Le coup d’État du 19 juin 1965 a un seul mérite : il dévoile l’emprise réelle de l’armée, sous la houlette de Houari Boumediene, sur la vie politique nationale et met fin, par ricochet, au quiproquo selon lequel le pouvoir est partagé entre civils et militaires. Et s’elle n’avait pas pu le faire avant cette date, c’est parce que ces têtes d’affiche n’avaient aucun parcours révolutionnaire pouvant justifier leur arrivée au pouvoir.

Cependant, bien que les auteurs du coup d’État veuillent vendre leur projet comme étant un acte salvateur de la révolution, dans le fond, le nouveau conseil de la révolution (CR) ne compte nullement partager la moindre parcelle de pouvoir avec les différentes forces politiques nationales.

Ainsi, après la déclaration du 19 juin où le conseil de la révolution tente de justifier le coup de force, l’ordonnance du 10 juillet 1965 siffle la fin de la partie. Cette ordonnance « stipulait que le CR était le dépositaire de l’autorité souveraine en attendant l’adoption de la constitution. Ce qui signifiait, d’une part, que la constitution de 1963 était mise au « rencart » et, d’autre part, que le CR était l’autorité suprême », écrit Abdelkader Yefsah, dans « la question du pouvoir en Algérie ».

Par ailleurs, en dépit du maintien des institutions en place, donnant sournoisement une apparence normale de leur fonctionnement –l’Algérie possède en effet un gouvernement, des ministres, etc. –, dans la réalité, le système est hermétiquement verrouillé. Selon le politologue déjà cité, « théoriquement, le CR pouvait mettre en jeu la responsabilité politique des ministres et le gouvernement n’exerçait le pouvoir législatif et exécutif que par la délégation du CR… Tout comme A. Ben Bella(…) Boumediene n’échappait à cette contradiction qui faisait de lui le chef du CR et du gouvernement qui ne devait finalement rendre compte qu’à lui-même. »

Dans ces conditions, quelle place pourrait-elle revenir à l’opposition ? Eh bien, walou. En fait, pour que les partis puissent être tolérés, il faudrait que le chef émane de la volonté populaire. Or, qu’il en déplaise aux nostalgiques de la période Boumediene, cette ère symbolise le déni par excellence de la parole populaire sous toutes ses formes.

Du coup, la seule menace au pouvoir de Boumediene est venue de l’intérieur du système. Le 15 décembre 1967, le chef de l’État-major de l’ANP, Tahar Zbiri, tente de renverser le régime. Et paradoxal que cela puisse paraître, au lieu de fragiliser le système, la tentative ratée permet « à l’ANP de s’affirmer définitivement en tant que groupe social hégémonique », écrit le politologue.

De la même manière, si la société en général et l’opposition en particulier sont dépossédées de leurs droits les plus élémentaires, un tel système n’autorise aucun débat interne, y compris au sein du groupe putschiste. Peu à peu, celui-ci cède son infime pouvoir à l’homme de fer, Houari Boumediene. De 25 membres de départ, le CR se rétrécit telle une peau de chagrin.

Censé supplanter les pouvoirs législatif et judiciaire, le CR ne se réunit quasiment pas. Et pour cause ! Houari Boumediene les incarne tous à la fois. Ainsi, il faut attendre plus d’une décennie (1976) pour qu’une constitution soit rédigée. Au lieu de corriger l’injustice, la nouvelle constitution « aggrave le pouvoir personnel. »

Pour conclure, il va de soi que le coup d’État du 19 juin 1965 plombe littéralement les institutions du pays, mettant, faut-il le signaler au passage, les libertés individuelle et collective entre parenthèses. Et pourtant, le peuple algérien ne mérite pas ce sort. Pour avoir le droit à la parole, il a payé très cher le prix de sa libération du joug colonial. Hélas, après avoir livré une guerre impitoyable, le peuple algérien a été incapable de poursuivre sa mission. Le plus grave encore, c’est que 54 ans après sa libération, il ne sort toujours pas de sa léthargie.

Boubekeur Aït Benali
19 juin 2016

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