À quelques jours du référendum d’autodétermination du 1er juillet 1962, l’acharnement de l’OAS (Organisation de l’armée secrète) atteint indubitablement son paroxysme. Bien que cette violence ne soit pas un fait nouveau en Algérie, en cette période cruciale, cela dénote l’impossible cohabitation des deux communautés, le peuple algérien et les colons. Nonobstant l’existence de quelques affinités individuelles entre un tel libéral et un tel « indigène », l’emprise des ultras crée –et c’est le moins que l’on puisse dire –un climat vicié. À ce titre, la ville d’Oran représente un exemple type de l’aveuglement des ultras. Pour indiquer l’ampleur des dégâts, notamment les pertes humaines,  l’historien Sadek Benkheda « dénombre 859 victimes civiles algériennes entre le 1er janvier et le 30 juin 1962. »

De toute évidence, cette furie meurtrière a commencé lorsque le général de Gaulle a annoncé en septembre 1959 le principe de l’autodétermination du peuple algérien. Cela dit, que l’on ne s’y méprenne pas. Le général de Gaulle a mis du temps avant de réaliser que la solution militaire allait à vau-l’eau. Ainsi, en 1959, presque deux ans après son retour au pouvoir [un temps nécessaire par ailleurs à la consolidation de son pouvoir], la solution politique n’est plus écartée. Dans la foulée, bien que l’homme du 18 juin ne lésine pas sur les moyens militaires en vue d’étouffer la révolution algérienne, les organisations pied-noires ne sont pas satisfaites. « Il semble impensable à la majorité de la population européenne de quitter Oran, de concevoir une indépendance sous l’égide du FLN », décrit Benjamin Stora l’état d’esprit qui anime les colons. Or, cette population a-t-elle fait quelque chose pour que la vie ensemble soit possible ?

Depuis le début de la colonisation, le système colonial a été conçu comme un instrument de domination. En dépit de la dénonciation d’un tel système par certains esprits bien vaillants, la majorité ou peu s’en faut des colons, notamment à Oran, ne renonçait pas aux privilèges qui en découlaient. D’ailleurs, après l’avènement de l’OAS, l’adhésion au mouvement se fait sans ambages. Aidés par des complices occupant des postes de responsabilité, les chefs de l’OAS n’ont aucun mal à assurer le contrôle quasi-total sur la population. Selon son chef à Oran, Edmond Jouhaud, « le but était d’arriver à ce que l’OAS contrôle la ville, immeuble par immeuble, puis quartier par quartier… » Cela rappelle étrangement, à cinquante ans d’intervalle, les paroles d’un sinistre dictateur, Mouamar Kadhaffi, promettant de reprendre « zenga zenga » les espaces occupés par les insurgés.

Quoi qu’il en soit, bien que l’essence même de cette organisation soit violente, la signature des accords d’Evian va inciter l’OAS à passer à la vitesse supérieure. Malgré le soutien de la quasi-totalité des Français à la politique du général de Gaulle, cette minorité réactionnaire veut imposer désormais sa loi aux autorités françaises et à la jeune nation algérienne. Du coup, au lendemain du 19 mars, plusieurs attentats sont simultanément perpétrés. En fait, leur calcul macabre consiste à faire basculer l’armée française dans leur camp comme ce fut le cas en mai 1958. Dans une émission de radio piratée, le chef de l’OAS, Raoul Salan, condamne fermement les accords signés entre le GPRA et les autorités françaises. Les attentas prennent ensuite une ampleur énorme. Ainsi, le 20 mars, deux attentats font 34 morts, dont 10 à Oran. En dépit des initiatives de l’exécutif provisoire [l’instance issue des accords d’Evian chargée de gérer la période du 19 mars au 1er juillet], les attentats de l’OAS vont hélas crescendo.

Cependant, bien que les crimes continuent avec la même intensité, les chefs de l’OAS s’assignent une autre mission : détruire les infrastructures du pays. Lors des émissions radio, piratées par l’OAS, la consigne est donnée aux commandos de l’OAS de pratiquer la politique de la terre brulée. « S’il faut quitter l’Algérie, on la laissera dans l’état où les premiers colons l’ont trouvée en 1830 », répètent-ils à l’envi. Du coup, le 25 juin 1962, la ville d’Oran va vivre l’enfer. « Lundi 25 juin, à 17h45, c’est l’apocalypse dans le ciel de la ville. Les réservoirs à Mazout de la British petroleum ont été plastiqués, et 50 millions de litres de carburants brulent. Vision dantesque de flammes qui montent souvent à plus de 150 mètres. Dans certains quartiers, il fait presque nuit, et cette « éclipse » dure deux jours », écrit Benjamin Stora.

Finalement, il va de soi que si les Algériens ont pu voter le 1er juillet, c’est parce que l’ALN à Oran et l’armée française ont su gérer avec intelligence cette période scabreuse. Bien que les Algériens aient envie de se venger, le chef de l’ALN, Djelloul Nemmiche, a interdit toute manifestation dans la ville d’Oran jusqu’au 5 juillet. Quant au général Joseph Katz, depuis sa prise de fonction en février 1962, il a œuvré pour la cohésion de l’armée française en vue d’anticiper les éventuels basculements. Lui rendant un vibrant hommage, l’éminent historien, Charles Robert Ageron, écrit : « Le nom du général d’armée Joseph Katz ne dit sans doute rien à ceux qui n’ont pas vécu la guerre d’Algérie. Pour ceux qui se souviennent, ce général fut le courageux défenseur de la République face à la rébellion de l’OAS à Oran. » Enfin, bien que sa sévérité soit relative [face aux révolutionnaires algériens, il n’avait aucune pitié], ce général « ne fit jamais attaquer à l’arme lourde les immeubles tenus par les commandos de l’OAS », conclut-il. Comme quoi, même quand la République est menacée, les compatriotes ne se tuent pas. Cela prouve in fine que les Algériens n’ont jamais été considérés comme des citoyens à part entière. Et rien que pour ça, l’indépendance de l’Algérie devait intervenir plus tôt.

Boubekeur Ait Benali
26 juin 2013

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