Philipe Val apprenti intellectuel « négatif »

Philipe Val, on le voit, ne défend pas la liberté de la presse pour les principes universels que cela suggère mais par corporatisme. Il ne défend pas la liberté, mais la presse, comme un entrepreneur ou un directeur de prison défendraient le droit d’agir selon son bon vouloir dans l’établissement où il siège. Et d’un plateau à l’autre auquel il participe, la démocratie sort quelque peu malmenée… Car, entre-temps, on a vu à peu près le même personnel sur le plateau d’Arrêt sur images le 19 février, avec l’indéboulonnable Dilem (à une autre époque, ce fut Khalida Messaoudi qui jouait ce rôle ; elle était alors une « Algérienne debout », chantre irréductible de la liberté de la femme ; aujourd’hui on ignore quelle posture elle adopte en promouvant aux côtés de Bouteflika un code de la famille « amélioré » qui fait de la femme un objet sommé de se présenter au mariage avec « un certificat de virginité »), rehaussé cette fois de la présence des journalistes Jean-Paul Lepers et Plantu. Mais là, miracle, la présence de ces deux intellectuels a fait faire un bond qualitatif certain au débat…

Plantu est aux USA quand on lui commande une caricature sur « l’affaire des caricatures ». Il raconte son travail solitaire, tiraillé par la crainte de mal faire, avec pour seules armes sa plume et son cerveau, qui lui dresse des barrières à ne pas franchir, celles de l’iniquité, du racisme, de l’islamophobie ; résultat un travail remarquable, sur lequel quasi personne n’a trouvé à redire. Pourtant c’est bien le « Mahomet » qu’il a caricaturé. Est-ce à dire que c’est moins les caricatures du prophète qui indignent que les sentiments xénophobes que leurs auteurs y ont mis ? Hormis l’intelligence dont Plantu ne s’est pas départi en s’attelant à sa tâche intellectuelle, le secret de son œuvre respectable réside aussi dans son caractère « solitaire », c’est-à-dire tout le contraire de ce qu’ont fait les caricaturistes de Charlie Hebdo. On imagine aisément ces derniers assis autour de la table en train de s’émuler mutuellement vers la dérive, un travail de « meute » en quelque sorte derrière le meneur Philipe Val (et gare aux frileux !), de la même espèce que ces « é-meutiers » qui assaillent les consulats danois et français, derrière des meneurs aux intentions aussi détestables que louches. Une semaine après, Jean-Paul Lepers rend visite à Charlie Hebdo et trouve ses caricaturistes envahis par « le blues », tels ces jeunes en tout point « gentils » qui défraient les chroniques au sortir d’une « tournante » où les a entraînés quelque « barbare » influent.

Cette pauvreté intellectuelle qui a jailli dans les pages de son hebdo, Philipe Val l’a accompagnée d’un argument massue : « Nous sommes dans le pays de Voltaire et de Zola et non dans le pays de Khomeiny ». Faute de rallier « les Algériens », l’évocation de Voltaire devrait suffire, pensait-il sans doute, à entraîner une meute derrière lui. Peine perdue ; peu de candidats pour le suivre, sinon Max Gallo qui lui dispute ici et là, selon l’expression de Bourdieu, la place d’« intellectuel négatif » laissée vacante ces derniers temps. Elle était occupée durant la décennie 1990, avec le même credo de blanchir la junte militaire algérienne de leurs crimes contre l’humanité, par Bernard-Henry Lévy. Mais BHL avait au moins un peu d’étoffe ; il ne se contentait pas de citer des noms de philosophes, il les avait aussi lus, ce qui lui permettait d’enrober son discours d’authentiques citations. Philipe Val lui semble avoir une culture si poussive qu’il se sent obligé d’apporter la preuve de sa connaissance de la civilisation musulmane, en citant, péniblement…, Omar Khayyam et…, Averroès (il a dû le connaître en lisant l’enseigne d’une librairie du même nom dans le 5ème arrondissement). Philipe Val s’affranchit de la contrainte triviale de culture, même pour l’intellectuel négatif.

Philipe Val apprenti sorcier

Philipe Val est donc un piètre apprenti dictateur, un médiocre apprenti censeur, un grotesque apprenti intellectuel négatif, il lui reste une issue dans le monde terrifiant en gestation où les détenteurs de tous les pouvoirs s’échinent à vouloir nous entraîner : l’apprenti sorcier.

Impuissants à répondre aux impératifs des nouvelles donnes économiques, à juguler le chômage, la fuite des capitaux, les délocalisations, à mettre fin à la poubellisation du monde, à assurer la sécurité des citoyens, à les mettre à l’abri d’épidémies, à leur garantir une justice équitable, etc., quels arguments peuvent trouver les hommes politiques pour se faire élire, et leurs complices pour conserver leurs privilèges ? Rien à l’horizon. Alors, il reste la manipulation, le simulacre d’activité politique, le simulacre de débats contradictoires, le simulacres de lutte anti-terroriste (sur fond de simulations d’attentats chimico-bactériologiques, d’échos de terroristes prêts à passer à l’action, d’armes de destruction massive égarées et qui seraient passées entre les mains de terroristes, d’attentats déjoués, revendiqués par des courriers tombés miraculeusement entre les mains des services français et américains, toutes choses virtuelles que nous devons nous tenir pour dites, « foi » de Georges Bush, de Nicolas Sarkozy et de Jean-Louis Bruguière). Or, il ne faut pas aller loin pour trouver un précédent ; les généraux algériens ont expérimenté tout l’arsenal de la manipulation depuis quinze ans et ils sont encore au pouvoir, plus indétrônables que jamais. Est-ce donc un hasard si Philipe Val n’a qu’un mot à la bouche, l’Algérie ? Est-il si naïf de lire les exhortations des meneurs que sont Val (en médiocre Voltaire), Sarkozy (en médiocre républicain), Bush (en médiocre emblème du monde démocratique) dans cette perspective de l’« école algérienne » ?

Mais il reste à nous interroger sur nous-même, pour comprendre pourquoi l’on ne ressent à écouter Philipe Val promouvant la liberté d’expression – qui nous tient pourtant tant à cœur – qu’une pressante envie de vomir. Pourquoi étant profondément opposés à toute forme de violence, sortons-nous enclins à comprendre les « hystéries » des foules arabes ? Pourquoi malgré de dégoût que nous inspire le boucher Saddam, éprouvons-nous une sorte de malaise en le voyant dans sa cage ? Est-ce manquer de compassion envers les condamnés d’Outreau que d’en éprouver à l’égard du juge Burgot pris comme un lapin de garenne dans une chasse à courre ? Sommes-nous, comme le suggère Philipe Val, subitement devenus perméables aux sirènes de l’islamo-gauchisme ? Ou bien refusons-nous simplement de nous aligner derrière les pôles d’un monde binaire où le Bien et le Mal ne s’opposent publiquement que pour mieux se confondre dans les coulisses ?

Face à des choix nihilistes, face à la caricature d’humanité, dans ce dernier réduit de notre conscience inaccessible aux manipulateurs, ne faisons-nous pas que résister en accordant notre préférence tacite au plus faible contre le plus fort, au proscrit contre le dictateur, aux damnés de la terre contre les planificateurs de la déchéance humaine ? Ce sont au final ces caricatures-là qui sont les plus révoltantes, la caricature d’hommes politiques, les caricatures d’intellectuels, les caricatures de défenseurs des valeurs nobles. S’il était des nôtres, Voltaire prendrait-il comme Val le parti des puissants contre les faibles ? On peut en douter. Et, quelque répulsion qu’il éprouverait devant ses idées, il lui dirait simplement : « je ne partage pas vos idées, mais je militerai pour que vous puissiez les exprimer ». Mais Voltaire se trouve dans une position qui lui impose un certain devoir de réserve, et c’est sans doute pour cela que Philipe Val le cite aussi abondamment en appui de son argumentation claudicante. Pauvre Voltaire, tiré du sommeil du juste pour découvrir qu’il a pour piètre apôtre de ses épîtres le… pitre… Val-Taire. Dans l’épopée de « l’évolution » des espèces, la régression est manifeste…

Notes

1) La seule fois où Olivier Roy a voulu entraîner le débat sur le terrain glissant du lèse-majesté Benali, l’intervention intempestive de Philipe Val l’en a empêché ; on n’allait tout de même pas fâcher cet intellectuel de service avec cet autre contributeur universel à la liberté d’expression qu’est le général Benali.

2) Abdelaziz Bouteflika a ainsi, lors du référendum du 29 septembre, réussi à faire voter 20 % des Algériens.

Lounis Aggoun
27 février 2006

1 2

Comments are closed.

Exit mobile version