Dès le début de la guerre d’Algérie, les autorités coloniales n’envisagent nullement une solution négociée au problème algérien. En d’autres termes, la solution modérée est uniment  renvoyée aux calendes grecques.

En effet, la déclaration du ministre de l’Intérieur français de l’époque, François Mitterrand, est péremptoire : « la seule négociation, c’est la guerre ». Quelques mois plus tard, une instruction ministérielle de Bourges-Maunoury ne laisse-t-elle pas les coudées franches aux militaires pour étouffer la révolution algérienne dans l’œuf ? Cette instruction du 1er juillet 1955 se termine ainsi : « l’apparition d’une bande doit provoquer le feu de tout l’armement disponible… Enfin, le feu doit être ouvert sur tout suspect qui tente de s’enfuir ».

Ainsi, hormis les suppôts de la colonisation, ces deux mesures signifient, grosso modo, que le peuple algérien et son Armée de libération nationale (ALN) sont désormais soumis aux mêmes lois de la guerre. Par conséquent, face aux événements en cours, il va de soi, pour les combattants, que leur salut ne pouvant survenir qu’en constituant un rapport de force supérieur à celui du colonisateur.

Pour ce faire, les Algériens devraient développer une violence supérieure à celle de l’ennemi pour l’amener à des concessions. C’est ce que Frantz Fanon appelle  « l’intuition qu’ont les masses colonisées que leur libération doit se faire, et ne peut se faire, que par la force ».

De toute évidence, cette mobilisation générale s’est concrétisée dans le Constantinois, le 20 août 1955. Cette adhésion massive va marquer de son empreinte la véritable naissance de la « révolution populaire ».

Depuis ce jour-là, la coupure entre les deux communautés, pied-noir et algérienne, qui était déjà béante, devient désormais irréversible. Fidèles à leurs réflexes de dominants, les colons exigent des autorités coloniales une répression aveugle. De leur côté, les Algériens, en bravant la mort,  rejoignent en masse le mouvement pour l’indépendance nationale. Pour Gilbert Meynier, dans « Histoire intérieure du FLN », le peuple ne peut plus faire marche arrière. « Désormais, le peuple était solidaire d’une ALN qui avait gagné en prestige », écrit-il.

Cependant, les événements de la zone 2 –le terme Wilaya est apparu un an plus tard – sont pensés par son chef, Zighout Youcef. Un témoin de l’époque, Salah Boubnider, en parlant de la stratégie à adopter, préconisée par Zighout Youcef, raconte ceci : « Ce n’est pas à nous de libérer le peuple, nous ne faisons que l’organiser et l’encadrer, la responsabilité lui revient de se libérer lui-même ».

En tout état de cause, à la veille des événements du 20 août 1955, le travail de recrutement et de réorganisation de la zone 2, accompli par Zighout, porte sérieusement ses fruits. Les effectifs ont presque triplé.

Désormais, les conditions d’une action d’envergure sont tout bonnement réunies. La date de la manifestation populaire est enfin fixée pour le 20 août à midi. Les cibles sont à la fois militaires et civiles.

En tout état ce cause, pour montrer la cohérence du mouvement insurrectionnel, les meneurs décident de s’attaquer à tout ce qui symbolise  un lien direct ou indirect avec la colonisation. Pour Gilbert Meynier la stratégie de Zighout consiste à « se débarrasser de tout ce qui risquait de pérenniser un statu quo où, d’une manière ou d’une autre, le colonisateur continuerait à exister et à dominer, même par une bienveillance et un paternalisme, qui étaient d’autant plus dangereux ».

Cependant, le 20 août 1955, en fin de matinée, sur une trentaine de points du Constantinois, plusieurs milliers de paysans, accompagnés de femmes et d’enfants lancent des attaques simultanées contre des objectifs civils et militaires. C’est le cas à El-Kharoub où des Algériens attaquent  un poste militaire.

Cela dit, bien que l’action entreprise soit violente, les principales victimes sont algériennes. En effet, cinquante-trois d’entre eux vont y laisser leur vie le même jour. Mais le plus dur reste à venir. Car, une fois l’effet de surprise est passé, les autorités coloniales organisent une terrible riposte. Après les événements du 20 août, selon Yves Courrière, le bilan est colossal: 1273 morts et plus de mille prisonniers en quelques jours.

Au total, pour chaque Français assassiné, 100 Algériens sont tués. Pour Albert Memmi, auteur du livre «Portrait du colonisé précédé de portrait du colonisateur »,  la répression du colonisateur contre le colonisé a toujours été la même, que ce soit en temps de guerre ou pendant la domination tout court : « Pour un colonisateur tué, des centaines, des milliers de colonisés ont été, ou seront exterminés. L’expérience a été assez souvent renouvelée –peut-être  provoquée pour avoir convaincu le colonisé de l’inévitable et terrible sanction », écrit-il.

 En guise de conclusion, il va de soi que cet acte inaugure une nouvelle phase dans la lutte pour la libération nationale. Bien que ce prix soit trop cher, il n’en demeure pas moins que la libération du pays exige un tel sacrifice. Soixante ans après cette prise de conscience du peuple algérien, que reste-t-il de cet élan ? Hélas, les époques ne se valent pas. Aujourd’hui, il semble que l’Algérien soit résigné. Malgré les menaces qui guettent son pays et la gestion anarchique des ses affaires, il adopte la position de l’autruche, laquelle en cachant sa tête, elle croit que tous les problèmes se résolvent d’eux-mêmes.

Boubekeur Aït Benali
19 août 2015

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