Malgré le black-out intégral qui est fait sur le sujet par la presse algérienne, par l’oligarchie et par la presse, l’ouverture de l’audiovisuel à l’investissement privé n’est plus un tabou. C’est même un sujet central dans les tractations entre les clans du régime.

Jusqu’à une période récente, le régime algérien avait totalement exclu la moindre possibilité de permettre au privé le lancement de chaînes de radio et de télévision. Lors des réformes de l’après 88, le pouvoir avait permis le lancement de la presse écrite privée. Il se dotait, à peu de risques, d’une autre façade démocratique en trompe l’œil. Il l’avait même portée à bout de bras, puisqu’il avait doté et financé de nombreux journalistes de la presse publique qui se lançaient dans ce qu’ils appelleront eux même, « l’aventure intellectuelle ».

Des dizaines de titres fleurirent. Beaucoup ne firent pas long feu. Les autres, ceux qui avaient tenu la route, et dont la relative liberté de ton faisait dire que cette nouvelle presse était « la plus libre du monde arabe », allaient entrer dans un carcan dont ils ne se sortiront jamais. Le traitement de l’information, très inhabituel et qui donnait l’impression de ne se fixer aucune limite, aucune autocensure, allant jusqu’à éclairer l’opinion sur des sujets brûlants et des personnalités de « premier plan », en réalité des seconds couteaux ou des barons déchus, faisait pourtant bien attention à ne jamais farfouiller dans les cercles des vrais détenteurs du vrai pouvoir : Les généraux !

La seule fois où cela a eu lieu, dans le cas du général major Mohamed Betchine, a été rondement menée, sur ordre de ces généraux qui voulaient évacuer l’un des leurs, qui avait voulu les doubler, voire les supplanter. Il se fera clouer au pilori, dans un lynchage dicté à la presse la plus libre du monde arabe et qui écrivait plus vite que la dictée. Pour le reste, les pratiques effarantes des généraux, sur lesquelles de très nombreux journalistes disposent pourtant de dossiers accablants, ne seront jamais traitées, ou bien alors, comme dans le cas du général major Kamel Abderahmane, à peine effleurées, sans véritables arguments, sans investigations et même avec des accents de contrition.

Cette presse soi disant « indépendante » se prêtera, sous des oripeaux de liberté d’expression, à des règlements de compte de bas quartier, entre clans rivaux. Elle y excellera. Elle mettra, avec une rare veulerie, ses plumes au service de la junte qui tenait le pays entier sous sa totale influence, et réussira l’exploit de faire passer des jappements et des postillons pour des rugissements. Elle parlera d’elle-même comme d’un quatrième pouvoir, et de la junte comme de la grande muette. Ce qui dans un cas comme dans l’autre sont au comble de l’absurde. Elle se roulera dans le commentaire alambiqué et pédant, au détriment de l’information objective, et finira par se prendre elle-même pour ce qu’elle ne fut jamais :Une presse irréprochable.

Lors de l’interruption du processus électoral qui allait plonger le pays dans une tragédie effroyable, ces journalistes, qui s’étaient proclamés démocrates et républicains, seront embrigadés dans une démarche honteuse, pour le moins qu’on puisse dire. Leur rôle consistait à jeter un voile pudique sur les atrocités commises par les généraux contre les populations civiles. Ils ont permis à ceux-ci, de perpétrer des crimes contre l’humanité quasiment à huis clos, puisque l’opinion occidentale qui s’informait de la situation algérienne à l’aune de cette presse, ignorera tout de la manipulation de la violence par les généraux algériens. Cette presse « indépendante » poussera son zèle jusqu’à accabler tous les défenseurs des droits de l’homme et les ONG qui tentaient d’alerter l’opinion internationale sur la réalité de la tragédie. Les journalistes algériens, et particulièrement les patrons de presse, qui s’étaient totalement soumis aux généraux, et qui connaissaient pourtant l’horreur des carnages contre les populations civiles, la pratique de la torture, les enlèvements, les viols et les exécutions sommaires, disaient, lorsqu’ils étaient entre eux qu’on « ne faisait pas la guerre avec des gants blancs » et que « c’est le prix à payer pour éradiquer l’islamisme ».

Cette honteuse compromission révoltait la majorité des journalistes, enrôlés contre leur volonté dans une sale guerre contre leur propre peuple. Plus de soixante d’entre eux furent assassinés par les islamistes, mais aussi par les islamistes et les barbouzes des généraux, au su des patrons de presse et de la dizaine de journaliste qui émargeaient chez Hadj Zoubir, et qui prenaient leurs consignes chez leurs « sources » qui étaient en réalité leurs officiers encadreurs. La presse écrite algérienne, particulièrement celle d’expression française, qui a une audience extrêmement limitée, a joué pourtant un rôle déterminant dans l’altération des faits et dans la propagande des tueurs de civils.

En permettant la privatisation de la presse écrite, les généraux savaient très bien ce qu’ils faisaient. Ils savaient que cela pouvait leur servir pour relayer leur propagande à destination de l’opinion internationale. Ils ne s’en privèrent pas. Leurs agents journalistes firent feu de tout bois et firent montre d’un zèle qui surprenait leurs propres commanditaires.

Ils ont eu d’autant plus de mérite, aux yeux de ces derniers, que l’ensemble de l’édition de la presse écrite, publique et privée, si l’on en déduit les invendus, si l’on prend en compte le nombre des analphabètes et les habitudes sociales, n’est lu que par moins de 4 % de la population adulte. La lecture de la presse écrite d’expression française est encore plus dérisoire, puisqu’elle ne réunit pas, tous titres réunis, 1% de la population adulte. Toute la presse écrite, hormis El Khabar, le plus grand quotidien arabophone, ne survit que par la manne publicitaire, dont la gestion est organisée en carotte ou bâton par le régime, selon qu’il voulait gonfler un titre, ou sévir contre lui.

En ne permettant que la privatisation de la presse écrite, dont elle s’était assurée la totale soumission, la junte savait ce qu’elle faisait. Tout risque était circonscrit par sa propre limite. Par contre les chaînes de radios et particulièrement celle de la télévision unique, qui sont reçues par la totalité de la population, même si elles n’ont qu’une audience internationale très réduite, si l’on excepte la communauté émigrée, sont le principal outil de propagande du régime à destination des masses populaires. La télévision algérienne entre dans plus de 95% des foyers algériens et touche toutes les catégories de la population, y compris les enfants.Voilà pourquoi la libéralisation de la presse s’est bornée à la presse écrite.

De nombreux observateurs Du microcosme politique algérien s’accordent à dire que l’un des principaux motifs qui ont entraîné le démantèlement du groupe Khalifa a été le projet de télévision que le jeune homme d’affaires voulait lancer depuis Paris, puis depuis Londres, malgré les mises en garde d’un clan du régime. La chaîne berbère TV n’a été ignorée que parce que le cœur de cible de celle-ci se borne à la Kabylie. Une région dont la contestation du régime est un credo, avec ou sans télévision. Plutôt que de s’attaquer, d’une manière ou d’une autre à cette télévision, qui ne le menace pas outre mesure, de toute façon, et dont on ne sait pas si elle n’est pas neutralisée, puisqu’elle ne traite pas des dossiers des généraux, le régime a préféré déstabiliser toute la Kabylie, et la couper du reste de l’Algérie, par un faisceau de méthodes de subversion et de propagande. Mais là est un autre sujet.

Mais les choses ont évolué. Le monopole sur l’audiovisuel n’est plus possible. Les nouvelles techniques de diffusion permettent d’ « arroser » l’Algérie, depuis n’importe quel autre pays. Le régime sait qu’elles seront, tôt ou tard, mises à profit par des personnes ou des milieux qui voudront apporter une autre information aux Algériens. L’exemple de la Chaîne Al Djazira, dont les taux d’audience dépassent parfois ceux de la télévision unique, est significatif à cet égard. Très inquiet par la possibilité de lancement d’une chaîne de télévision par l’opposition algérienne, depuis un autre pays, et dont le public ciblé serait le peuple algérien, le régime fait planer de terribles menaces sur quiconque voudrait financer un tel projet. Il envoie depuis l’affaire Khalifa des signaux sans équivoque à tous ceux qui pourraient être tentés. Les grosses fortunes algériennes étant toutes connectées, de près ou de loin, à la junte, il est donc superflu de faire un dessin. Seul le FFS et le FIS, dont les militants de la diaspora pourraient financer un tel projet, pourraient tenter l’aventure. Le régime le sait. Il sait aussi qu’il peut compter sur ses amis européens pour contrecarrer tout projet fâcheux. Mais cela ne l’empêche pas de mettre les bouchées doubles pour préparer le champ audiovisuel de demain et faire prendre de l’avance à ses créatures, voire à ses propres membres. D’autant qu’une chaîne de télévision privée a le double avantage de rapporter beaucoup d’argent et d’aider à garder le pouvoir.

Les barons du régime, ceux de la junte, du clan présidentiel comme les nouveaux arrivants, détenteurs de capitaux, son sur les dents. En attendant que le Législateur reçoive le feu vert pour leur livrer les lois sur mesure qu’ils vont lui concocter, ils se consultent et négocient les parts et les espaces. L’un des signes les plus visibles des intenses tractations qui ont cours au sein des clans, est la montée au créneau du milliardaire, et non moins désormais décideur, qu’est Issaad Rebrab, éclaire un tant soit peu notre lanterne. Cet homme qui a construit, en l’espace de quelques années, une fortune qui le place dans le gotha des Maghrébins, et même des Européens les plus riches a réussi à devenir le principal, ou plutôt le seul actionnaire du Journal francophone Liberté, qui était le plus grand Quotidien francophone du pays, avant qu’il ne verse dans une pratique de l’information tellement inféodée au régime qu’il en perdra plus de la moitié de ses lecteurs. Avec son enrichissement fulgurant, Issaad Rebrab a acquis une assurance telle qu’il avance à visage découvert, n’hésitant pas a afficher ses ancrages avec le DRS,ce cœur battant du pouvoir algérien. Il n’a pas hésité à recruter en qualité de Directeur de la Communication de ses entreprises un général à la retraite qui avait la haute main, au sein du DRS, sur la presse de service. Le fameux Hadj Zoubir dont on dit qu’il a des dossiers mortels sur de nombreux journalistes et patrons de presse qui ont « écrit » sous sa télécommande.

Issaad Rebrab vient de lancer une sorte d’OPA sur El Khabar, puisqu’il propose aux actionnaires du plus grand quotidien algérien de leur racheter leurs actions au prix fort. Ce qu’il avait fait à Liberté, en poussant ses associés à la sortie, contre leur gré pour certains. S’il devient l’actionnaire majoritaire d’El Khabar, voire le seul propriétaire, il deviendra une menace pour le Quotidien El Watan qui détient 50% de la rotative des deux journaux. On dit que certains actionnaires d’El Watan ont déjà été approchés par le milliardaire, et que l’offre qu’il leur propose est tellement alléchante qu’ils pourraient sauter dessus. Mais Issaad Rebrab ne se contente pas de jeter le grappin sur des titres de la presse écrite. Il semble que des Business plans pour le lancement de chaînes de télé sont sur son bureau depuis des mois, avec des options multiples. Le feu vert pour l’ouverture de l’audiovisuel serait imminent. Il ferait même partie des points forts en discussion entre les clans. Ceux-ci ont très bien compris, depuis la recomposition du champ « politique » entre les généraux et Bouteflika, qu’ils avaient besoin d’une façade plus honorable, pour continuer à piller le pays. Ils savent qu’ils ont surtout besoin de s’approprier toute la machine médiatique, s’ils veulent se muer en hommes d’affaires honorables et en propriétaires, ou en actionnaires, ce qu’ils sont déjà, de compagnies pétrolières, de compagnies aériennes, maritimes, de complexes touristiques et autres entreprises de haute rentabilité. Fini le pillage de flibustiers. Voilà venu le temps des « capitaines d’industrie » et des groupes de presse.

L’autre signe, tout aussi significatif de la fébrilité qui s’est emparée des barons du régime et de leurs richissimes associés, est le lancement imminent de plusieurs journaux de la presse écrite, par des milliardaires algériens. Même le Directeur général de la télévision algérienne, l’inénarrable Hamraoui Habib Chawky, qui a réussi à amasser une fortune considérable dans des magouilles foncières et à la faveur de tractations avec des boites de production, dont on dit qu’il y possède des parts, est sorti du bois et a acquis des parts importantes dans des Quotidiens. Les relations privilégiées qu’il entretient avec tous les barons du régime, et son expertise avérée en matière de manipulation des masses, et de flagornerie débridée, dont il nous a donné récemment un tonitruant échantillon, le placent en bonne position pour le réaménagement du futur réaménagement de l’espace médiatique. Le meilleur rôle qui pourrait lui être confié serait de le maintenir à la tête de la télévision publique. Cela permettrait aux nouvelles chaînes de télévision de disposer, aux meilleures conditions, du fond archivique qui est la propriété de l’ENTV, mais dont l’usage sera incontournable pour les nouvelles télés..

Les Algériens vont bientôt découvrir les faveurs de la « diversité médiatique ». Dans ce qu’elle a de plus négatif. Avec l’ouverture de l’audiovisuel au privé, comme cela se passe dans le monde entier, ne manquera-t-on pas de nous le préciser, les Algériens n’auront droit ni à plus d’objectivité, ni à plus de liberté dans l’information. Ils n’auront pas la satisfaction de voir des dossiers sur les pratiques des généraux, sur les méthodes exécrables de pillage et de bradage de leurs richesses nationales, sur les crimes contre l’humanité commis par les généraux. Mais ils auront plein d’émissions débilitantes, de feuilletons à l’eau de rose et de journaux télévisés à la gloire des sauveurs de la république. Et pour cause, puisque tous les nouveaux directeurs généraux de ces futures chaînes seront des clones de Hamraoui Habib Chawky.

Djamaledine Benchenouf
14 mai 2008

Source: Tahiabladi.com

3 commentaires

  1. commentaire
    Y-a-t-il vraiment une presse en Algerie? Des journaux qui interdisent à des universitaires de s’exprimer, qui recrutent dans les marrecages de la societé, qui recommandent aux agences internationales via la secte du drs les noms des plumitifs à recruter et qui sont gérés par de sombres parvenus sortis on ne sait de quels horizons, peuvent-ils chér Djamel, être qualifier de journaux?

    • presse mediocre
      depuis des annees notre presse se regresse et meme le contenue des articles sont tres simples et sans aucun interet.je pense que le niveau de nos journalistes est tres faible.j’ai la nostalgie des nos plumes de jadis comme algeria actualite etcc..

  2. Tahiabladi, le black-out !
    Messieurs,bonsoir.

    Je vous ai personnellement prévenu de l’attaque par des hackers du site de votre confrère Djameleddine BENCHENNOUF.

    Aucune réaction de votre part!A tout le moins, vous devriez diffuser l’info sur votre site,non?

    j’ai dispatché la nouvelle vers quelques médias algériens à qui Mr BENCHENNOUF ouvrait son espace médiatique.

    Je compte sur votre esprit de solidarité pour battre le tambour de l’alerte! Mille merci.

    Un lecteur.

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