Très nombreux, sans doute unanimes, furent les Algériens à trouver que la prestation du CRAAG pendant le séisme de Boumerdès fut loin d’être exempte de reproches. Il ne s’agit pas de la fausse estimation de la magnitude du séisme qui en est la cause. Les bourdes, toutes les élites en ont de temps en temps. Même si la tendance pour les séismes superficiels est plutôt vers l’excès, la brèche ouverte par la mauvaise sous estimation aurait pu néanmoins être rapidement colmatée si on avait humblement jugé utile d’en prendre acte et d’assumer. L’embarras (si embarras y avait eu) aurait été vite dissipé et oublié. Le CRAAG aurait même pu alors, en mettant en avant le sous équipement et le sous encadrement, bénéficier de l’élan de sympathie et de solidarité comme le reste des sinistrés. Un jugement scientifique de valeur aurait alors été impossible à avancer. Rien de cela ne fut. Le CRAAG opta pour une piste pour le moins surprenante en défendant, des jours durant, contre vents et marées, une explication pleine d’incohérences. Il fut certes desservi par la sur-médiatisation et l’acharnement de certains journalistes sur le refrain des répliques. Initialisation à 5.2 dés le premier communiqué, autrement dit à plusieurs milliers de pourcents en termes énergétiques. Incrémentation jusqu’à 5.8 lors du deuxième communiqué et puis de la bouche du premier responsable, la suite passa à 6.2 sans jamais converger. Il n’est plus nécessaire dés lors d’être prix Nobel de géophysique, génie sismique ou géologie, pour ressentir le malaise de Bouzaréah. C’est là que le véritable préjudice fut causé et consommé par les pauvres Algériens “incapables jusqu’à mesurer leurs malheurs”. La thèse de mesure “locale” ou “nationale” fut tout de suite anéantie par les répliques, subitement mieux estimées, et qu’on confirma être de Zemmouri et non d’un lointain Kobé. L’embarras, qui en règle générale doit pudiquement être évité, devient hélas dans de pareilles situations une obligation thérapeutique incontournable. Si les concernés ne s’en chargent pas, d’autres le feront à leur place. Remarqué fut ainsi, le silence observé par les experts du domaine, laissant ainsi l’initiative aux journalistes et responsables politiques qui, par des insinuations courtoises, ont clairement fait passer le message.

Au delà de la mésaventure des gens du CRAAG, auxquels nous souhaitons suffisamment de réserve pour absorber cet embarras et le positiver et, pourquoi pas, rebondir lors des inévitables prochaines échéances sismiques, le silence corporatif des scientifiques sur les erreurs de leurs collègues mérite quelques réflexions. Est-il dans l’intérêt d’une profession (médecine, engineering, justice, journalisme …) que des collègues couvrent les bavures professionnelles de leurs pairs ? Est-il légitime pour les scientifiques de se plaindre de la place que leur accordent la société et les pouvoirs publics et de protester contre l’image que se font d’eux ces derniers sans daigner se regarder dans le miroir et sans se soucier du signal émis ? On ne peut impunément laisser faire des pratiques abîmant cette image, telles que ce syndicalisme universitaire qui ne cesse de niveler et raser par le bas et qui n’a de revendications que dans le sens de la consécration de la médiocrité. Dans le triste épisode du CRAAG, en abandonnant l’initiative aux caricaturistes et politiciens, c’est toute la communauté scientifique qui se trouve ainsi épinglée. Nos politiciens ont tenu le meilleur rôle cette fois-ci et nous ont bel et bien et damé le pion. Entre la compétence et la médiocrité il n’y a qu’un pas. Il suffit d’une mauvaise attitude, d’une inaction ou d’un silence inapproprié, de si peu, pour basculer.

Il est aussi question d’attitude dans le grand débat post-sismique sur les enseignements à tirer et les correctifs à apporter. Une mauvaise approche peut faire avorter tout le processus. L’acharnement à vouloir trouver des coupables et boucs émissaires peut s’avérer plus préjudiciable qu’utile. Quand il s’agit d’un véritable fléau national, comme c’est le cas pour la mauvaise production du béton en Algérie [1], les responsabilités sont tellement imbriquées et diluées que c’est la faute soit à tout le monde ou bien à personne. Une entreprise de réalisation se déchargera vite en compromettant les maîtres d’œuvre et d’ouvrage. Ces derniers ne manqueront pas de mouiller l’organisme de contrôle et tout le monde pointera le doigt vers les décideurs locaux et nationaux qui les ont désignés, pour qu’en fin de compte les sinistrés se retrouvent accusés d’avoir participé aux élections. La recherche de véritables coupables n’est indésirable ni en soi ni pour sa complexité mais surtout pour ses conséquences néfastes sur les attitudes de beaucoup d’intervenants. Différents responsables d’organismes, craignant d’être mêlés ou se sentant obligés d’assumer un passif qui n’est pas le leur, réagiront alors en se mettant d’abord dans une position défensive forcément inconfortable, mais surtout en tentant d’occulter les véritables causes et problèmes, qu’ils jugeront compromettants, et fausser ainsi les diagnostics pertinents. Ils constitueraient en fin de compte un obstacle majeur, et la prise en charge des urgences prioritaires serait ainsi reportée aux prochaines catastrophes. On se contenterait de retouches telles le sur-classement en zonage sismique de la région touchée et d’apport de nouvelles modifications à un règlement parasismique venant pourtant juste d’être amendé.

S’agissant de défaillances collectives ou de crises de dimension nationale, sans faciliter et accompagner les uns et les autres dans l’identification et la reconnaissance des erreurs, la culture de la médiocrité s’enracinera et sévira chaque jour un peu plus et les manifestations d’activités sismiques ou climatiques naturelles risqueront d’être tragiques chaque fois davantage.

Abdelhamid Charif
17 juin 2003

[1] A propos du béton Algérien, Le Quotidien d’Oran du 3 juin 2003

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