Le débat pour un renouveau national reste possible

Les leçons concrètes de l’expérience sont de nature à favoriser ces évolutions. Aussi les déballages actuels peuvent s’avérer utiles à la refondation de la vie politique, mais seulement en s’appuyant sur les enseignements du réel. Bien que ces « règlements de comptes » apparents évacuent la question centrale de la démocratie et du social, ce qui est une faiblesse essentielle, ils fournissent même à leur insu quelques repères objectifs qui méritent d’être mis enfin énergiquement à l’ordre du jour. Les thèmes essentiels sont ceux liés aux stratégies économique et sociale de développement. Les deux stratégies sont étroitement liées, aussi bien dans un environnement international dominé par la main de fer de la haute finance mondialisée, que dans les contexte nationaux pollués par les marginalisations antidémocratiques et l’instrumentalisation des sensibilités identitaires légitimes des populations.

Depuis l’indépendance, ces problèmes ont suscité des interrogations dans l’Algérie profonde soucieuse de préserver un cadre d’existence vivable. Ces justes préoccupations ont été contrecarrées et dévoyées par les luttes intestines que les dominants allument sur le dos des populations avec l’effet de réduire leurs luttes légitimes à des grognes sans impact et des révoltes improductives. Des réponses utiles peuvent surgir à travers des débats dont l’enjeu pour une fois ne serait pas de donner raison à X contre Y ou de cautionner l’alignement inconditionnel sur des personnalités ou des clans. La gravité de la situation incite à aller au fond des choses, à dépasser les susceptibilités et les heurts du passé non pour en ignorer les erreurs mais pour faire prévaloir les analyses et les solutions les plus conformes à l’intérêt général.

Ce genre de débats est devenu possible malgré l’obstruction de cercles qui s’accrochent à l’illusion de cacher le soleil avec un tamis. L’expérience nationale et mondiale a commencé à apporter des matériaux irréfutables aux interrogations restées à ce jour sans réponse. Le débat restera stérile s’il est circonscrit au ping-pong des notables. Il peut au contraire réellement fructifier en actions porteuses autour des vrais problèmes, éclairant les luttes et éclairés par elles, faisant reculer les motifs de scepticisme et de résignation.

Je voudrais comme exemple encourageant, citer parmi d’autres de plus en plus nombreux, celui de l’action récente des travailleurs et syndicats d’El Hadjar. Ce complexe industriel, avec d’autres entreprises et chantiers d’Algérie, n’a cessé d’être un phare dans les luttes pour l’édification et la justice sociale depuis l’indépendance, Il vient à nouveau malgré sa privatisation, de proclamer dans les faits que l’Algérie, ses biens, sa population et ses espoirs ne sont pas à vendre au bazar des multinationales.

Les ressources nationales et le travail humain doivent être honorés à leur juste valeur et non jetés en pâture à la voracité des affairistes nationaux et internationaux. Il n’y a pas de développement économique et de cohésion nationale sans démocratie sociale et respect du monde des travailleurs. L’Algérie a droit à une stabilité démocratique porteuse de bien-être matériel et moral.

Quel avenir ?

Ne devrait-on pas méditer un épisode crucial de notre histoire contemporaine ? L’événement a marqué en octobre 1988 une bifurcation néfaste quand les espoirs pointaient sérieusement de mette fin à l‘aberration du système étouffoir de liberté et de prospérité instauré à l’indépendance.

En quoi a consisté le choix maléfique imposé par le système pour se survivre ? Quelle logique profonde s’est-elle aggravée à ce moment précis jusqu’à transformer l’Algérie en proie impuissante du brasier où elle allait tomber sous peu ? Comment les clans rivaux au sommet ont-ils cru trouver une issue à leurs déchirements ?

Ils ont décidé de frapper un mouvement de masse syndical, celui des milliers de travailleurs conscients, organisés, disciplinés de la zone industrielle de Rouiba-Reghaïa et de réprimer sauvagement « à titre préventif » les dizaines de cadres syndicaux actifs de l’Algérois, parce qu’ensemble ils avaient projeté une puissante marche pacifique des travailleurs en grève sur Alger. Ces clans rivaux au sommet ont préféré dans le même temps miser et spéculer sur le déploiement destructeur de quelques centaines d’adolescents dépolitisés qu’ils ont déchaîné contre les établissements publics (on aurait aimé que les déballages publics apportent quelque lumière nouvelle sur ces évènements).

On connaît les enchaînements diaboliques ultérieurs. Les centaines de jeunes victimes mitraillées en ces journées d’Octobre n’ont été qu’un sinistre et minime prélude des années à venir. Comment aurait évolué l’Algérie si les mentalités dominantes au pouvoir et les capacités de mobilisation consciente de la société avaient été autres ? N’est-il pas temps de dire à tous les niveaux de l’Algérie : Halte aux apprentis sorciers sur le dos de la nation ! Une fois de plus, préparons notre société à reprendre la parole et à mieux s’en servir ! Oeuvrons et apprenons ensemble à l’école de la vraie radicalité. Non pas celle qui se polarise sur les violences verbales ou autres et s’arrête au constat des fléaux spectaculaires qui frappent le pays. Faisons progresser la radicalité qui se consacre à l’action unie pour dévoiler les causes des maux et en extirper les racines,

Espoirs sans lendemains ? Notre peuple et ses acquis, y compris nos expériences douloureuses, n’en sont-ils pas dignes ? Il y a quelques mois encore, qui croyait que nos voisins de Mauritanie allaient réaliser un début de percée démocratique avec sagesse et de façon dynamique? On est certes loin de la vague de fond des peuples de l’Amérique latino-indienne. Mais ces derniers n’avaient-ils pas connu eux aussi durant des décennies des problèmes similaires aux nôtres ?

Sadek Hadjerès
24 août 2007

paru le 29 août 2007 dans le Soir d’Algérie

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