La création de la ligue des droits de l’homme en Algérie est indissociable de la dynamique connue sous l’expression «le printemps berbère ». En effet, après la répression des événements d’avril 1980 –le premier mouvement contestataire après la reprise brutale du pouvoir par Boumediene –, les animateurs du MCB s’engagent sur le terrain de la défense des droits de l’homme. D’ailleurs, ces deux combats sont inséparables.

De son côté, le régime, en guise de riposte, ne laisse par le terrain libre. En effet, à peine la colère est baissée d’un cran en Kabylie, le pouvoir s’emploie vigoureusement à déstabiliser le MCB. Pour ce faire, il s’appuie sur les services secrets, aidés par le PAGS, pour reprendre l’expression des auteurs « Françalgérie, crimes et mensonges d’Etat », « qui inaugure là une phase nouvelle de collaboration avec le régime pour contrer la mouvance démocratique et culturaliste naissante ».

Cependant, bien que la répression s’abatte, sans vergogne, sur les animateurs du MCB –ils sont quasiment tous militants du FFS –, ceux-ci n’abdiquent pas. La multiplication des foyers de contestation à l’échelle nationale, notamment à Sétif, Oran, Constantine, facilite la structuration de la ligue. Ainsi, pour défendre les militants qui se mettent en danger dans tout le territoire national, des animateurs du MCB, des avocats de renom et des scientifiques, à l’instar de Mahfoud Boucebci, fondent, le 30 juin 1985, la ligue algérienne des droits de l’homme.

Dans la foulée, la ligue est confrontée aussitôt à son premier baptême de feu. Le 5 juillet 1985, les enfants de chouhadas célèbrent la fête nationale en se démarquant de celle du régime. Résultat des courses : la répression tombe tel un couperet. « La police intervient et arrête tous les dirigeants de l’association présents sur les lieux. Pour avoir protesté contre ces arrestations, Me Ali Yahia est arrêté à son tour le 9 juillet, puis Me Mokrane Ait Larbi, son second le 21 août, puis le secrétaire général adjoint, le docteur Hachimi Nait Djoudi, le 16 septembre. Durant tout l’été, de nombreux autres militants sont incarcérés : Ferhat Mehenni, Saïd Sadi, Saïd Doumane, Lounis Ait Menguellet », écrivent Jean Baptiste Rivoire et Lounis Aggoun.

Cette fois-ci, et contrairement à la pression de rue en avril 1980, le régime ne cède pas, et ce, malgré une mobilisation citoyenne. Pour casser cet élan, le régime allie deux méthodes : la répression et la récupération. La première est symbolisée par les procès du mois de décembre 1985 et la seconde par le retournement de certains militants. Poussant la manipulation jusqu’à son comble, « des rumeurs circulent selon lesquelles un courant moderniste du régime, dont Larbi Belkheir serait le chef de file, est opposé au sort réservé aux militants emprisonnés », notent-ils. Du coup, les conditions de détentions varient selon la disponibilité ou non des emprisonnés à coopérer. Pour les deux auteurs, ceux qui refusent sont maintenus dans « des cachots humides » et ceux qui acceptent voient leur situation s’améliorer.

Cela dit, il se peut aussi que le régime offre une meilleure situation à quelqu’un pour le discréditer auprès de ses camarades. En tout cas, rompu aux méthodes de l’action psychologique, le régime algérien sait comment déstabiliser les organisations. Toutefois, les deux auteurs émettent des réserves sur le cas Saïd Sadi. Bien qu’il affirme avoir vécu un cauchemar en prison, les deux auteurs évoquent, au contraire, un traitement de faveur : « Mais six mois après son arrivée (prison de Lambès), on lui (Saïd Sadi) demande de s’établir à l’infirmerie où il y a des lits, du chauffage et même une petite télévision. Sa mission : aider aux consultations. Par solidarité avec ses camarades détenus, il refuse. Mais, en juin 1986, il est transféré à la prison d’El Harrach, où il peut achever de purger sa peine dans des conditions avantageuses, les autorités allant jusqu’à l’autoriser à finir la préparation de sa thèse de doctorat en psychiatrie sous la direction du professeur Mahfoud Boucebci. » Pour Ali Yahia Abdenour, la libération de Saïd Sadi, avant même de purger sa peine, a été facilitée par le ministre de l’Intérieur, El-Hadi Khediri. Aujourd’hui, il semblerait que le vieux militant nationaliste ait changé le fusil d’épaule. Peut-on, pour autant, sacrifier la vérité ? Malgré une forte personnalité, Ali Yahia est connu aussi pour ses revirements.

En somme, malgré tous les obstacles, le régime ne parvient pas à mettre en échec le mouvement pour la défense des droits de l’homme en Algérie. Bien qu’il réussisse à infiltrer toutes les organisations de masse, la création de la LADDH échappe à son contrôle. Cela dit, pour contrecarrer la ligue authentique, le régime en crée une autre. Celle-ci est confiée à Me Omar Menouer, regroupant « des personnalités liées au FLN et à l’extrême gauche ».  D’emblée, cette fausse ligue reçoit toutes les aides et les facilités qui vont avec. « Quant à l’organisation fondée par Me Ali Yahia, elle ne sera officiellement reconnue (sous le nom de ligue algérienne de défense des droits de l’homme) que le 8 septembre 1989, avec l’ouverture politique. »    

Boubekeur Ait Benali
30 juillet 2014

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