La victoire de l’EMG (état-major général), commandé par Houari Boumediene, sur le GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne), dirigé par Ben Youcef Ben Khedda, n’atténue pas pour autant l’animosité du clan vainqueur. Au contraire, ce dernier redouble de férocité. Désormais, il cherche à soumettre toute la société. Cela dit, même au sein du clan vainqueur, les dirigeants ne sont pas tous logés à la même enseigne.  En effet, « Loin d’être un parti unique qui dirigeait effectivement et qui contrôlait l’État et l’armée, en Algérie, le FLN fut en tout subordonné au pouvoir d’État, lequel se confondit vite, pratiquement, avec les hauts clans de l’appareil militaire », écrit Gilbert Meynier, dans « histoire intérieure du FLN ».

D’une façon générale, c’est dans cet esprit que le duo Ben Bella-Boumediene tente d’organiser le pouvoir au lendemain du recouvrement de la souveraineté nationale. Ainsi, bien qu’on puisse trouver des personnalités des différents courants au sein de la coalition Ben Bella-Boumediene [Ferhat Abbas de l’UDMA, Toufik El Madani des Oulémas, Amar Ouzeggane ex-secrétaire général du PCA], il n’en reste pas moins que la politique d’exclusion demeure la devise du clan d’Oujda. Pour étayer cette thèse, on peut citer l’exemple de la confection des listes uniques pour l’élection de l’Assemblée nationale constituante (ANC).

Pour Gilbert Meynier, « les wilayas vaincues payèrent les pots cassés. Furent éliminés tous les cadres civils n’ayant pas de soutiens militaires et tous les gens qui avaient désapprouvé la marche sur Alger [marche de l’armée des frontières sur Alger] et l’affrontement sanglant [bilan des heurts : 1000 morts]. Furent rayés des listes arrêtées le 19 août pas moins de 56 noms de gens jugés trop critiques ou insuffisamment fiables, dont Abdesselam, Ben Khedda … »  En démissionnant du bureau politique le 25 août 1962, Mohamed Boudiaf est le premier à se lancer, dès septembre, dans l’opposition en créant le parti de la révolution socialiste (PRS). Tout compte fait, en dépit de la politique sélective, les vainqueurs n’osent pas éliminer les figures de proue du mouvement national, à l’instar de Hocine Ait Ahmed, Krim Belkacem et autres. Par ailleurs, bien que ce groupe de députés soit minoritaire à l’ANC, leur combativité contrarie fortement les dessins hégémoniques des maitres de l’heure.  

Quoi qu’il en soit, la cohésion du groupe d’Oujda ne résiste à l’épreuve du temps. Selon Gilbert Meynier, « Khider fut très vite déchu de son poste de secrétaire général et trésorier du parti. Il fut contraint à l’exil… Du côté libéral, Abbas, moins d’un an après son élection à la présidence de l’Assemblée, exprima son « désaccord fondamental » et démissionna. Il fut arrêté dans l’été 1964 et mis un temps en résidence surveillée conjointement avec Abderrahmane Farès. »

De toute façon, malgré la multiplication des couacs internes, le régime dispose de tous les leviers de pouvoir : Assemblée nationale, justice et exécutif. Or, en dépit de la concentration de tous ces pouvoirs, le régime choisit la voie de l’illégalité. L’élaboration de la constitution 1963 en dehors de l’hémicycle décourage alors les derniers légalistes. La création du FFS, le 29 septembre 1963, s’inscrit dans une opposition frontale à la dictature qui ne respecte même pas les institutions qu’elle a mises en place. Au lieu de se remettre un instant en question, le régime persévère dans la répression, sans vergogne, de l’opposition. Après le coup d’État de juin 1965, le régime ne tarde pas à franchir le rubican. « Le 8 avril 1967, rendant compte des débats et du verdict, La République d’Oran publia un encadré qui disait : « N’importe quel Algérien conscient a le droit de se faire l’auxiliaire de la justice de son pays en exécutant Krim Belkacem. » Vingt-deux ans avant la publication de la fatwa khomeyniste contre Slimane Rushdie, le pouvoir algérien inaugurait la fatwa d’État », souligne l’éminent historien.

Pour conclure, il va de soi que la violence accompagnant le recouvrement de la souveraineté nationale condamne le peuple algérien à passer d’un statut de sujet à celui de citoyen subalterne. En effet, la propension de certains dirigeants à ériger un pouvoir personnel provoque uniment la neutralisation des institutions. Résultat des courses : l’Algérie a connu toutes  sortes de dérives. Si on se limite aux détournements des deniers publics, à cause de l’absence des contre-pouvoirs, on pourra dire que l’Algérie aurait pu avoir un niveau de développement proche des plus grands pays de la planète. Enfin, sur le plan politique, le pays dépend du bon vouloir d’un groupe restreint de personnes. Condamné à un statut de mineur à vie, le peuple algérien –bien qu’il ait gagné son droit en résistant à la puissance coloniale –n’a jamais choisi librement son président. Qu’en sera-t-il de la prochaine élection présidentielle ? Dans l’état actuel des choses, il est fort possible que cette joute ne diffère pas des anciennes élections présidentielles. Malgré tout ça, ce régime trouve encore des soutiens.

Boubekeur Ait Benali
9 septembre 2013

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