Depuis la chute de Moubarak, l’Égypte entre de plain-pied dans le cercle des nations démocratiques, et ce, bien que le processus ne soit pas achevé. Dans la foulée, la victoire du peuple sur la tyrannie s’est matérialisée par l’organisation des élections libres, notamment à l’Assemblée constituante et ensuite aux présidentielles. Et si un peuple ne pense pas par son estomac, ce rêve est celui vers lequel doivent tendre tous les combats. Cela dit, le fait de choisir souverainement les institutions ne signifie pas pour autant la baisse de vigilance. Ainsi, tant que la rue égyptienne s’est bornée à la contestation, cela contribue incontestablement à renforcer la démocratie. Car, pour la vitalité d’un pays, une opposition forte est aussi importante que la capacité de l’exécutif à gérer les Affaires du pays.

D’ailleurs, le choix des manifestants de sortir dans la rue le 30 juin, une date correspondant au premier anniversaire de l’arrivée de Morsi au pouvoir, est judicieux. Jusque-là, pourrait-on dire, la procédure est légale. Mais, après la démonstration de force, les manifestants franchissent le rubican en exigeant le départ du président élu par la majorité des Égyptiens. En dépit des appels à la raison, et malgré surtout les concessions faites par le président Morsi, les manifestants ne décolèrent pas. Encouragés par les médias occidentaux, ils font du départ de Morsi leur première exigence. Pour avoir suivi les émissions sur les chaines françaises, notamment « c’est dans l’air », une émission animée par Yves Calvi, force est d’admettre que les principes démocratiques sont simplement foulés au sol. Et pourtant, les médias français ont normalement leur chat à fouetter. Car, ce qui est reproché à Morsi, on l’entend tous les jours en France. Ainsi, malgré la baisse des avis favorables dans l’opinion à l’égard de François Hollande, peut-on imaginer un tel scénario en France ? Il est évident que la même presse occidentale qui qualifie les manifestations en Égypte de révolutionnaires adopterait une autre attitude si cela arrivait chez eux.

Cependant, malgré les manœuvres de déstabilisation, l’avenir démocratique de l’Égypte ne peut pas se décider ailleurs. Si les Égyptiens respectent la légalité, leur démocratie ne pourra pas être ébranlée par aucune attaque.  Hélas, dans les pays comme l’Égypte ou l’Algérie, le mal vient de l’intérieur. Leur faiblesse vient principalement de l’immixtion de leurs armées dans le jeu politique. En tout cas, bien qu’on ne sache pas ce que sera l’avenir de l’Égypte après le coup d’État du 3 juillet, en Algérie, l’intervention de l’armée en 1992 a fermé la parenthèse démocratique. Ainsi, en dépit de l’organisation de fausses élections, le résultat a toujours été conforme aux desiderata du commandement militaire. Du coup, on peut affirmer que la démocratie ne grandit jamais sous la férule des militaires. De la même manière, bien que les islamistes crient au scandale après chaque coup d’État, sous leur autorité, la démocratie se trouve toujours malmenée. Et si le FIS avait pris le pouvoir en Algérie, il aurait fait une main basse sur les institutions. Cela dit, à la différence des putschistes, eux au moins sont élus par le peuple.

Dans le cas égyptien, souligne Vincent Geisser, spécialiste du monde arabe, les Frères musulmans ne sont pas exempts de critiques. « Morsi a été le président des Frères, pas celui des Égyptiens. Il a par ailleurs fait preuve d’une incompétence qui a surpris bien des observateurs qui pensaient que les Frères disposaient de cadres pour gérer l’appareil de l’État », écrit-il. Quoi qu’il en soit, en dépit de toutes ces faiblesses, rien ne justifie le coup d’État. Il y a un an, les Égyptiens ont voté librement. Et s’il fallait faire un bon choix, il faudrait le faire à ce moment-là. En plus, bien que les déçus n’aient pas pu élire leur candidat en juin 2012, il n’y a rien qui les empêche de s’opposer pacifiquement. D’ailleurs, le président Morsi n’a pas exclu ce dialogue. Bien qu’il ait le droit, constitutionnellement parlant, de faire valoir ses attributions constitutionnelles, il a invité l’opposition à un véritable dialogue. D’ailleurs, pour un démocrate convaincu, le chantage de la rue est-il le recours idoine ? En plus, dans le cas égyptien, le chantage des manifestants –bien qu’il soit compréhensible dans une certaine mesure –est-il justifié ? À moins que le président Morsi dispose d’une baguette magique, il est difficile de résoudre les problèmes multidimensionnels que vit l’Égypte, et ce,  en un laps de temps record. Et puisqu’ils se montrent pressés, pourquoi ces manifestants ne sont pas sortis dans la rue lors de la période de transition [février 2011-juin 2012], gérée par l’armée, pour réclamer l’amélioration de leurs conditions de vie ? Autant de questions auxquelles les manifestants auront du mal à répondre pour justifier leur exigence de limoger Morsi.

Pour conclure, cette intervention de l’armée ne fait que désespérer ceux qui ont cru aux capacités de l’Égypte de réaliser une transition démocratique sans anicroche. Désormais, cette parenthèse –et c’est le moins que l’on puisse dire –est sérieusement hypothéquée. Or, pour que la démocratie soit protégée, il manquait aux révolutionnaires du 25 janvier un point de détail. En effet, avant de jeter les jalons de la démocratie, il fallait déterminer le rôle de l’armée. « La chute des dictatures dans les pays arabes et les changements politico-sociaux qu’elle implique n’a pas provoqué un débat, pourtant nécessaire, sur le rôle des forces armées dans la vie politique des nations. Un rôle qui doit inévitablement être revu pour éviter que les coups d’État prennent des allures populaires et pour que les l’arbitrage politique revienne aux institutions civiles et démocratiques élues », conclut Fayçal Métaoui dans son fabuleux article du 5 juillet 2013. Une conclusion in fine qui résume le mal rongeant ces sociétés.

Boubekeur Ait Benali
6 juillet 2013

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