal dans sa dignité et dans ses droits. C’est lui permettre de s’exprimer, de défendre ses opinions, ses idées, ses convictions. Le sérieux de la vie publique passe par la préservation de la dignité humaine.

Abdenour Ali Yahia
Mars 2009

Source : Errabita, périodique de la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme, 1er trimestre 2009.

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