A l’approche du débat onusien sur la question algérienne en février 1957, la direction de la révolution, incarnée par le CCE (comité de coordination et d’exécution), issue, pour rappel, du congrès de la Soummam, aimerait démontrer au monde entier l’adhésion du peuple algérien au combat libérateur.

Contrairement à ce que colporte la propagande colonialiste, tentant vaille que vaille de présenter la révolte comme étant le fait de quelques égarés, le FLN soutient qu’il n’est que le représentant du peuple algérien en guerre. Cette stratégie correspond évidemment à l’idée que se fait Larbi Ben Mhidi de la révolution : « Mettez la révolution dans la rue et vous la verrez reprise et portée par des millions d’hommes.  »

De toute évidence, de l’avis des membres du CCE, une action de grande envergure à Alger est plus efficace, notamment en termes de retombées, qu’une série d’attentats dans les régions les plus reculées du pays. En plus, l’implication des citadins creuserait le fossé entre les deux communautés, pied-noir et algérienne. Ce qui va immanquablement exacerber la rupture et provoquer, par la même occasion, la généralisation de la guerre.

Ainsi, en se basant sur un rapport de la fédération de France du FLN, Abane Ramdane croit à une victoire à court terme. « Il semble que l’État français d’ici 6 mois ne sera plus en mesure de faire face aux dépenses militaires. Il s’ensuivrait en cas de continuation de la guerre d’Algérie, la faillite de l’État français », écrit-il dans sa lettre du 24 juillet 1956 aux représentants extérieurs du FLN.

Cependant, en se lançant dans une telle voie, les dirigeants de la révolution sont contraints de rompre avec le caractère –lequel a fait la force du mouvement dans la capitale –clandestin du mouvement. En d’autres termes, la grève des huit jours incite les militants clandestins à agir et à organiser le mouvement de grève sans se cacher. Cette stratégie, selon Gilbert Meynier,  » allait être marquée par une grève générale de longue durée qui obligerait forcément des milliers de gens à se démasquer du fait de leur absence au travail ou de la fermeture de leurs boutiques.  »

Mais, après plus de deux ans de guerre, est-ce qu’il n’est pas temps que le mouvement change de stratégie en assumant une guerre généralisée ? Le rassemblement de toutes les forces vives, dans un congrès national réuni à la Soummam du 20 août au 10 septembre 1956, étaie cette thèse. D’ailleurs, les membres du CCE sont confiants quant à l’adhésion massive à leur appel à la grève générale à partir du 28 janvier.

Ainsi, bien que l’armée française ait les pleins pouvoirs, ce qui annonce par ricochet une répression aveugle de toute manifestation, les Algériens répondent massivement à l’appel du CCE. Contrairement aux allégations mensongères des défenseurs du système colonial, « aucun historien digne de son nom ne pourra sérieusement croire les allégations d’arrière-garde des auteurs Algérie française pour lesquels seule la « terreur FLN » contraignit les gens à faire grève », argue Gilbert Meynier.

Toutefois, bien que l’adhésion des Algériens aux instructions du CCE ne fasse aucun doute, cette démonstration et ce défi, dans le cœur même du système colonial, ont un prix. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la répression qui s’abat sur la population est terrible. Les arrestations massives, suivies de la corvée de bois, battent alors leur plein.

Pour Gilbert Meynier, « le secrétaire général de la préfecture d’Alger, Paul Teitgen, grand résistant, qui avait quinze auparavant été torturé par la Gestapo à Nancy, ne put que constater la ressemblance entre les méthodes colonialistes françaises et celles des nazis. Il décompta minutieusement 3024 cas de personnes définitivement disparues dans le département d’Alger du 28 janvier au 2 avril 1957 et qui ne furent pas retrouvées.  »

Dans cette répression innommable, un pilier de la révolution, en l’occurrence Larbi Ben Mhidi, est arrêté. En fait, le quadrillage des quartiers d’Alger conjugué à des opérations musclées conduisent inéluctablement au démantèlement des réseaux FLN. Bien qu’il y ait de la relève à chaque disparition, force est de reconnaître que celle de Ben Mhidi va peser lourdement sur la suite du conflit. Avec sa disparition, Abane Ramdane perd un allié incontournable pour le maintien des principes soummamiens, notamment la primauté du politique sur le militaire.

De la même manière, cette répression incite les dirigeants du CCE, encore en liberté, à quitter le territoire national. Si pour Abane Ramdane ce repli doit être momentané, il n’en est pas de même des autres dirigeants qui pensent au retour que lorsque l’Algérie recouvrera l’indépendance. En tout cas, ce départ à l’extérieur remet ipso facto le principe soummamien de la suprématie de l’Intérieur dur l’Extérieur.

Par conséquent, à partir du moment où la direction de la révolution doit s’ériger à l’Extérieur, il n’est pas sûr que ce soient les rescapés de la bataille d’Alger –Ben Youcef Ben Khedda, Saad Dahlab, Krim Belkacem, mais sans Abane Ramdane assassiné par ses frères de combat le 27 décembre 1957 –assureront la direction du pays. Car, en prenant le risque de s’éloigner de l’esprit de la Soummam, les hommes forts du CCE, notamment les 3B, ouvrent la voie à la prise du pouvoir par la force. Du coup, plusieurs chefs ont renoncé bien avant le cessez-le-feu à la lutte en vue se préparer à la course finale pour le trône.

Pour conclure, il va de soi que la grève des huit jours de fin janvier 1957 a marqué des points décisifs sur le plan diplomatique. En revanche, sur le plan interne, la révolution a fait un pas en arrière en annulant, dans le premier temps, les résolutions de la Soummam en août 1957 et, dans le second temps, en établissant le rapport de force comme seul caractère pour accéder au pouvoir.

Boubekeur Aït Benali
22 janvier 2016

Un commentaire

  1. abdelkader lizimigri on

    RE: La grève des huit jours : la victoire à la Pyrrhus du CCE
    le grand moudjahid Amar Ouamrane, critiquait vivement la bataille d’Alger dont Abane et le grand Chahid Larbi Ben m’hidi (Zapata) avaient été les promoteurs. el marhoum Ben m’hidi avait payé cette erreur de sa vie. Allah ait son âme.
    l’expérience a démontré que lorsqu’on est dans la clandestinité l’ennemi a toujours peur de nous, quelle que soit notre faiblesse ou notre puissance. Que l’on se découvre, et l’on est détruit. C’est ce qui passé a Alger. Avant la bataille, la zone autonome comportait des réseaux comprenant des militants, des adhérents, des sympathisants, a Alger en tout près de trois cent mille personnes, qui toutes cotisaient mensuellement au FLN.
    après l’arrestation du grand moudjahid Rabah Bitat, du grand Ben m’hidi et la capture des cinq chefs historiques de la révolution, laissa le champ libre a des politiciens gauchistes ou conservateurs, que rien ne préparait, en fait, a diriger une révolution.
    Ils commirent ainsi, dans la conduite de la guerre révolutionnaire, des erreurs quasi catastrophiques. Ils ne surent pas apprécier a leur juste valeur les rôles respectifs de la campagne et de la ville dans la conduite de guérilla. Ils ne comprirent pas que les habitants des villes, vivant, pour ainsi dire, intégrés a l’ennemi, mêlés a lui, entourés de son énorme appareil répressif, ne pouvaient en aucun cas se soulever en masse contre lui sans se faire aussitôt écraser et voir leurs réseaux démantelés, leur appareil détruit, leur militants tués ou arrêtés. Faute d’avoir compris cela, ils eurent la folie d’engager contre les troupes coloniales d’occupation la bataille d’Alger. Comme on sait, elle se solda pour les fidayîn (FLN) par une lourde défaite qui mit par terre organisation urbaine (FLN) et, par contrecoup, isola et affaiblit la guérilla des campagnes.
    autre mesure, empreinte, celle-ci, de surenchère gauchiste : la grève de l’école. Au jour dit, nos lycéens durent, par ordre du FLN., se retirer des lycées français, et nos étudiants cesser de suivre les cours et de passer des examens dans les universités françaises. Mesure inepte, qui ne gêna ni ne lésa en rien l’adversaire, mais qui nous fit, par contre, un mal immense, puisque au moment ou nous allions avoir le plus besoin de cadres instruits, elle fit perdre aux lycéens et étudiants, et par conséquent, au futur état algérien, des mois et des années de travail…

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