Le Dr Amine Zaoui et le Dr Abdelmadjid Chikhi sont deux membres éminents de l’intelligentsia algérienne, l’élite des élites. Universitaires au plus haut degré, grands commis de l’Etat, écrivains et poètes, ils assument les plus hautes responsabilités dans la préservation de la mémoire collective de la Nation. Amine Zaoui est le directeur général de la Bibliothèque Nationale, Conservateur du patrimoine culturel, gardien des trésors littéraires, manuscrits, et livres anciens. Abdelmadjid Chikhi est le directeur général des Archives Nationales, Conservateur de l’Histoire, gardien du temple de la mémoire.

Leurs compétences et leurs fonctions les ont hissés au rang de formateurs des élites. Parfaits bilingues, ils interviennent souvent sur les ondes de la radio et la télé dans des émissions littéraires et historiques. Ces deux érudits ont l’habitude d’organiser des rencontres publiques pour transmettre le Savoir aux universitaires et aux jeunes générations. C’est justement ce qu’ils envisageaient de faire dans un colloque pour commémorer le cinquantenaire de la conférence de Tanger… avant de se voir signifier un ordre de l’annuler.

C’est Abdelhamid Mehri, un des rares acteurs vivants de notre glorieuse Révolution présent à la conférence de Tanger en 1958, qui nous l’apprend dans sa lettre de protestation adressée au président Bouteflika: «J’ai participé, depuis deux mois ou plus, avec le frère, directeur général du Centre national des archives et le Docteur Amine Zaoui, directeur de la Bibliothèque nationale, à la préparation d’un colloque historique à caractère scientifique se rapportant au cinquantenaire de la conférence de Tanger qui a regroupé, en avril 1958, les partis qui ont conduit la bataille des indépendances en Tunisie et au Maroc, et le Front de libération nationale. J’ai été informé hier, 14 avril, que des instructions fermes, dont je ne connaissais pas la source, ont été signifiées aux deux institutions afin d’interrompre l’ensemble des dispositions et préparatifs de ce colloque et à renoncer définitivement à sa tenue», écrit l’ex-secrétaire général du FLN dans cette lettre datée du 15 avril.

Abdelhamid Mehri ignore les motifs et l’origine de cette annulation. «Je ne sais toujours pas se qui s’est produit. Abdelmadjid Chikhi et Amine Zaoui m’ont juste confirmé qu’ils avaient reçu des instructions pour tout arrêter. Mais ils ne m’ont pas donné la source qui a donné ces instructions». Il ajoute: «Je pense, Monsieur le président, que vous imaginez bien l’ampleur de la surprise, du choc et de l’embarras provoqués par cette décision et la gravité des interrogations qu’elle suscite. Il n’est guère besoin d’un surcroît d’explications, vous êtes, par votre passé et par votre position, suffisamment instruit pour percevoir toutes les dimensions de ces questions.» On imagine aisément le tollé qu’une telle infamie aurait provoqué dans des pays qui se respectent.

Mehri, qui n’a pas été «autorisé» à se rendre à Tanger, confirme ainsi indirectement les pressions qu’a subi le FLN pour boycotter la rencontre. Des informations ont même été publiées dans ce sens, avant de «préciser» que Belkhadem n’allait pas à Tanger en tant que chef du gouvernement. Ce témoignage de Mehri, ajouté au mauvais traitement médiatique des retrouvailles de Tanger, prouve que l’Etat algérien est infesté de négationnistes au plus haut niveau qui veulent interdire le devoir de mémoire, l’évocation de l’Histoire et donnent des instructions en ce sens à des institutions et à la presse qu’ils contrôlent.

Ce nouveau scandale ne doit pas en rester là. Il prouve à ceux qui font encore semblant de l’ignorer que le sabotage des fondements historiques et révolutionnaires de l’Etat est très profond. Ceux qui viennent ainsi piétiner notre mémoire en bafouant la noble mission de Zaoui et Chikhi sont les mêmes qui ordonnent aux magistrats de condamner des innocents «au nom du peuple». Ce sont eux qui, dans l’ombre qu’ils affectionnent, ordonnent aux banquiers de délivrer ou bloquer des crédits, ordonnent aux ministres de délivrer ou bloquer des agréments, etc…. Imbus de leur pouvoir occulte et dans leur sentiment d’impunité, ils s’imaginent que les hauts serviteurs de l’Etat et du peuple ne sont qu’à leur service… et ne se rebellent  jamais.

Il ne s’agit même plus d’un combat politique, mais de dignité. On a empêché Amine Zaoui et Abdelmadjid Chikhi d’exercer leur métier, l’essence même de leur raison d’être. A travers eux, c’est toute l’élite algérienne qui subit une fois de plus l’humiliation, une grave insulte à son intelligence et à son honneur. De quel droit des renégats de l’Histoire, tapis dans l’ombre du pouvoir, ont-ils osé porter une telle atteinte à la probité intellectuelle. Et de quel droit ne doivent-ils pas être dénoncés. Doit-on espérer que les martyrs ressuscitent de leur tombe pour laver cet affront fait à la Révolution? Ces négationnistes, traîtres de la Nation, doivent être montrés du doigt, lâchés à la vindicte populaire et bannis des fonctions qu’ils occupent.

Lorsqu’il n’y a plus d’arbitre pour faire respecter les règles, lorsque l’entourage devient indifférent et impuissant, lorsqu’on porte atteinte à leur honneur, à leur réputation et aux fruits de toute une vie de labeur, il ne reste qu’une seule chose à faire à Amine Zaoui et Abdelmadjid Chikhi, ainsi qu’à toutes les élites. Imiter le plus célèbre des Algériens, Zinedine Zidane, qui a lavé un simple affront verbal d’un coup de boule devant un milliard de téléspectateurs. Il a préféré défendre son honneur que soulever le trophée de la Coupe du monde. Son trophée, c’est d’abord sa dignité. Il en est sorti encore plus grand et son aura a dépassé les frontières du football.

Cette grave insulte à l’intelligence et à notre glorieuse Révolution peut-il enfin être compris comme un dernier signal d’alerte, un appel ultime à la révolte contre un pouvoir primitif, inculte, anti-révolutionnaire et anti-populaire qui dicte leur conduite aux intellectuels et aux grands commis de l’Etat assermentés. Les élites doivent enlever leurs lunettes, poser les stylos, dédaigner les privilèges, se relever et se battrent. «Arfaâ rassek ya ba !»

Saâd Lounès
1er mai 2008

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