Il y a des disparitions qui marquent, et marqueront surement, l’opinion algérienne. Celle d’Henri Alleg, décédé le 17 juillet 2013 à Paris, en est une, comme le prouve la multiplication des réactions sur la toile notamment. Bien que l’histoire officielle algérienne ait tout fait pour occulter les sacrifices des hommes, parmi eux figure Henri Alleg, son engagement en faveur de l’indépendance de l’Algérie ne passe inaperçu. Comme quoi, quand un homme possède de telles valeurs, l’histoire le retient bien. Et surtout, il n’y a pas besoin de décréter un deuil national pour que l’on reconnaisse l’amour du militant pour l’Algérie. En tout cas, pour Henri Alleg, cette histoire d’amour remonte au premier jour où il a foulé le sol algérien en 1939. « En montant les escaliers du square Port-Saïd à Alger pour la première fois après avoir traversé la méditerranée en bateau, j’avais compris que deux catégories de population vivaient dans votre pays : les colonisateurs et les colonisés. C’était le début de mon engagement », se confie-t-il en 2006 à un journal algérien.

Toutefois, pour que les choses soient claires, dans la mouvance communiste de l’époque coloniale, il faut distinguer le combat d’Henri Alleg de celui du parti de façon générale. En effet, bien que son idée soit faite sur l’avenir de l’Algérie, où tous les habitants, quelle que soit leur confession, vivront librement, il n’en est pas de même de l’appareil politique auquel il appartient. Pour ce dernier, son soutien à la classe ouvrière algérienne est « inséparable de l’intérêt national », écrit Jacques Charby, un autre grand humaniste. Cela étant dit, le propos aujourd’hui n’est pas d’examiner les positions politiques du PCA ou du PCF. Pour refermer cette parenthèse, on peut dire que la dimension humaniste d’Henri Alleg est incomparable avec celle des appareils, y compris parmi les formations nationalistes.

De toute évidence, c’est l’incapacité de ces partis à porter l’idéal de liberté qui incite le groupe des neuf à passer à l’action armée. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que celle-ci a pris tout le monde de vitesse. D’ailleurs, des Algériens autochtones ne savent pas sur quel pied danser. Mais, quand un homme est guidé par ses convictions, le choix est très vite fait. Ainsi, ni l’enlisement de la guerre ni les risques encourus ne dissuadent Henri Alleg de poursuivre son combat en faveur de l’indépendance de l’Algérie. L’interdiction de son journal, Alger Républicain, en juillet 1955, s’inscrit dans la logique de châtiment des voix contrariant le système colonial. Rentrant dans la clandestinité, il ne cesse de dénoncer la torture, érigée en règle par les paras. Bien que le PCF ait participé au vote octroyant les pleins pouvoirs aux paras, des communistes convaincus, comme Henri Alleg ou Maurice Audin, ne renoncent pas à leur combat.

Quoi qu’il en soit, un tel engagement ne reste pas impuni. Et Henri Alleg paie un prix très fort pour son engagement en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Le 12 juillet 1957, les paras de la Xème division, commandée pour rappel par le général Jacques Massu, procèdent à son arrestation au domicile de Maurice Audin. Très vite, la brutalité dont font preuve les paras le conforte dans l’idée qu’il avait d’eux. « Je savais que si j’étais arrêté, je serais torturé, j’y étais préparé », se confie-t-il quarante ans après les faits au journal l’Express. En tout cas, l’homme de conviction encaisse, mais il n’abdique pas.

En plus, il dispose d’une arme plus redoutable que celle des paras : la plume. Celle-ci s’avère plus payante que les méthodes des paras. Et ce qui est répréhensible, selon lui, c’est le fait que ces méthodes soient faites au nom du peuple français. Tenant à faire éclater la vérité, il conclut son livre « la question » en écrivant : « Tout cela, je devais le dire pour les Français qui voudront me lire. Il faut qu’ils sachent que les Algériens ne confondent pas leurs tortionnaires avec le grand peuple de France, auprès duquel ils ont tant appris et dont l’amitié leur est chère. Il faut qu’ils sachent pourtant ce qui se fait ici en leur nom. » En tout cas, l’apparition de son livre, aux éditions Minuit, atteint l’effet escompté. Bien que le système colonial soit discrédité depuis longtemps par ses méthodes inhumaines, ce livre lui porte un  coup fatal.  

Hélas, après l’indépendance, les sacrifices de ce grand militant algérien ne sont pas récompensés. La prise du pouvoir par l’armée des frontières brise le rêve d’une Algérie apaisée. Car, sur le plan des libertés, un combat cher à Henri Alleg, l’Algérie des années 1960 ne différait guère de l’Algérie coloniale. La privation des libertés, que ce soit par les étrangers ou les nationaux, provoque les mêmes effets. Enfin, après le coup d’État de juin 1965, Henri Alleg est contraint de quitter son pays. Ainsi, pour y parvenir à leur fin, les dirigeants étouffent toutes les voix réclamant la liberté pour le peuple algérien. Là aussi, le grand homme se distingue par sa capacité à pardonner. Malgré une politique d’ostracisme à son égard, il n’est pas pour autant rancunier. « Je suis heureux et fier d’avoir pris part au combat pour l’indépendance », déclare-t-il à l’occasion du cinquantième anniversaire du cessez-le-feu.

Boubekeur Ait Benali
20 juillet 2013

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