Les peuples en ont assez. Des mouvements protestataires sont en train de naître partout dans le monde arabe à l’image de « kifaya » en Egypte s’écriant : ça suffit ! Kifaya ! Ça suffit la répression, le mépris des peuples, la terreur, la corruption, l’impunité !  Ça suffit la police politique, les tortures, les détentions arbitraires, les dénis de droits et de liberté ! Partout s’élèvent des slogans traduisant l’angoisse, la détresse, le désarroi des peuples. Les manifestations de masses se multiplient malgré les interdictions et la répression sanglante.

Il est incontestable que le changement s’impose à tous points de vue et de manière urgente car il y va de l’existence même de la communauté musulmane. Cette dernière a besoin d’une dynamique nouvelle, d’un sang nouveau et de têtes nouvelles.

Comment peut-on expliquer l’échec de deux siècles de militantisme islamique ? Certes, l’occident, en  plus des conquêtes coloniales, endosse une part de responsabilité dans l’impitoyable guerre par procuration contre ce qu’il appelle « l’islam politique », mais les musulmans n’en demeurent  pas moins responsables dans leur immense majorité. Ceux-ci sont responsables, les uns du fait de leur ralliement à des régimes dictatoriaux, les autres à cause de leur démission, de leur inaction, de leur indifférence face aux injustices, à la corruption et au désordre qui sévissent dans leurs pays. Ils ne veulent faire cesser le mal ni par la main ni par la langue ni même par le cœur, de ce fait ils sont doublement responsables devant Dieu puis devant l’histoire et les générations futures. Ceux qui se sont engagés dans la lutte, qu’elle soit politique ou militaire, sont également responsables. D’une part, ceux qui ont pris les armes se sont rendus coupables d’actes de violence qui ne trouvent aucune justification islamique, n’ayant rien à voir avec les règles du combat en Islam. Ils se sont attaqués à des innocents et ils ont commis des atrocités et des injustices pouvant à elles seules leur barrer le chemin de toute victoire venant de Dieu. D’autre part, les uns et les autres   manquent cruellement d’expérience, d’organisation, d’ouverture d’esprit, bref de culture politique leur permettant de s’entraimer et  d’éviter les conceptions réductrices, égoïstes, la vanité, la division et les querelles intestines. Toutes ces déficiences, outre le fait qu’elles constituent des obstacles à l’aide de Dieu et aussi des portes d’accès à des velléités sataniques, sont lourdes de conséquences en matière politique. Aucune réussite n’est possible dans pareilles conditions. Dans ce contexte, il serait injuste d’occulter les efforts louables d’une minorité dont la fermeté et la persévérance ont permis de maintenir un certain équilibre des rapports de force.

Il n’est ni redondant ni superflu d’insister sur ce point : la situation est tellement catastrophique qu’il est insensé d’y rester indifférent. Il est temps de réagir. Sans quoi, des torrents de colère et des vagues de révolte menacent d’emporter tout le monde. Il est plus qu’urgent d’intervenir pour la recherche d’une solution, d’un remède, d’une alternative pour empêcher le naufrage. Quelle est l’alternative et quels sont les moyens permettant le passage à l’alternative ? Il appartient à tout intellectuel concerné de se poser ces questions. Faut-il rééditer les expériences passées ? Ou bien rentrer dans les rangs de partis fantoches qui n’attendent que les quotas de sièges au parlement et de postes à l’exécutif ? Comment changer cette situation de plus en plus chaotique et explosive ?

A mon humble avis, la solution doit être recherchée dans les luttes sociales. Compte tenu du fait qu’un vent de changement est en train de souffler sur de nombreux pays à l’Est et à l’Ouest, que les mouvements de rue se multiplient, balayant de nombreux régimes corrompus qui ne doivent qu’au mortier ou à la fraude leur maintien au pouvoir. C’est le cas entre autres de l’Equateur (1997), du Pérou (2000), de l’Argentine (2001), de la Serbie (2000 et 2003), de la Bolivie (2003 et 2005), de la révolution des roses en Géorgie (2003), de la révolution orange en Ukraine (2004).

Il ne fait aucun doute que l’heure des régimes arabes va bientôt sonner, leur chute est proche, l’injustice ne peut pas prospérer. La naissance de « kifaya » en Egypte n’est que le début d’un épisode qui en dira  long sur le courroux des peuples. Un mouvement sans soutien partisan, sans idéologie ni programme politique, regroupant différentes tendances de gauche et de droite, nationalistes, islamistes, indépendants, occupant les rues et les places publiques, scandant des slogans de rejet et de ras-le-bol, mû par le seul désir du changement. Il est incontestable que ces mouvements se révèlent être un moyen de lutte efficace contre la corruption, la dictature, l’impunité et la fraude.

Doit-on attendre l’émergence de pareils mouvements ? N’est-il pas nécessaire de les encadrer, de les intégrer dans une structure afin d’éviter les débordements susceptibles de conduire à l’anarchie et au désordre ? Il est certain que ces mouvements incontrôlés peuvent disparaître dans la nature et ce serait un énorme gâchis. Comme ils peuvent, s’ils ne sont pas maîtrisés, avoir des conséquences plus tragiques que celles engendrées par les régimes que l’on veut changer. Mieux vaut anticiper leur émergence afin de pouvoir les contrôler, car intervenir après leur naissance, ce serait purement et simplement de la récupération ? Qui plus est, celle-ci est-elle possible ? Rien n’est moins sûr. Il y a lieu donc de les devancer par la mise en place de structures, toutes tendances confondues, capables de les encadrer et de les contrôler.

En conséquence, Il est temps et d’une nécessité impérieuse de créer dans chaque pays une structure fédérative  de type syndical, associatif ou autre mais non partisan, une sorte d’alliance ou de ligue nationale des oppositions qui aura pour mission d’observer, d’amplifier, de coordonner et de contrôler les luttes sociales, en l’occurrence les marches, les opérations villes mortes, les sit-in, les grèves, en somme les manifestations, de sorte qu’elles ne soient pas dispersées et désordonnées. Ces structures doivent se caractériser par l’unité et la cohésion, loin des discordes et des disputes partisanes. Elles doivent être ouvertes mais inexpugnables, au service de la Umma et de la vérité, sans désir de grandeur ni de richesse ni de célébrité.

Elles doivent inciter les masses à persévérer dans les marches, les manifestations et les grèves jusqu’à ce que le pouvoir accepte de dialoguer avec les représentants non parlementaires du peuple. A ce stade du dialogue, chaque structure doit tenir compte des particularités de son pays, il n’y a pas une solution miracle applicable à l’ensemble des pays. On peut néanmoins présenter l’ébauche d’un projet pouvant s’adapter à plusieurs situations dans le cadre de la mise en œuvre d’un processus de normalisation institutionnelle, en d’autres termes un processus de démocratisation véritable. Il s’agit d’enclencher certains mécanismes et d’en désactiver d’autres. A cet effet, il y a lieu de décréter une période transitoire ainsi que la création d’institutions pour la gérer et pour expédier les affaires courantes, ce qui implique :

La mise en place d’un conseil national de transition composé de personnalités désignées par le dialogue et ayant pour mission de procéder :

1) à la mise en place d’un gouvernement de transition

2) à l’assainissement du dispositif électoral  (élaboration d’un nouveau découpage électoral, de nouvelles listes électorales, d’un nouveau code électoral, etc)

3) à l’organisation d’un référendum au cours duquel le peuple se prononcera sur la nature du régime qui servira d’Alternative au pouvoir, à savoir : Islam, socialisme, capitalisme, monarchie, démocratie, il faudra préciser quelle démocratie : islamique, chrétienne, laïque, sociale.

4) à la mise en place d’une assemblée constituante qui aura pour mission de rédiger la constitution sur la base du choix du peuple, de fixer la date des élections présidentielles, législatives et locales, d’organiser et de contrôler leur déroulement en s’entourant des garanties de leur transparence et de leur crédibilité. Durant la période de transition, le chef de l’Etat pourrait faire partie du Conseil national de Transition, le présider  ou, faute d’accord,  continuer à expédier les affaires courantes en collaboration avec ce dernier ( le Conseil national de Transition). Les assemblées parlementaires, sénat et assemblée nationale, seront dissoutes. La mission du Conseil national de Transition prendra fin après la mise en place de nouvelles  institutions de l’Etat et l’approbation par référendum de la constitution.

Des observateurs internationaux doivent accompagner la mise en place du processus démocratique susmentionné du début jusqu’à la fin.

Ahmed Simozrag
8 juin 2005

Version allemande:
https://www.hoggar.org/index.php?option=com_content&task=view&id=88&Itemid=29

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