Des rumeurs persistantes et des informations concordantes, peut être même des fuites organisées, relayées de bouche à oreille dans les salons algérois, font état de menaces d’attentat contre le Président Bouteflika qui auraient été mises en exécution s’il s’était déplacé à Constantine et Khenchela. Les "services de sécurité" auraient averti le Président et lui auraient fortement recommandé d’annuler sa visite. Aucune information émanant de sources officielles n’a été donnée sur l’annulation in extrémis de cette visite qui devait avoir lieu aujourd’hui lundi 14 janvier.

La Présidence de la République, encore une fois, n’a pas jugé bon de s’exprimer sur cette annulation ou ce report, affichant ostensiblement un silence qui en dit long.

La très officielle APS, si prompte habituellement à annoncer et commenter les activités présidentielles, n’y a pas fait la plus petite allusion et fait comme si rien ne s’était passé. Comme si un report d’une visite présidentielle, annoncée à grands renforts de communiqués, et préparée dans ses moindres détails, n’avait pas à être commenté.

En l’absence de la moindre information, les rumeurs sont allés bon train. Et c’est là où se trouve peut être une explication au laconisme ambiant. Y aurait-il une volonté d’alimenter la rumeur par le silence ? Le président, comme au lendemain des attentats du 11 décembre savait, en vétéran du système, que son mutisme inexpliqué, et surtout ostensible, voire assourdissant, allait donner libre cours à la spéculation. Cela fut le cas. Personne ne comprit que le Chef de l’Etat n’exprime pas la moindre parole de compassion pour les victimes, ni la plus petite condamnation des auteurs de ces horribles attentats qui avaient été commentés dans le monde entier, et condamnés publiquement par plusieurs Chefs d’état. Il n’en fallait pas plus, dans les chaumières, pour y voir, de la part du Président Bouteflika, comme une désignation des vrais auteurs de ce carnage. Ce fut comme s’il disait aux Algériens : "Voyez-vous, si ce crime abominable avait été commandité et commis par les terroristes, je me serais adressé à vous pour les fustiger et vous les désigner, je me serais déplacé à l’hôpital pour réconforter les blessés et je me serais rendu dans des familles de victimes pour leur présenter les condoléances de la nation. Mais en faisant cela, je me serais rendu complice des vrais commanditaires de ces crimes. Comme cela a été le cas à Batna. Parce que je les connais et que j’ai des preuves contre eux, les vrais commanditaires. Vous les connaissez aussi. Je ne suis pas en position de les combattre, parce que je ne fais pas confiance au peuple, qui est versatile et qu’on mène comme un troupeau, mais la moindre des choses que je puis faire est de ne pas jouer leur jeu en faisant comme si c’était l’oeuvre des seuls islamistes. Je sais que les vrais commanditaires sont des responsables du DRS et de l’Armée. J’observe un silence volontaire et total pour que vous compreniez, si tant est que vous n’avez pas encore compris. Je ne veux pas participer à leur mascarade et venir vous mentir, puisque je connais la vérité. C’est à vous maintenant de faire entendre votre voix. Vous êtes concernés après tout, puisque les victimes, c’est vous ! Qu’est ce qu’il faut que je fasse pour que vous vous bougiez ? Il ne faudrait pas quand même que vous ne comptiez que sur moi pour vous débarrasser de ces criminels. Boudiaf a bien essayé, lui. Ils l’ont dégommé en direct à la télé, et personne d’entre vous n’a levé le petit doigt. Pourtant en voulant les combattre après s’être fait piéger par eux, Boudiaf a voulu sauver l’Algérie, et pas sa personne. Il a cru pouvoir les combattre seul. Il l’a payé de sa vie, et ses assassins ont voulu faire de cet assassinat un exemple pour nous tous. Quiconque franchit leur ligne rouge, finira comme Boudiaf. Ils me l’ont dit entre deux allusions et en rigolant. Et vous, vous continuez à vivoter comme si de rien n’était, à vouloir manger des épines avec la bouche des autres. Alors ne comptez pas sur moi pour faire le sale boulot à votre place. Dieu ne change la situation d’un peuple, si le peuple ne fait rien pour lui même".

Bouteflika aurait-il trouvé là, l’unique moyen d’impliquer le peuple dans la lutte féroce qui déchire les clans depuis des mois, par fusibles interposés? Veut-il que nous prenions notre destinée en main, ou se sert-il seulement de nous pour lui tirer les marrons du feu? Pour sa seule convenance.

Est-il en train d’utiliser cette méthode de communication chère aux Nedromis qui consiste à dire les choses en se taisant, en modulant son silence, en l’entrecoupant par d’autres silences, et au mieux, à glisser un regard qui en dit long ? "El Andaloussi bel ichara" est le dicton roi à Nedroma.

Est-il en train de rééditer, avec ce report, la même méthode qu’après le 11 décembre ? Tout le laisse croire. Parce que cela n’aurait rien coûté, en effet, de faire un communiqué laconique, justifiant le report de cette visite par une quelconque raison officielle. Le fait de n’en rien faire procède donc d’une démarche délibérée. Bouteflika recherche le pourrissement et use d’une sorte d’inertie tactique pour déclencher un processus. C’est du grand art. En adoptant un total mutisme, il provoque un intérêt aigu de l’opinion autour de la question et jette, sans dire un seul mot, le doute et le discrédit sur ceux du camp adverse. Est ce de bonne guerre? Cela aboutira-t-il à la neutralisation de ses adversaires, ou tout cela n’est-il mis en oeuvre que pour les amener à négocier avec lui, dans un autre rapport des forces ? La différence est de taille.

En tous les cas, il semble bien, depuis le voyage à Tamanrasset, et l’annonce implicite pour un troisième mandat, en dehors des circuits partisans, pour ne rien devoir aux Belkhadem, Boudjerra and Co, que la dynamique se précipite et que le conflit entre dans une phase cruciale. De son côté, avec cet avertissement de menaces d’attentat lors des tournées de campagne, le clan DRS and Co, envoie un message clair, sans aucun codage : "Nous, les patrons du DRS, nous qui t’avons laissé devenir président, on n’est pas Belkhadem, Boudjerra and Co. Il faut compter avec nous et négocier le troisième mandat avec nous, et seulement avec nous ! Tes aboyeurs de Tam et d’ailleurs qui crient Ouahda thalitha, c’est du pipeau qui n’a pas sa place dans un orchestre philharmonique. Une bombe, c’est fait pour éclater où on veut, quand on veut, comme on veut. Avertissement sans frais. Ta populace, tu l’utiliseras quand on se sera mis d’accord. Pas question de nous forcer la main. Alors, tu viens, on discute, et on verra."

Djamaledine Benchenouf
14 janvier 2008

Tahia Bladi

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