L’islam souffre depuis 15 siècles de sa perméabilité à l’interprétation, chacun pouvant à sa guise en décliner une vision et s’affirmer le garant de l’orthodoxie. Pour compléter cette foison, Charlie Hebdo du 8 février nous en a livré une ultime interprétation, qui a bénéficié pour son marketing de sa une et, par ricochet, de la couverture des télés du monde entier.

Il est dérisoire que, parvenue à ce stade de son « évolution », l’humanité se pose la question de savoir si l’on peut tout dire, tout écrire, rire de tout. Aussitôt clôturées les commémorations des terribles aventures des sorciers génocidaires du siècle précédent, les promesses de « plus jamais cela » sont oubliées. Oublié aussi que l’on ne peut pas faire l’apologie du nazisme en particulier ni de la haine raciale en général, diffamer, appeler au meurtre, nier l’holocauste ou tenir des propos antisémites ou homophobes. La xénophobie retrouve ses lettres de noblesse, elle se décline ostensiblement à la télé, dans des livres, dans les journaux, dans les programmes politiques, au sommet de la hiérarchie des projets futurs, de même que le caractère « positif » de la colonisation s’inscrit dans le marbre.

La phrase de Sarkozy résume la situation : « Je préfère l’excès de caricature à l’excès de censure », dit-il. Que pensent ceux qui refusent la violence, le racisme, la colonisation, les spoliations à grande échelle, les injustices, la guerre, le terrorisme, l’insulte ? Ceux-là sont voués à être exclus d’une certaine interprétation de la « liberté d’expression » qui semble s’imposer, au travers de la brèche des caricatures de « Mahomet ». La majorité muselée a le choix de s’aligner sur Sarkozy, Bush ou Val d’un côté, ou sur Ben Laden de l’autre. Sous couvert d’islam pour les uns et de lutte contre l’islamisme pour les autres, toute pensée nuancée est proscrite. Les réfractaires sont marginalisés, déjà suspects de ne pas savoir choisir promptement entre le Bien et le Mal… Plus mal que mal donc, puisque coupables d’hypocrisie en plus.

Philipe Val apprenti dictateur

« La guerre civile des années quatre vingt dix a fait plus de cent cinquante mille victimes, assassinées par les islamismes. Des journalistes, des artistes, des paysans, des juristes… Nombre d’Algériens, dont la vie était menacée, se sont exilés en France. On peut imaginer combien, à leurs yeux, la critique de la religion n’a rien à voir avec un quelconque racisme anti-arabe. » C’est là un extrait de l’éditorial de Philipe Val dans Charlie Hebdo.

Voilà en quelques mots déséquilibrés Philipe Val promu porte-parole de tous les Algériens, voyant à travers leurs yeux. Mais il n’allait pas s’en tenir là et le voilà derechef parti à l’assaut de tous les plateaux de télévision française pour faire la promotion de sa croisade. On le retrouve ainsi dans Ripostes le dimanche 19 février, où il coupe la parole à Fouad Alaoui (présent là au titre de représentant des musulmans, et par extension de tous les Maghrébins, titre qu’il a gagné grâce à la contribution de Nicolas Sarkozy à l’intégration de cette « communauté » dans la République) car, lui dit-il : « Vous ne représentez qu’une partie infime des musulmans ! ». Qui représente donc la partie majoritaire ? Philipe Val, bien sûr. Mais il ne néglige pas de chercher où il peut d’improbables soutiens. Serge Moati (adepte de la non-ingérence étrangère dans les affaires franco-françaises) a ainsi fait venir d’Algérie Dilem (qui dit qu’avec les islamistes « c’est clair, il vous trouvent, ils vous zigouillent » avant d’affirmer naïvement : « Je vis tout à fait normalement ») et de Tunisie Abdelwahab Meddeb (qui pousse une gueulante à blanc contre le « fascisme »(1)) pour faire chacun à sa façon un plaidoyer pour la dictature. Philipe Val est aussi la vedette de la soirée Théma d’Arte le 22 février, animée par Daniel Cohn-Bendit. Là encore, il n’a qu’un mot à la bouche, l’Algérie, l’Algérie, l’Algérie. Chaque fois, les Algériens présents, des républicains, des laïques, des féministes, ont beau affirmer qu’ils le réprouvent, lui n’en démord pas : il sait mieux qu’eux ce que pensent les Algériens. Comment ? Lui auraient-ils communiqué leurs plus intimes pensées par télépathie ? On n’en saura rien puisque personne n’a poussé le sacrilège jusqu’à lui contester ce pouvoir exorbitant.

Philipe Val innove-t-il un tant soit peu ? Non et oui à la fois. Non, car il s’inscrit dans la lignée depuis 1830 de ces Français qui apportent « les lumières » aux Algériens (cela vaut bien alors le sacrifice de quelques centaines de milliers d’innocents) ; Oui, car si les dictateurs se donnent la peine d’organiser des scrutins aux urnes pré-bourrées (2), Philipe Val lui s’affranchit de cette contrainte et s’autoproclame porte-parole universel des Algériens sans solliciter l’avis de personne. Et s’ils s’obstinent à ne pas l’accepter pour tel, alors ce sont d’affreux islamo-gauchistes. Philipe Val est décidément un médiocre apprenti dictateur.

Philipe Val apprenti censeur

Ayant disqualifié ceux qui sont coupables d’islamisme avéré, et les crypto-islamistes, il s’en prend ensuite à ceux qui ont bon dos (pour cause, ils ne sont pas là pour lui répondre). En effet, certaines publications parues récemment en France sont restées en travers de la gorge de notre chantre de la liberté d’expression, et il n’hésite pas à le dire, en lançant un « clin d’œil » complice à Dilem : « Malheureusement on a en France des islamo-gauchistes qui publient des livres dans une maison d’édition dont je ne citerai pas le nom, ce serait lui faire de la publicité ». Et que leur reproche-t-il à ces livres ? « Ils mettent en cause les militaires dans les massacres de civils durant la décennie 1990 ». Et ça, Philipe Val, il ne le supporte pas ; il pousse le « négationnisme » jusqu’à contester les crimes que les généraux eux-mêmes ont amplement admis (au point que l’année politique 2005 s’est réduite à leur garantir l’amnistie nationale, en attendant celle que doit leur apporter Jacques Chirac à l’échelle mondiale via un traité prescripteur d’amitié avec la France).

Avant d’aller plus loin, levons le voile sur ce qui met Monsieur Val dans cet état. Les ouvrages dont il parle sont dans l’ordre chronologique Qui a tué à Bentalha, La Sale guerre et Françalgérie, crimes et mensonges d’États ; la maison d’édition dont il tient à TAIRE le nom, c’est l’une des plus respectées du paysage culturel français, La Découverte, continuatrice des éditions François Maspéro dont l’œuvre impose le respect. Trois ouvrages qui, chacun dans son registre, ont apporté des éclairages jamais démentis de bonne foi sur l’implication massive de l’armée algérienne et de ses services secrets dans la planification et l’exécution du massacre barbare de plusieurs dizaines de milliers d’Algériens. Ils ont aussi mis en évidence l’incroyable complicité dont a bénéficié en France ce crime contre l’humanité, au sein de l’État français mais également parmi les intellectuels et les médias. Les deux premiers ouvrages sont les récits courageux de deux témoins directs ; ils ont largement contribué à la compréhension de la vague de barbarie dont il s’obstine contre l’évidence à imputer l’intégralité aux seuls islamistes. Le troisième, dont je suis co-auteur, et une interminable succession de faits avérés (et dont Charlie Hebdo a nié l’existence à ses lecteurs, ce qui est assez significatif du respect qu’il leur voue ; c’est dire aussi que la « liberté d’expression » dont il drape ses intentions est problématique), avec pour témoins toutes les composantes de la société algérienne, particuliers, journalistes, hommes politiques, anciens hauts dirigeants, anciens politiciens, anciens diplomates, anciens agents des services secrets, intellectuels, responsables économiques et autres et, du côté français, des hommes politiques, des policiers – dont rien de moins qu’un ex-chef de la DST et un juge antiterroriste -, des journalistes, des diplomates, des intellectuels, etc. Un livre contre lequel ses rares détracteurs au sein du sérail éradicateur franco-algérien n’ont trouvé aucun argument recevable à opposer sinon qu’il pourrait remettre les islamistes en selle (une chance que les islamistes n’aient pas pensé jusqu’ici à louer les vertus de l’oxygène, ces apôtres de la laïcité nous auraient depuis longtemps enjoint de ne plus respirer). Bref, même comme apprenti censeur, Philipe Val est d’une affligeante indigence.

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