À la lecture du livre d’Ali Yahia Abdenour, intitulé « la crise berbériste de 1949 », on découvre, au fil des pages, un homme hargneux voulant régler ses comptes avec Hocine Ait Ahmed. En fait, bien que le livre mette en valeur deux monuments du mouvement national, qui sont Ouali Bennai et Amar Ould Hammouda, l’auteur du livre consacre 17 pages [159-182] à Hocine Ait Ahmed où il l’attaque de façon malhonnête pour ne pas avoir soutenu la démarche de son frère. C’est de bonne guerre, diront certains, mais cela n’a rien à voir avec l’œuvre historique. Ainsi, en vieux renard de la politique, Ali Yahia Abdenour s’érige en donneur de leçon. De façon sous jacente, il tente d’inverser les rôles en octroyant à son frère un rôle capital. Pour parvenir à ses fins, il adopte une méthode sournoise : il commence à critiquer Hocine Ait Ahmed de façon graduelle pour en arriver à la fin à la calomnie. Et c’est là où se situe la malhonnêteté intellectuelle d’Ali Yahia Abdenour en voulant faire passer son message malicieusement.

De toute évidence, bien que le point de départ de la crise mette tout le monde d’accord, Ali Yahia Abdenour prête, lui-même, un positionnement à Hocine Ait Ahmed afin de le descendre en flamme. Et pourtant, le dernier chef historique en vie ne récuse nullement la pluralité culturelle de l’Algérie. « Les camarades universitaires publient cependant, sous le pseudonyme collectif d’Idir El Watani, un document idéologique intéressant sur les éléments constitutifs de la nation  algérienne, intitulé l’Algérie libre vivra. J’ai fait miens les principes fondamentaux de ce travail collectif », écrit-il dans ses mémoires. Du coup, on peut affirmer –ce que Ali Yahia Abdenour ne mentionne nulle part dans son livre, et ce, dans le but de tromper ses lecteurs –que Hocine Ait Ahmed adhère sans ambages au concept de l’Algérie algérienne.

En revanche, il ne réagit pas à la motion du frère d’Ali Yahia Abdenour quand il a fait voter une motion ayant conduit plus tard à la défaite de la ligne éradicatrice au sein du PPA-MTLD. Et qui plus est, Hocine Ait Ahmed s’oppose au fait que le moment choisi ne soit pas opportun pour poser la question identitaire. « Fin 1948, au moment où, à Zeddine (il parle de la tenue du conseil national élargi), mon rapport est adopté, où l’aile révolutionnaire tente de sortir le parti des blocages de l’enfermement légaliste et réussit à recentrer la réflexion sur les grands problèmes posés par la perspective de la guerre de libération, à Paris Ali Yahia (Rachid) brandit l’étendard de la dissidence », explique-t-il. Hélas, bien que le projet révolutionnaire, porté par Hocine Ait Ahmed, engage l’avenir de l’Algérie, Ali Yahia Abdenour réduit son apport à un simple opportunisme politique, avant de le juger en écrivant : « Il doit abandonner sa place au sein de cet organisme (membre du bureau politique du PPA-MTLD et chef national de l’OS (organisation spéciale), parce qu’il ne peut pas cautionner la politique identitaire de Messali et du bureau politique. »   

Qu’en est-il dans la réalité ? Tout d’abord, l’élaboration de la motion parisienne se fait sans concertation préalable. Les militants du district de Djurdjura ou ceux qui sont chefs nationaux ignorent tout de l’initiative. Dans ce cas, comment se fait-il qu’un homme chevronné, comme Ali Yahia Abdenour, estime que Hocine Ait Ahmed devait suivre –sans connaitre les tenants et les aboutissants de l’initiative parisienne –le mouvement ? En tout cas, pour étayer la thèse d’une initiative sans envergure, voilà ce qu’écrit Hocine Ait Ahmed dans ses mémoires : « L’épreuve de force engagée par Ali Yahia (Rachid) tourne à la déconfiture. Il lance un appel au secours à Ouali Bennai. Sans consulter ni avertir aucun de ses camarades, Si Ouali se rend à Oran pour s’embarquer vers Marseille. Il réagit comme un père irlandais devant un pugilat : on y prend part, et on ne s’interroge sur les motifs que quand il est terminé. » En Kabylie, à en croire Omar Carlier, dans « entre nation et jihad : histoire sociale des radicalismes algériens », les militants qui sont au courant de la motion se comptent sur les doigts d’une main. Ces derniers appartiennent à trois régions, Ain El Hammam, Larbaa Nath Irathen et Guergour (petite Kabylie).

Par ailleurs, en jugeant Hocine Ait Ahmed, 66 ans après la crise dite berbériste est en soi injuste dans la mesure où il faudrait se placer dans le contexte de l’époque. En effet, l’information ne se propage pas comme à l’ère d’internet. Mais, une fois l’information est parvenue en Algérie, est-ce que Hocine Ait Ahmed a choisi l’expectative, comme tente de le faire croire Ali Yahia Abdenour ? La réponse est évidemment non. « Ma première réaction est de tenter de limiter les dégâts et de sauvegarder coute que coute l’unité du parti. Mais ma marge d’action diminue au fur et à mesure que s’enfle le tir croisé des accusations, d’autant que je dois redoubler de précautions, car la police m’a identifié dans l’affaire de la poste d’Oran (hold-up organisé par l’OS en vue de financer ses activités) », argue-t-il. Ainsi, comme tous les militants radicaux, Hocine Ait Ahmed n’a pas les faveurs du bureau politique, et ce, quelle que soit sa position sur le problème identitaire. Car, le parti procède sans distinction à l’exclusion de tous es activistes berbérophones ou arabophones.

Quoi qu’il en soit, malgré la menace, Hocine Ait Ahmed ne cesse pas pour autant son activité. « Je prends contact avec la plupart des membres du bureau politique pour les prier, les supplier de cesser leurs attaques contre les responsables de la Kabylie… Je leur demande de garder la tête froide : l’avalanche d’arrestations qui n’ont frappé que les dirigeants de la Kabylie, cela sent la provocation, la manipulation. Il ne faut pas se tromper d’adversaire. Bennai et tous les emprisonnés sont des hommes sérieux et conséquents. Ali Yahia (Rachid) n’est qu’une péripétie. Il n’était pas au comité central élargi de Zeddine. Il ignore tout de nos options fondamentales, de nos buts », tente-t-il de les convaincre de vue de stopper les attaques contre les activistes. Et si Ali Yahia Rachid avait été présent à Zeddine, il n’aurait sans doute pas soulevé le problème à cette période. Faut-il pour cela qu’il ait le charisme et la stature pour être présent à Zeddine. Ainsi, quand Ali Yahia Abdenour estime que c’est Hocine Ait Ahmed qui doit suivre son frère, il inverse tout bonnement l’ordre des choses.

Pour conclure, il va de soi que la question identitaire est la boussole de chaque militant. Pendant la colonisation, il se trouve que les militants kabyles ont mis en sourdine cette revendication depuis la création de l’ENA (étoile nord-africaine) en juin 1926. Pour eux, ou du moins pour la plupart, tous les problèmes se résument à la présence coloniale. Hélas, certains dirigeants arabophones préfèrent le maintien de la colonisation que d’admettre la pluralité culturelle de l’Algérie. C’est ce qu’affirme Hocine Ait Ahmed en décembre 1949 –une année après le début de la crise – devant les membres du bureau politique : « Puisque mes camarades et moi n’avons jamais avancé de revendications culturelles et linguistiques berbères, afin de ne pas compromettre le processus révolutionnaire, c’est que nous acceptons plutôt l’Algérie Arabe à l’Algérie française. Par contre, j’ai le sentiment que certains préféreraient encore l’Algérie française à l’Algérie berbère. » Enfin, si on compare les parcours de Hocine Ait Ahmed et d’Ali Yahia Abdenour, l’histoire retient la chose suivante : Ali Yahia Abdenour a été ministre de Boumediene, un homme se distinguant par sa haine de la culture berbère. Pendant son règne, les berbéristes ont subi les tortures les plus affreuses.

Boubekeur Ait Benali
1 février 2015

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