« Il n’y a pas un ami éternel, ni un ennemi éternel, mais il y a un intérêt éternel »

J’ai vu le film « l’ennemi intime » (1) de Florent Emilio Siri, sorti en salle le 3 octobre 2007 en France. L’avis de nos compatriotes à propos de ce film est mitigé : il y a ceux qui disent que la France les méprise en touchant au symbole de la révolution algérienne qu’est le FLN, et ceux qui reconnaissent qu’il y a eu effectivement des massacres commis par le FLN contre ceux qui ne voulaient pas coopérer ainsi que des tueries fratricides entre FLN et MNA.

Du côté français, nombre d’intellectuels et politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite, reconnaissent les crimes commis au cours de l’histoire de la France coloniale, envers les populations colonisées. Les Français qui ont participé de près ou de loin à la guerre d’Algérie reconnaissent que l’armée française a utilisé la torture, le napalm contre notre peuple. Ainsi, pour certains, la France souffre d’une culpabilité qui l’empêche d’avancer. Pour d’autres, la France doit présenter ses excuses à tous les peuples colonisés. Le passé colonial alimente sans cesse les débats politiques, en particuliers ceux concernant l’immigration.

Ce qui m’intéresse dans ce débat, ce n’est pas le fait que la France reconnaisse ses crimes contre notre peuple, car ceci reste l’affaire des représentants des deux Etats respectifs. Portons plutôt notre attention sur le travail réalisé par de nombreux intellectuels (romanciers, documentaristes, réalisateurs, historiens et sociologues) qui a pour but de secouer les consciences et provoquer les débats. Actuellement, beaucoup d’historiens français souhaitent rétablir la vérité auprès des nouvelles générations afin qu’elles puissent s’identifier à la nation française. Cette culpabilité est le fruit d’une conscientisation et d’une humanisation du système éducatif. C’est aussi une reconnaissance de la diversité des identités en France. Il me semble que ce travail de mémoire est bien réfléchi et qu’il mérite d’être pris en considération de notre côté. Si la France a attendu 1999 pour reconnaître qu’il y a eu une guerre d’Algérie c’est, d’une part, à cause de l’enjeu financier et d’autre part, parce que certains acteurs de cette guerre sont toujours au pouvoir notamment du côté algérien. A ce jour, les plaies sont toujours vives de part et d’autre. Un travail de mémoire est nécessaire en Algérie mais il n’est possible que si l’on écarte le côté émotionnel.

Beaucoup de romanciers algériens ont écrit sur cette guerre mais sans faire allusion aux massacres. Ils se sont souvent cantonnés aux causes de la guerre, aux méthodes utilisées et aux us et coutumes du pays. Les règlements de compte entre le FLN et les fidèles de Massali Hadj restent tabous. Nous évoquons souvent la colonisation mais nous oublions fréquemment le côté humain de cette guerre. Effectivement, peu d’acteurs de cette guerre effectuent un réel travail de mémoire. On ne peut pas se fier uniquement à tous ces charlatans qui s’attribuent une histoire tronquée pour en tirer quelque profit moral ou matériel ! Plusieurs questions ne sont pas encore élucidées : pourquoi les moudjahiddines égorgeaient-ils leurs concitoyens ? Est-ce à cause d’une cigarette allumée qu’on peut se permettre de mutiler un concitoyen ? Comment expliquer l’assassinat des hauts responsables du FLN ? Oui nous étions en guerre, mais rien ne nous empêche maintenant de reconnaître ces méthodes atroces. Faire notre mea-culpa n’est pas un signe de faiblesse mais au contraire un signe de sagesse.

A l’école, nous sommes fiers d’apprendre que nous nous sommes battus pour libérer notre nation algérienne du joug du colonialisme. Nous serions encore plus fier lorsque nous assumerons nos erreurs passées. Ainsi, nous rapprocherons-nous de nos valeurs ancestrales d’humanisme. En effet, cette sacralisation de la guerre d’Algérie devient lourde, comme si nos anciens combattants étaient des saints ! L’Etat a le devoir de relater la vérité pour que les jeunes s’identifient enfin à une histoire juste. Voici une anecdote de Ahmed Saïfi Benziane [2] : un jeune court dans les rues d’Oran avec un drapeau espagnol (…) lorsque un vieux lui suggère de faire la même chose avec le drapeau national en lui rappelant que notre drapeau couleur paradis à coûté un million et demi de martyrs. Le jeune rétorque que des milliers de harragas sont morts pour le drapeau espagnol et qu’il court à la mémoire de ses amis partis sans retour. Cette petite histoire nous montre que le nationalisme n’a plus de place dans la préoccupation des jeunes. Et ce phénomène ne touche pas que les jeunes algériens, mais tous les jeunes du monde. Aujourd’hui, les jeunes aspirent au travail dans un climat de paix. Ainsi, tout ce que nos grands-parents ont sacrifié pour nous n’est pas valorisé aux yeux de la nouvelle génération. A force de sacraliser l’histoire, on la banalise. Pourtant, le budget de Ministère des Anciens Combattants dépasse celui de l’Education Nationale…

Pour la première fois, les Français avouent, à travers un film, que le napalm a été utilisé pendant la guerre d’Algérie. Des images choquantes révèlent l’atrocité et la barbarie de cette méthode. Les appelés de l’armée française, une fois sur le terrain, étaient manipulés par la hiérarchie militaire. Le film fait également la lumière sur l’engagement des algériens aux côtés de l’armée française. Ainsi, l’apparition brève (mais brillante) de Fellag montre le dilemme qu’ont vécu et que vivent toujours les Harkis. On assiste au massacre de tous les habitants d’un village par les combattants du FLN. Cette scène a d’ailleurs provoqué une vive réaction de beaucoup d’algériens. Ces images sont certes choquantes. Néanmoins, elles nous rappellent un passé qui reste proche [3].

Nos pires ennemis sont notre orgueil et notre aveuglement La reconnaissance de nos fautes me semble aujourd’hui indispensable si nous voulons réellement effectuer un travail commun de mémoire. (Je parle ici des faits qui se sont déroulés au cours de la guerre et non pas sur l’ensemble de la période coloniale). La France nous a remis les cartes des mines déposées au cours de cette guerre. C’est l’occasion de creuser notre mémoire pour lui donner un nouveau sens et une orientation claire et positive. En suivant cette voie, nous construirons un pont entre ces deux mémoires blessées. Essayons de regarder la vérité en face afin de construire un avenir serein pour les générations futures…

Yazid Haddar
5 octobre 2008

[1] Diffusé par Canal+ cette semaine
[2] Le Quotidien d’Oran du 11 octobre 2007
[3] Lors de la préparation d’un documentaire réalisé par Mustapha Tadjenente, des témoignages ont été recueillis à propos des massacres commis par le FLN contre les militants. (En recherche d’un producteur).

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