En juin 1939, l’écrivain Albert Camus a réalisé une enquête, pour le compte du journal communiste « Alger républicain », sur la situation dramatique que vivait alors la Kabylie. L’indigence fut alors à son paroxysme. Dans une certaine manière, celle-ci pouvait être expliquée par la domination étrangère.  Hélas, soixante quinze ans plus tard, les éléments de l’enquête sont toujours d’actualité. Toutefois, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, cette note n’a pas pour but de singulariser la Kabylie. Pour moi, le sort de la Kabylie ne peut pas être dissocié de celui de l’Algérie.

En fait, ma démarche ici consiste à démontrer que le caractère rebelle de la Kabylie l’a toujours exposé à des sanctions.

A cet acharnement, du temps colonial ou après le recouvrement de l’indépendance, force est de reconnaître que la nature ne l’épargne pas non plus. D’ailleurs, sur ce point précis, on peut dire la même chose des Aurès. En effet, comme les Aurès, la région de Kabylie souffre d’un problème de développement dû  essentiellement à son relief. « La Kabylie est un pays surpeuplé et elle consomme plus qu’elle ne produit », écrit le futur prix Nobel de littérature. Selon Albert Camus, son talon d’Achille, c’est l’aridité de son sol. « Or, le sol kabyle ne produit pas de céréales. La production céréalière de la région atteint à peu près le huitième de sa consommation », poursuit Albert Camus.

Malheureusement, cinquante deux ans après l’indépendance, et malgré l’aisance financière du pays, la région est toujours livrée à elle-même. Que ce soit au temps colonial ou maintenant, on fait tout pour qu’elle reste dans son état de sous développement. Bien qu’elle ait contribué à la libération du pays (fin 1956, trois wilayas sur six sont commandées directement par des colonels issus de la région de Kabylie et la quatrième est supervisée par une commission de la W3), les dirigeants vont garder, après l’indépendance, une rancune incommensurable envers la région. Résultat d’une politique revancharde : les fils de cette région sont uniment contraints de chercher les moyens de subsistance ailleurs. Comme à l’époque coloniale, l’immigration, intérieure ou extérieure, absorbe les sureffectifs de main-d’œuvre.

Cependant, ne pouvant accueillir la misère du monde, pour reprendre l’expression de Michel Rocard, la France ne supporte plus les flux. En fait, comme pour la crise de 1929, les effets de la crise des subprimes, en 2007, se ressentent vivement, sept ans plus tard. Du coup, les barrières que l’auteur a évoquées en 1939, on les ressent, avec acuité, dans la seconde décennie du nouveau millénaire.

Sur le plan politique, la ressemblance, entre les deux périodes, est frappante. A-vrai-dire, la Kabylie paye le prix de sa rébellion. Cela dit, comme à l’époque coloniale, le régime algérien s’appuie sur sa clientèle. Il ne faut pas oublier que celle-ci se trouve partout dans le pays. Ces derniers temps, elle est plus bruyante en Kabylie.  Pour la réélection de A Bouteflika, les trois principaux animateurs de ses meetings sont originaires de la région, à l’instar de Ben Younes, Ouyahia et Sellal.

Quant à ceux qui résistent, tous les moyens de rétorsion sont bons. La répression sanglante des manifestations du 20 avril 2014 en est la preuve. En tout cas, cette couleur a été donnée lors de la campagne. Se sentant rejetés par la population, les dirigeants ont usé des menaces. Rappelons-nous des déclarations du wali d’Alger –dans les pays respectables, les commis de l’Etat ne font pas de la politique –avertit les nécessiteux que seuls les personnes qui votent auront le droit d’être relogées. Les autorités coloniales n’avaient pas fait plus. Que l’on juge le témoignage d’Albert Camus.  « Et je sais, en tout cas, qu’aux Issers on a refusé du grain à ceux des indigents qui avaient voté pour le parti populaire algérien », souligne-t-il.

Pour conclure, il va de soi que la Kabylie a toujours vécu des périodes difficiles. Pour pouvoir la mater, les régimes successifs ont toujours fait en sorte de la singulariser. Comme au temps colonial, la politique du régime consiste à diviser les Algériens pour mieux régner. Aujourd’hui, le désespoir est tel que des compatriotes de la région vont jusqu’à rejeter l’Algérie au lieu de s’opposer fermement à ce pouvoir diviseur. Hélas, en agissant de la sorte, ces jeunes qui mettent en avant leur appartenance à la région renforcent indirectement le régime en place. Enfin, bien que leur colère soit compréhensible, il n’en reste pas moins que leur projet ne peut pas constituer une solution. Car, la Kabylie et l’Algérie est un même corps. Faire du mal à l’un est équivalent à en faire pour l’autre.

Boubekeur Ait Benali
25 avril 2014

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