Au début de la semaine, Ali Benflis a accordé une interview au journal El Watan. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que nos anciens dirigeants ne deviennent de fervents démocrates que lorsqu’ils sont éjectés du pouvoir. Par ailleurs, bien que son constat puisse être partagé, il n’en reste pas moins que l’homme politique a contribué, depuis des années, à la consolidation de ce régime. D’ailleurs, selon Ali Benflis, pour ne pas renier son engagement politique antérieur, la crise politique, qu’il décline sous les trois formes, institutionnelle, constitutionnelle et légitimité, est récente.

Indirectement, elle l’impute à Bouteflika. Or, bien que ce dernier ait une grande part de responsabilité dans cette crise, il n’est qu’un dirigeant parmi tant d’autres ayant privé le peuple algérien de recouvrer sa liberté. Surtout  l’histoire retiendra qu’entre l’Algérie et son ambition, Bouteflika a choisi celle-ci. Mais, si Ali Benflis veut paraître crédible, il faudra –étant lui aussi membre de ce régime –qu’il fasse son mea culpa. Or, quand il s’agit de situer les responsabilités, Ali Benflis se montre réservé.

De toute évidence, bien que notre armée doive être respectée, on ne peut pas, comme le fait Ali Benflis, occulter le rôle politique qu’elle a joué depuis l’indépendance. En fait, son haut commandement –pour ne pas mettre tous les soldats au même niveau de responsabilité –s’est emparé du pouvoir au lendemain du référendum sur l’autodétermination du peuple algérien. Depuis, elle n’a jamais quitté la scène. Et pour ceux qui croient que la grande muette ne s’immisce plus dans la politique, il suffit de se demander pourquoi « le président » de la République est aussi ministre de la Défense ? De la même manière, on peut se demander que fait Gaid Salah dans le gouvernement ?

Dans les pays où le rapport entre militaires et politiques est apaisé, le ministre de la Défense est un responsable politique dont son parti est majoritaire à l’Assemblée nationale. En Algérie, l’enjeu principal consiste à contrôler ce portefeuille hypersensible qu’à convaincre les Algériens de choisir tel ou tel programme. Pour étayer cette thèse, on peut se demander pourquoi Bouteflika a-t-il refusé de devenir « président » en 1994 ? Indirectement, pour lui à l’époque, le contrôle de ce ministre aurait été un gage pour exercer la fonction présidentielle.

Hélas, dans l’interview déjà citée,  Ali Benflis semble ne pas vouloir regarder la réalité en face. « Demander à l’armée de s’impliquer dans telles confrontations ou de telles contradictions, n’est-ce pas lui demander d’être un acteur politique ? N’est-ce pas exiger d’elle qu’elle fasse –à notre place –des choix politiques ? Et bien pire, n’est-ce pas la contraindre à porter un projet politique ? Est-ce bien cela que nous voulons ? Je ne le crois pas absolument », répond-il à ses interrogations.

Dans le fond, et à moins que l’on veuille cacher le soleil avec un tamis, l’armée algérienne, sous l’égide de Boumediene et ensuite des différents chefs qu’elle a connus, n’a pas attendu qu’on lui dicte la marche à suivre. En fait, avant même que l’Algérie ne devienne indépendante, et en dépit des appels incessants des hommes politiques, tels que Ben Khedda, Ait Ahmed, Boudiaf, pour ne citer que les plus opposés à l’immixtion de l’armée dans le champ politique, le haut commandement a outrepassé sa mission en provoquant la mise à mort du GPRA.

Aujourd’hui encore, les prolongements de la crise de l’été 1962 se ressentent avec acuité. Du coup, la rupture radicale, c’est incontestablement de reprendre le jeu politique tel qu’il a été stoppé en 1962. Mais, est-ce que cela se passera sans affrontements ? Il est fort possible que ce ne soit pas le cas. Le régime algérien, qui représente la continuité depuis 1962 au prix de plusieurs coups de force, ne va pas se laisser déposséder du pouvoir, et par ricochet des richesses du pays, sans faire couler derechef le sang des Algériens. C’est pour ces raisons que les démarches revanchardes ne peuvent pas être le recours idoine. En revanche, un dialogue sans exclusive peut amorcer un début de changement. Une autre conférence à l’image de celle tenue à Sant Egidio, à laquelle le pouvoir sera associé en tant qu’acteur et non pas en tant que décideur, pourra mener le pays vers un avenir apaisé. Pour cela, il faut que chaque acteur politique pense d’abord à l’intérêt national.

Boubekeur Ait Benali
26 septembre 2014

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