Il est pour le moins que l’on puisse dire difficile de se situer dans le feuilleton marathonien de Julian Assange, cet australien de 41 ans cofondateur et porte-parole de l’énigmatique et célèbre réseau d’espionnage diplomatique «Wikileaks» qui depuis bientôt deux ans se dérobe à la justice suédoise. Car, soupçonné d’agression sexuelle et de viol de deux suédoises, il est activement recherché et devenu la cible d’un mandat d’arrêt international lancé par la justice suédoise, Interpol et les américains mais refuse tout de même de s’y soumettre. Néanmoins, dernièrement il a trouvé refuge dans l’enceinte de l’ambassade équatorienne à Londres. A vrai dire, ce fait divers qui paraît à première vue anodin s’est vite fait mué en une chronique judiciaire d’ampleur interétatique dont Stockholm, Londres et Quito sont devenues un véritable théâtre d’interférences et d’expérience. En effet, les autorités britanniques, sur demande de leurs homologues suédoises, tiennent à ce qu’il soit extradé manu militari vers le pays où il aurait commis son forfait, la Suède s’entend mais se savant être dans le collimateur du président Obama et menacé d’être extradé aux États Unis, Assange préfère l’hospitalité équatorienne aux mille déboires d’une justice à mille vitesses sinon, pourrait-on dire, à mille lieues de l’impartialité. Pour cause, ce démon de «Wikileaks» qui a pu révéler 250 mille télégrammes, classés «top secret» par les américains n’est plus le bienvenu dans le monde du «politiquement correct». Pour rappel, le défi et le pied de nez aux puissants de ce mystérieux homme est d’avoir mis fin au secret diplomatique et porté à la lumière les graves dérives ainsi que la partialité de l’administration de l’hyperpuissance et ses alliés occidentaux dans la gestion des affaires internationales. Mais est-ce pour autant une procédure judiciaire en bonne et due forme, une cabale politique ourdi à dessein par les puissants de ce monde ou une simple formalité de passage à l’acte persécuteur et surtout à la «chasse aux sorcières»? En réalité, les empires militaro-industriels quelque soit leur nature ne dorment jamais sur leurs lauriers. Une quelconque dérogation à la règle d’hégémonie dont ils sont les concepteurs est passible à leurs yeux de sanctions drastiques. Les exemples qui ont défrayé la chronique ces dernières années en sont légion à commencer par l’épisode des trois jeunes filles du groupe féministe de punk- rock «Pussy Riot» qui s’en sont prises le mois du février dernier à l’église orthodoxe, pilier spirituel et grand symbole parmi d’autres de la société russe post-communiste et la série des pressions et des condamnations de la justice moscovite à leur égard dans le grand déni des libertés individuelles les plus élémentaires, la traversée du désert du dissident chinois «Chen Guangchen» est une autre drôle histoire à intégrer dans ce que l’on pourrait appeler désormais «la bêtise des grands». La fuite risquée de cet opposant endurci en mai dernier des geôles de «l’empire du milieu» vers le pays de l’Oncle Sam en dit long sur «la paranoïa sécuritaire» qui gangrène le géant communiste. Aux États Unis, l’affaire de Bradely Manning, le soldat américo-britannique incarcéré actuellement dans la base militaire de Quantico dans l’État de Virginie et qui a auparavant réussi à faire échapper le récit vivant des atrocités vécues par les détenus des prisons afghans et irakiens, récupérées et exploitées par la suite par Wikileaks restera à jamais comme une tache noire indélébile dans les annales de l’armée des Yankees et prouve à n’en point douter que ces démocraties de façade qui luisent de si loin ne sont de plus près que des dictatures à ciel ouvert. Il est certain que les rebondissements de l’affaire Assange sont susceptibles de prendre une tournure négative d’autant plus que l’Équateur lui aurait accordé le 16 août dernier l’asile diplomatique. Le président équatorien Raphaël Correa dont le pays a été classé dernièrement par l’organisation non-gouvernementale «Transparency International» en 130 eme place sur l’échelle de 142 autres pays en ce qui a trait à l’indice de corruption et de respect des libertés, se voit vraisemblablement dans le rôle d’un partisan de la ligue frontalement anti-américaine de son alter ego idéologique, le vénézuelien Hugo Chavez. A cet effet, il aurait refusé de se plier aux bonnes volontés de la Perfide Albion, laquelle compte quadriller l’ambassade équatorienne à Londres suivant le principe de la territorialité des lois (primauté de la loi nationale sur le droit international) et procéder le cas échéant à l’arrestation de Assange si celui-ci essaye d’en sortir. Ce qui est de toute évidence contraire à l’esprit et à la lettre de la convention de Vienne de 1961 régissant les relations diplomatiques entre les États. En conséquence, l’obligation légale d’extrader Assange n’implique pas nécessairement la privation ou la perte de l’Équateur de sa qualité diplomatique si celui-ci accepte bien sûr l’accueil de l’architecte de «Wikileaks» en tant que réfugié politique. Mais le président équatorien n’en est pas resté là, il compte même saisir la haute cour internationale de la Haye pour faire valoir les droits de son pays.

Par ailleurs, il est pour le moins clair que cette déclaration de guerre larvée des autorités britanniques jure avec les principes démocratiques dont se glorifient jusqu’au jour d’aujourd’hui les capitales occidentales et donne à voir et à constater qu’elles demandent le plus souvent aux autres (les pays du Tiers Monde et le monde arabe) ce qu’elles ne font jamais chez elles. Pour preuve, la Grande Bretagne aurait rejeté la demande du juge Baltasar Garzon d’extrader le dictateur Pinochet arrêté en plein Londres en 1998 et reste de marbre aux injonctions de la justice algérienne, laquelle est aux trousses depuis 2007 du richissime arnaqueur Abdelmoumène Khalifa, réfugié jusqu’au moment présent sur ses terres alors que la législation internationale en vigueur est clairement en faveur de ces deux pays. Il semble bien que la loi de jungle et le pouvoir discrétionnaire du plus fort sur la scène internationale ont pris le dessus sur l’éthique des droits de la personne humaine ou le respect de l’intégrité des États et leur souveraineté. Sinon comment pourrait-on interpréter le silence de l’O.N.U et des institutions internationales afférentes à propos de la propagande mensongère orchestrée par aussi bien les alliés américains et britanniques que les médias occidentaux sur la possession de l’Irak des armes de destruction massive et les dégâts qui en ont découlé avant et depuis (une guerre interventionniste, illégitime et illégale en 2003, la mort de plus 1,5 d’enfants à cause de la malnutrition due à l’embargo économique et de la politique du «pétrole contre nourriture» qui ont duré, rappelons-le bien, plus d’une dizaine d’années, le sac des musées et des chefs-d’œuvre historiques sous les yeux distraits et connivents des snipers…etc).

Après tout, il ressort bien que dans cet imbroglio juridico-politique de Julian Assange, la logique des britanniques pèche par incohérence et impéritie dans la mesure où si l’on la suit, toutes les ambassades et consulats des pays du monde seraient envahis dès lors qu’un un incident pareil se serait produit. Le comble, c’est que les occidentaux sont tombés dans le piège de leurs lois et procédures et s’en lavent les mais dès lors qu’ils se sentent concernés ou touchés. Si Julian Assange a démontré une chose, c’est que le revers de la médaille de ces pseudo-démocraties est plus que hideux. Il est un empire de l’information et de la propagande dont seule la technologie moderne utilisée à bon escient et érigée en une alternative humaine est capable d’y mettre fin. La gageure de Assange aura-t-elle réellement gain de cause? On n’en sait rien pour le moment car seul l’avenir portera conseil à ceux qui en demandent.

Kamal Guerroua
4 septembre 2012

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