A quoi bon râler, écrire ou protester? Je me dis parfois que l’on gaspillait peut-être de l’énergie pour des prunes! Car la situation en Algérie est en train de se corser chaque jour davantage, elle n’a en rien changé en tout cas. Elle traîne d’ailleurs comme ça depuis l’indépendance avec ses rallonges, ses puzzles et ses suspens à répétition. Ce qui se passe dans les mairies et les dairas, on s’en fout. Ce qui se passe dans les couloirs des ministères et des wilayas, on s’en fout. Ce qui se passe dans le secteur éducatif, les universités, le tissu urbain, le créneau touristique, la culture, l’agriculture, etc., on s’en désintéresse. Bref, tout est en jachère : l’homme, le sol et le temps, les trois éléments fondamentaux qui constituent selon le philosophe Malek Bennabi (1905-1973) la synthèse de la civilisation. La lassitude a eu gain de cause de notre joie de vivre et notre malaise est un puits à la profondeur inconnue. On s’agite alors dans le vide comme si l’on s’efforce d’assurer l’avenir sur les ruines de nos faux calculs, nos fausses promesses et nos fausses statistiques! Puis on se laisse vite assommer la tête par le poison de la routine. Cette routine qui tue à petit feu! Une espèce de reddition totale à l’idéologie du je-m’en-foutisme. Année après année, des générations entières en paient le prix. C’est-à-dire le prix de cette passivité et de cette forfaiture à tous les niveaux. Le plus tragi-comique dans cette description est qu’aucune génération ne pense à l’autre, habitée qu’elle est par son égocentrisme primaire. Sommes-nous prisonniers à ce point en Algérie de notre étroitesse de vue, de notre décadence et de nos stéréotypes? Et dire que je n’ai nullement l’intention en ce papier de passer sous silence un autre phénomène connu dans le terroir, sans doute bien plus pernicieux que tous les autres fléaux regroupés : le chauvinisme. Cette plaie qui nous salit de ses purulences. De ses secrétions putrides aussi. Un chauvinisme qui n’engage plus à grand-chose sauf à gonfler un ballon de baudruche lorsque d’aucuns, bien sûr les nantis du système, se sentent en proie à la vindicte populaire. Autrement dit,  lorsque ces derniers dans l’objectif de manipuler à large échelle se mettent à titiller la fibre nationaliste dormante des masses, en cassant du sucre sur le dos de l’ancien colon. Celui que l’on accuse depuis toujours à partir du sérail de tous les maux de la terre mais dont, curieusement, les liens qu’il tisse avec nos gérontocrates sont pourtant fort solides!

Le problème du pays est compliqué, entre le képi du militaire, le mensonge du politique et la calotte du religieux, ils n’en restent que des miettes d’ambiguïté que se partagent les masses. Chacun tire la couverture vers lui dans cette curée générale. Et à force de recenser les mêmes griefs dans chaque chronique, on finira probablement par broyer du noir et lasser les lecteurs. Or, le temps s’étire infiniment. Il devient long, très long pour ceux qui attendent, je veux dire ces jeunes algériens qui regardent à sens unique. Dans la seule direction du nord, de la Méditerranée, de cet Occident des chimères. Piètre drame que le nôtre! D’autant qu’on est des esclaves de circonstances à défaut d’en être les maîtres. Or si en psychologie, la gestion du temps et des émotions habilite le sujet à un certain contrôle de son domaine, en politique, elle donne à l’Etat les moyens nécessaires pour étendre son influence et son hégémonie. Ce n’est somme toute pas par hasard que le secteur de G.R.H (gestion des ressources humaines) est considéré comme le plus sensible dans toute entreprise. Les propos qui précèdent dont quelque chose de prédictif nous approche de nos blessures sont alarmants. Mais pourquoi? Tout simplement parce qu’on est accoutumés chez nous à côtoyer «indifférents» la déraison. Et cela à chaque fois qu’un simulacre de changement commence à nous peser sur les nerfs. En ce sens qu’on ne sait pas au juste ce que l’on voulait voir se concrétiser sur le terrain : certains rêvent de tout changer, d’autres en revanche de tout garder. Aucun relativisme ni  vision conciliatrice entre les deux tendances. C’est pourquoi, l’apitoiement et le catastrophisme à titre d’exemple nous casent dans «la pédagogie du renoncement» pour reprendre le mot du philosophe Alain Badiou. Il est un fait incontestable : Les nôtres ont tendance à se renfermer sur  eux-mêmes et à accroître intentionnellement leur isolement, logeant dans le fourre-tout tous les autres qui ne leur ressemblent pas. L’Algérien est-il xénophobe? Déteste-t-il vraiment l’étranger qui vient chez lui? Ce touriste européen qui a déjà boudé son pays pendant la décennie  noire et qui ne s’y rend que rarement aujourd’hui, ce clandestin subsaharien, le réfugié syrien ou le travailleur chinois? Le fait déjà d’oser poser cette question dans cette chronique renseigne sur le degré d’inquiétude qui me gagne personnellement quant à la solidité du «vivre-ensemble» dans notre société  et également sur cette incapacité de l’algérien lambda à s’aimer, à aimer l’Autre : son frère ; son voisin ; son prochain ; l’étranger, etc. Et, bien entendu, à cohabiter et à partager avec eux ce qu’il a de bien! Pourquoi ce revirement comportemental de l’hospitalité paysanne légendaire à une hostilité qui ne dit pas son nom? Est-ce une maladie sociale, un de ces symptômes du malaise identitaire qui ronge de l’intérieur les soubassements sociétaux depuis des décennies ou une simple survivance des ères révolues du terrorisme? Et puis pourquoi cet algérien veut-il en revanche être traité en prince dès qu’il voyage ou compte s’installer ailleurs?  Toutes les configurations de réponse à ces questions au fond unique sont possibles, décidément.  

Il y a d’abord, à mon humble avis, les traumas de l’histoire qui font miroiter dans l’autre l’image de l’envahisseur. De ce fait,  l’algérien s’égosille souvent à s’affirmer, voyant dans chacun de ses points de vue un jugement définitif à faire valoir quoiqu’il lui en coûte le prix et dans chaque discussion ou contact avec l’autre, un rapport de forces systématique durant lequel il devrait nécessairement prendre le dessus (une attitude vue par lui comme «une réaffirmation socio-psychologique, et même identitaire de soi » et par cet «Autre»-là comme découlant d’une certaine impulsivité innée et violente). A cet effet, il (l’algérien) refuse de jouer le rôle du parfait muet. En plus de cette résistance à l’effacement, il essaie de s’imposer pour rien au monde même s’il est parfois persuadé d’être sur une fausse piste, ce que l’on appelle au demeurant dans le langage plébéien  «taghenant» : une savante mixture du «nif», d’orgueil, de virilité et d’entêtement. Quand l’émotion l’assaille, l’algérien rentre dans une certaine posture du «collectif subjectivisé». Autrement dit, il s’arrache la voix des autres pour en improviser, à lui seul, une tribune personnelle, faisant ressortir en naphtaline toute sa revanche sur la société, la morale contraignante qui la gère, le système, l’ordre, l’armée, le F.L.N, etc. Ensuite, il existe aussi cet esprit de foule qui le transforme en un simple relais «porte-parole» des tabous de la société, exprimés sur le bout des lèvres ou par des attitudes fortement connotées. Combien ai-je vu de gens qui, simulant un faux esprit d’ouverture, encouragent dans la collectivité le vice, la débauche et la dépravation sociale sous toutes les formes, tout en essayant de prémunir individuellement, islamisme de pacotille oblige, leur progéniture et les leurs? Je n’en ai pas fait de statistiques ou de décompte précis mais je parie fort qu’ils sont légion. Or, comment pardi serait-il possible de se protéger «individuellement» des fléaux sociétaux alors qu’on les encourage par nos actes dans la masse? L’algérien se ment-il ou se dédouble-t-il? Si cela n’est pas le cas de figure,  pourquoi ne réussit-il donc pas à faire corps avec son environnement extérieur, le premier principe du «vivre-ensemble intégral»? C’est-à-dire ne pas accepter aux autres ce que l’on n’accepte jamais pour soi-même ou, à la longue, accepter de soigner l’hygiène de la rue comme on a pris l’habitude d’entretenir son jardin personnel ou son petit chez-soi. En gros, je pose une dernière problématique :  Comment peut-on  définir cet algérien qui, tout «hyper-fier» qu’il est de sa patrie,  fait l’impossible pour la quitter, même en dépensant son argent en pure perte? A qui identifie-t-on cet algérien qui, partout ailleurs, fait preuve de civisme le plus dévoué, hormis en son propre pays? J’ai dit un jour à un ami expatrié que si tous nos compatriotes adoptent des comportements, des manières et un style de vie  similaires à ceux que l’on voit partout  chez notre diaspora au monde, on en serait peut-être sorti de la crise il y a des années. Or, ce n’est guère le diagnostic dressé en haut, donc, il y a matière à s’en inquiéter. En termes de vitalité, d’enthousiasme pour le travail, de ponctualité, de…civilité, on ne discerne point l’algérien du pays de celui de l’étranger! Bref, on a l’impression que cette métamorphose est automatique dès que l’on quitte le territoire national. Pathétique et désespérant constat!

Kamal Guerroua
18 mai 2015

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