La barbarie commise sur les enfants de Ghaza a montré de façon patente et péremptoire une haine des plus destructrices, des plus insurmontables et des plus irréversibles qui soient !

1- Justifier l’injustifiable !

Par-delà l’objectif déclaré : détruire le tunnel de Rafah, fermer tous les passages souterrains d’où s’acheminent les armes et les ravitaillements à la résistance, et, ainsi saboter l’infrastructure paramilitaire de base du Hamas au moment où celui-ci parvient à sortir le petit bout du nez de sa tour d’ivoire en formant un gouvernement d’union nationale avec son rival le Fatah, il y a lieu de poser quantité d’interrogations : pourquoi on n’a enregistré seulement jusque-là, du côté palestinien s’entend, que la mort de civils d’autant qu’à notre connaissance, aucun militaire ou décrit comme tel n’a été signalé, du moins officiellement (les israéliens, quant à eux, ont annoncé 67 victimes)? Est-ce à penser par-là que le Hamas cache le décompte réel de ses morts (question de minimiser l’importance de frappe de ses ennemis et d’en réduire « psychologiquement » l’impact) ou c’est en revanche le reflet de ce qui s’est passé sur le terrain? Et puis, s’agit-il d’une offensive israélienne qui aurait vraiment épargné les structures civiles? Ce n’est pas facile de comprendre les tenants et les aboutissants de ce puzzle, partant du fait qu’il est tant de zones d’ombres qui s’y greffent. Si l’armée de Tsahal crie à cor et à cri à qui veut bien l’entendre qu’elle aurait prévenu d’avance les populations palestiniennes de toute frappe imminente (du reste, thèse très défendue par le Crif en Hexagone), en rejetant la responsabilité des pertes humaines sur le Hamas qui, à l’en croire, s’en serait servi comme bouclier humain afin de se protéger lui-même (c’est-à-dire, se donner politiquement un poids et se « victimiser» aux yeux du monde « libre », la pertinence de cette thèse pèche par tant d’incohérences. Car, comment peut-on justifier par conséquent le bombardement d’un hôpital, d’une école de l’O.N.U ou d’un dispensaire? Lesquels sont « théoriquement » des sites légalement « protégés » dont l’aviation israélienne devait en être tenue au courant au préalable, et qui le cas échéant, tiennent office d’abri à des populations en détresse, ayant fui les géhennes de la guerre. Et si c’était le cas (c’est-à-dire qu’il est question d’attaques asymétriques contre un groupe classé par les Etats Unis et ses alliés comme « terroriste »), pourquoi donc ce nombre assez élevé de victimes civiles, lequel s’élève si l’on accorde foi aux dernières statistiques fournies par l’Unicef à presque 2000, dont 430 sont des enfants ? Ce qui correspond à presque 73% du taux du bilan global, sans oublier les 10 000 maisons détruites et les 250 000 palestiniens déplacés, qui s’ajouteraient sans doute aux nombreux réfugiés des guerres et des expropriations successives depuis 1948? En vérité, ce carnage inhumain devenu dans le creux de cet été une normalité médiaticopolitique aurait débouché sur une inextricable crise humanitaire. La férocité meurtrière des soldats sionistes devrait interpeller les consciences occidentales endormies dans la mesure où elle n’a pas trait à des attaques ciblées comme on le prétend par-ci et par-là, chose devant nous inciter d’ailleurs à davantage de précautions dans l’analyse mais à un ratissage violent qui s’apparente bien plutôt à une guerre d’extermination à large échelle ! Si la communauté internationale refuse d’en prendre acte, c’est qu’elle est paralysée par les mécanismes du fonctionnement d’institutions minées par l’unipolarisme et l’unilatéralisme ayant résulté de la chute de l’URSS début 1990. Qui plus est, ne font pas, de toute évidence, de distinction entre un pays qui réserve un budget militaire de 18 milliards de dollars par an, soit environ 7% de son P.I.B (en termes terre-à-terre plus que le double du pays le plus militarisé de l’Afrique, en l’occurrence l’Algérie, environ 8 milliards dollars en 2014 et presque neuf fois plus que son voisin le Maroc 2,7 milliards!) et un semblant ou un embryon d’Etat dont une reconnaissance onusienne, ne serait-ce que de principe, n’est pas encore acquise vu la complexité des enjeux globaux sur lesquels tablent les puissances de notre monde dans la région ! Tout au plus, les forces régionales en mesure de rivaliser avec Israël (l’Iran et la Turquie) sont projetées dans d’autres perspectives. La première sous les feux de rampe médiatique parce qu’accusée de nourrir des ambitions nucléaires par son enrichissement illicite d’uranium, donc incapable d’influer sur le cours des événements cherche avec le réformiste Rohani à « se valoriser » au yeux d’un Occident sceptique quant à son intention de se « démilitariser» et la seconde, quoique puissance militaro-commerciale d’envergure reste un allié de taille de l’Oncle Sam depuis pratiquement le pacte de Baghdad de 1955 et n’est, semble-t-il, là que pour supplanter l’Egypte d’Al-Sissi en cas de défaillance comme acteur majeur dans les négociations de paix imposées par l’urgence de résoudre un conflit arabo-israélien qui s’éternise !

2- Une guerre illégale, banale, impardonnable !

C’est une guerre amputée de toute légalité où l’on a infligé une sanction collective à tout un peuple pour un « délit » individuel ! Bref, une atteinte aux principes du droit international et à tous les traités régissant les relations entre les Etats (bien évidemment, dans le cas d’Israël qui considère Gaza ou les territoires occupés comme relevant de son pré carré « domaine de politique intérieure », il serait facile de ne pas s’y conformer ou, du moins, les transgresser). Par ailleurs, si la conclusion d’une trêve définitive est une tâche le plus souvent vouée à l’échec, c’est en premier lieu parce qu’il y a une sorte de guerre psychologique et de propagande menée par la Tsahal ! Quand en 2006, un soldat israélien devenu depuis célèbre est porté disparu, Israël a accusé le Hezbollah libanais d’en être l’auteur et a déclenché en conséquence toute une guerre offensive au sud du Liban pour le restituer, refusant toute trêve ou conciliation ! Justifier l’injustifiable et pousser l’autre à riposter pour le décimer n’est-elle pas une tactique des guerres coloniales? Et puis, il y a aussi la volonté d’absorber la force de l’autre, en semant le désordre dans ses rangs, si Benyamine Natanyahou avait laissé persister des rumeurs sur la conclusion d’un cessez-le-feu sans les affirmer ni encore moins les infirmer, c’est d’une part, pour mesurer l’impact de sa force de frappe, la rumeur est une arme psychologique, le nerf de la guerre par excellence, c’est comme lorsqu’on torture un détenu mort de soif et qu’on lui montre de l’eau qui n’est en fait que de la pisse ! Elias Sanbar et Farouk Mardam-Bey ont évoqué dans leur ouvrage (le Droit au retour, Actes de Sud, 2002) ces perfides stratégies d’occupation ayant permis de par le passé aux sionistes de progresser sans coup férir, tout en sapant le moral des populations palestiniennes plongées dans l’incertitude et l’hésitation (messages d’avertissement, fausses rumeurs, allégations persistantes, politiques de colonies…etc.). En second lieu, c’est parce qu’à mon humble avis, l’Egypte d’Al-Sissi qui joue la médiation entre les deux parties belligérantes est loin d’être stricto sensu dans une position de neutralité effective! En plus de sa normalisation historique avec le voisin sioniste, elle tire bénéfice de la non-résolution d’une crise qui lui permet en retour le financement d’une économie à la traîne par ses bailleurs de fonds, en l’occurrence les Etats Unis et l’union européenne, lesquels, encore faudrait-il le rappeler ici, soutenaient déjà son armée! Par tactique, le pays des Pharaons s’ingénie à se donner une nouvelle virginité en apparaissant aux yeux des arabes en tant que sauveur. Or, s’il l’on se projette dans la réalité du terrain, on trouvera que la démilitarisation de la bande de Ghaza, et qui dit démilitarisation fait forcément allusion à la destruction des tunnels et à la fin « théorique » des hostilités (condition sine qua non posée par l’Etat hébreu pour son ré-engagement ou une remise sur rails d’un processus de paix, maintes fois interrompu) le dessert plus qu’elle ne le sert, non à cause du besoins de la résistance palestinienne à l’occupation, mais pour des considérations d’ordre géostratégique. Autrement dit, si Al-Sissi aide ou contribue, du moins symboliquement, au blocus israélien de Ghaza par la fermeture de ses frontières, c’est qu’il y a des raisons sousjacentes, j’en cite deux afin d’expliquer mon propos. D’une part, Al-Sissi confronté à l’opposition farouche du courant islamiste qui le perçoit comme un Nasser d’ersatz, ou bien un « usurpateur », devrait couper le cordon ombilical qui lie la mouvance frériste, l’ennemi numéro 1 de l’Establishment, au Hamas (rappelons à ce titre que l’ex-président déchu Morsi s’est montré, lui, contrairement à ses prédécesseurs Moubarak et Sadate en particulier plutôt solidaire de la cause de ce dernier) pour décapiter les premiers (les frères) et mettre les seconds (le Hamas) sous sa férule, une équation très compliquée en effet! D’autre part et cela reste de mon point de vue dans le stade de l’hypothèse, l’Egypte pousse les palestiniens et à travers eux le Hamas à la radicalisation de leur position dont l’effet immédiat et direct est la poursuite du conflit, et bien sûr, indirectement dans une seconde étape la consolidation du rôle de la nomenclature égyptienne (l’exploitation de la rente résultant des aides étrangères) qui commence à renaître de ses cendres, politiquement affaiblie primo par les contrecoups d’un printemps arabe venu à contrecourant de ses visées prospectives (transmission du pouvoir de manière héréditaire au fils de Moubarak et pérennisation en douce de l’ancien système) et secundo, bien entendu, fortement critiquée par sa mise en quarantaine « anticonstitutionnelle» (surtout aux yeux de la communauté internationale) quoique, étrangement, vue par presque la majorité des égyptiens comme salutaire, du premier président démocratiquement élu du pays!

3- Assujettir à jamais ces peuples non-rentables !

Faudrait-il pleurer le sort de ces peuples livrés à eux-mêmes dont la Palestine est le prototype le plus représentatif? Ou plaindre l’impasse de ces pays débiteurs-nés (africains et arabes surtout) et le désespoir de ces masses tiers-mondistes « soldables» à bas prix, insolvables et de surcroît non-rentables qui se sont fait engloutir à contrecoeur par ce mouvement-laminoir de « réféodalisation du monde» que représente cet « empire de la honte » pour emprunter l’excellent terme de l’humaniste Jean Ziegler? Si aux ères du féodalisme médiéval il y avait ce que l’on appelait alors « droit de cuissage » que les vainqueurs exigeaient des esclaves et des prisonniers des territoires conquis, aujourd’hui, il est permis de dire qu’il y a ce que j’appelle personnellement «droit de rabotage », autrement dit de «ré-impérialisme» sous des facettes tantôt colonialistes, tantôt humanitaires ou décrites comme telles et parfois purement interventionnistes ! A. Arendt en conclut que ce sont le colonialisme et l’impérialisme qui permettent au capitalisme de surmonter ses contradictions historiques, se donner du sang neuf et perdurer à terme ! Pour preuve, en mars 2003, on a attaqué l’Irak de Saddam Hussein sous le «honteux» prétexte de possession d’armes de destruction massive, jamais retrouvées depuis et dix ans plus tard, un Calife d’un autre âge du nom d’Aboubaker Al-Baghdadi, successeur d’Abou Mousâab Al-Zerkaoui est à quelques kilomètres de la capitale ! Et que, cerise sur le gâteau, les irakiens vivent dans la misère et le chaos! Où en est la démocratie promise ? Où en est la liberté, les droits de l’Homme, le statut de la femme, la belle vie quoi ? Une telle grille de lecture s’applique également quoique de façon un peu moins différente à l’attaque de la Libye d’El-Gueddafi en 2011 et les désenchantements subséquents ! Le dicton nous enseigne que ceux qui sèment le vent ne récoltent que de la tempête! On en est là me semble-t-il ! Ironie du sort, Obama qui a promis de ne plus s’immiscer des affaires irakiennes s’est subitement ravisé en procédant à des attaques qu’il justifie par «une requête» du gouvernement irakien d’Al-Maliki ! Celui-là même qui a, rappelons-le bien, décidé un an auparavant de frapper Al-Assad pour usage d’armes chimiques contre des populations civiles et qui y a renoncé à la dernière minute à cause de la Russie. Or lorsque celle-ci s’est opposée contre l’agression de l’Irak en 2003, ce qui n’a toutefois pas empêché Bush Junior et Tony Blair de frapper en dehors de la légalité internationale ! Le discours occidental est incohérent, inconstant, contradictoire et réfutable à mille égards ! De plus, à côté de ces graves dérapages, on a oublié que c’est la faim et la dette, somme toute deux hydres des plus monstrueuses qui soient, qu’a générées le capitalisme sauvage qu’il conviendrait de combattre et d’éradiquer en urgence ! Car, selon la F.A.O, 1.5 milliards de personnes ont vécu sous le seuil de la pauvreté en 1990, pas moins de 985 millions en souffraient courant 2004 et un peu plus de 842 millions entre 2011 et 2013, soit 12% de la population mondiale tandis que la prévalence de la sous-alimentation est estimée, elle, à plus de 14,3% ! Lamentable ! N’en parlons des conflits au Sahel (Somalie, Soudan, Tchad, Mali), conjugués aux sécheresses endémiques et aux famines dévastatrices. Le philosophe Edgar Morin aime critiquer cette disparité d’un monde déboussolé où 10% de la population mondiale s’arroge le droit d’exploiter sans vergogne plus de 80% des ressources énergétiques par cet exemple de l’écrivain Alejo Carpentier qui indique dans son roman « Le siècle des Lumières » que les lumières sont justement arrivées dans les Caraïbes avec la guillotine ! En a-t-il raison ? Je ne peux qu’en convenir, décidément hélas !

Kamal Guerroua
8 septembre 2014

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