Le 21 mai, le gouvernement algérien a décidé de se lancer dans l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels.

Est- ce là une bonne décision pour le pays et son peuple ? Est- ce là une décision bénéfique bien que risquée liée à une vision stratégique appuyée par une étude spécialisée ? Est-ce seulement le souci de maintenir le système de la rente ?

La question fait débat. Faut-il y aller, attendre ou pousser vers d’autres voies ? Force est de constater que la vision sur le devenir du pays que montre le mode de gouvernance du pays ne permet pas au citoyen intéressé d’être assuré que seuls les intérêts du pays sont à la base de la décision.

Aspects géologiques et techniques d’extraction

Le gaz de schiste ou d’argile est un gaz naturel contenu dans des roches marneuses ou argileuses non métamorphiques, riches en matières organiques. Il est piégé dans les porosités de la roche mère rendue imperméable par l’argile qu’elle contient. Cette roche mère est donc son réservoir naturel. C’est pourquoi son extraction est particulièrement difficile. Elle nécessite le recours systématique aux techniques combinées du forage dirigé vertical et horizontal et de la fracturation hydraulique à grands volumes particulièrement coûteuses. Le gaz de schiste est essentiellement constitué de méthane et est faiblement concentré.

La profondeur des couches sédimentaires qui le contiennent sont comprises, généralement, entre 2 et 4 km. Ces couches sont en forme de bancs de plusieurs centaines de mètres de long. L’épaisseur, qui est variable, doit dépasser les 30 mètres pour permettre une extraction économiquement viable.

La technique d’extraction la plus courante s’appuie sur le forage dirigé avec de longues portions horizontales associée à la fracturation hydraulique. Dans le schiste, un puits, malgré l’utilisation de la fracturation hydraulique, ne permet de drainer qu’un volume de roche limité. Il faut donc forer beaucoup plus de puits que dans le cas de l’extraction d’hydrocarbures conventionnels. La multitude de puits forés en fait une technique très onéreuse.

La fracturation hydraulique consiste à provoquer avant la mise en production du puits un grand nombre de micro-fractures dans la roche contenant le gaz, ce qui rend celle-ci poreuse et permet au gaz ou à l’huile de schiste de se déplacer jusqu’au puits afin d’être récupéré en surface. La fracturation est obtenue par l’injection d’eau à haute pression (environ 300 bars) dans la formation géologique en passant par le puits horizontal. L’eau qui est injectée contient du sable, des biocides, des lubrifiants et des détergents afin d’améliorer l’efficacité de la fracturation.

Une fois le forage terminé, elle s’effectue en plusieurs étapes dont le nombre est d’autant plus important que la roche mère est imperméable. Selon des sociétés spécialisées, il faut en moyenne, pour une longueur de puits horizontal d’un kilomètre, 30 opérations de fracturation qui consomment chacune environ 300 m3 d’eau, 30 tonnes de sables et 0,5 % d’additifs .. Il faut tout de suite savoir que les capacités installées de forage de Sonatrach et de ses filiales sont insuffisantes. Ces dernières ont encore à apprendre en matière de forage dirigé et horizontal. Le processus technologique de la fracturation n’est pas maîtrisé par nos entreprises et ce seront des compagnies étrangères qui profiteront de son implémentation.

Plusieurs techniques d’extraction alternatives sont actuellement à l’étude : remplacement de l’eau par du gaz comme le propane, stimulation, chauffage de la roche, mais elles sont encore balbutiantes. Celle qui semble la plus propre, baptisée fracturation sèche, n’utilise ni eau, ni explosifs, ni acides, ni solvants, mais de l’hélium chaud. En 2013, les compagnies spécialisées ont considéré qu’il n’y avait pas d’alternative aujourd’hui disponible à la fracturation hydraulique.

Rappelons enfin, les principales différences du processus d’extraction du gaz et de l’huile de schiste par rapport aux gisements classiques :

1. le gaz n’est pas concentré dans une roche réservoir perméable mais diffus dans la roche mère rendue artificiellement perméable sur une distance réduite autour du puits. Un puits ne draine donc qu’un faible volume de roches et ramène relativement peu de gaz. Pour produire une même quantité de gaz, il faut multiplier les puits ce qui nécessite, pour une même quantité de gaz produit, des investissements nettement plus importants.

2. la quantité d’eau injectée (volume de plusieurs centaines de fois supérieur à l’extraction de gaz conventionnel) nécessite des installations de retraitement particulièrement importantes. En milieu saharien, les nappes, particulièrement l’albien, doivent bénéficier d’une protection accrue.

3. la courbe de production se caractérise par un pic prononcé mais court en début de vie puis une décrue rapide, (expliquée en point 1). Cette caractéristique nécessite la multiplication des puits.

4. le taux de récupération d’un gisement de gaz de schiste est actuellement en moyenne de 20 % contre 75 % pou pour les gisements conventionnels.

Aspects économiques

Bien que les hausses du prix du gaz naturel des années 2000 et les progrès technologiques de la fracturation hydraulique et des forages horizontaux aient amélioré la rentabilité du gaz de schiste, ses coûts de production restent généralement plus élevés que ceux des gisements traditionnels. Les coûts élevés du forage horizontal et de la fracturation hydraulique, (entre 8 et 10 millions de dollars par puits) ainsi que le cycle de vie très court (5 ans) des puits concourent à rendre difficile et même aléatoire, la rentabilisation des gisements de gaz de schiste.

Seul le type d’exploitation que permet le modèle économique américain (déréglementation, politique active de subventions et règles fiscales) autorise une rentabilité sur le très court terme. Ajoutons que, en raison de l’instabilité des prix du gaz et de la volatilité de cette activité, celle-ci peut s’effondrer à la moindre modification des paramètres économiques.

Il faut savoir que, en 2013, les compagnies pétrolières ont réduit de moitié leurs investissements en Amérique du Nord dans le gaz non conventionnel. Dans les zones sahariennes où les hydrocarbures gisent à plus de 3km, le coût d’extraction du gaz oscillerait autour de 6 à 10 dollars (estimation par comparaison avec les USA) par million de British thermal unit (soit 28 m3) alors que son prix de vente ne dépasse pas les 6 dollars. Toutes ces considérations prises en compte, on peut s’autoriser à dire qu’il existerait, en Algérie, des incertitudes sur la rentabilité des gisements de gaz de schiste.

Aspects environnementaux

Le Parlement européen a réalisé une étude sur les impacts de la fracturation hydraulique lors de l’exploitation des gaz et des huiles de schiste sur l’environnement et la santé publique. Les résultats sont accablants et confirment les craintes légitimes. L’extraction de gaz de schiste a bel et bien des impacts sur l’environnement et la santé humaine.

L’étude reconnaît la nature inévitable des impacts de l’extraction de gaz de schiste, notamment sur l’air et les nappes phréatiques. L’étude fait également état des nombreux accidents répertoriés aux USA et de leurs dommages causés à l’environnement et à la santé humaine. Selon l’étude, l’extraction de gaz de schiste contribue également à augmenter les émissions de gaz à effet de serre.

Les dommages, nombreux, incluent l’augmentation des taux de radon dans l’air. « Le radon est un gaz radioactif incolore et inodore présent dans les sous-sols. Dans les zones d’extraction, les concentrations de radon mesurées peuvent atteindre des taux dangereux qui accroissent le risque d’atteinte du cancer du poumon ». Pollution des nappes phréatiques, microséismes et hausse du radon sont des aspects néfastes de l’exploitation des gaz de schiste.

Cette étude a conduit la France à adopter un moratoire sur l’exploitation des gaz de schiste sur son territoire. En Europe, la tendance est à l’adoption de mesures législatives strictes pour protéger les territoires et la population.

En conclusion, Posons une question : Quel est l’intérêt de l’Algérie à hâter la mise en exploitation du gaz de schiste quand on sait qu’une immense partie du domaine minier national est encore vierge et recèle, sans nul doute, des quantités considérables d’hydrocarbures conventionnels. Pour ma part, Je pense qu’il est urgent d’attendre.

Le pays aura le loisir d’exploiter les gisements de gaz de schiste au besoin quand aucune alternative technologique n’aura surgi. Pendant ce temps, investissons dans la connaissance, les ressources humaines, l’agriculture et les énergies nouvelles. Là est l’intérêt de l’Algérie.

Abderrahmane Aouad
11 juin 2014

L’auteur est ingénieur Géophysicien, informaticien et ancien Cadre supérieur dans le groupe Sonatrach – aujourd’hui à la retraite

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