Aucun observateur politique n’aurait imaginé une Algérie sans gouvernement après quatre mois des élections législatives du 10 mai dernier. Des élections qualifiées par le chef de l’Etat d’historiques, en faisant une comparaison grotesque, avec le 1er Novembre 1954, pour appeler à la participation.

Cette comparaison a été suivie par un aveu de fin de règne pour toute la génération d’hommes politiques ayant vécu la guerre de libération. Certes le chef de l’Etat n’a pas été le seul à utiliser une terminologie subjective afin d’inciter les Algériens à voter massivement ; les partis politiques, dont ceux appartenant à l’opposition autorisée, ont également, de leur côté, mis l’accent sur la nécessité de participer à ces élections. Pour les uns, cette participation ferait barrage aux velléités atlantistes ; pour d’autres, elle serait l’occasion d’une dynamique politique dans la société qui mènerait à un changement dans la douceur, sans le recours à une révolution !

Toujours dans cette sphère politique participationniste, l’implication des chancelleries étrangères, notamment occidentales, n’est pas passée inaperçue. L’ambassadeur américain à Alger, Henry S. Ensher, a été le plus audacieux dans ce sens, en invitant les Algériens à voter massivement et « opérer des changements dans la société », une société qui ne serait, selon lui, pas encore prête à la démocratie. Quant au régime, il n’attendrait que la réforme pour enfin concéder un changement politique sérieux !

Idem pour l’Union Européenne qui a concédé à travers les visites de ses missions parlementaires, un crédit presque surprenant, aux promesses du régime algérien de réformer la vie politique. Bruxelles a dépêché sur place une équipe insignifiante d’observateurs, incapables de quadriller les bureaux de vote de la capitale, pour surveiller et accréditer un lamentable spectacle électoral dans un pays considéré comme le plus vaste du continent africain !

Que les pays occidentaux essaient de préserver un régime qui garantit le mieux leurs intérêts peut être compris, mais cela n’a débouché que sur une paralysie totale de la vie politique dans une situation de congélation depuis la validation des résultats par le Conseil constitutionnel, et surtout, l’installation de la nouvelle chambre basse du parlement avec l’élection d’un apparatchik du FLN à sa tête.

La congélation a débuté précisément au moment de la désignation d’un pur produit de la bureaucratie du parti unique à la tête d’une assemblée conçue pour être le miroir du changement politique opéré par le régime depuis l’année 2011. Il dévoile au grand jour l’impasse dans laquelle se trouvent les décideurs algériens. Hostiles idéologiquement à la démocratie, ils se sont sentis confortés par les déclarations de l’ambassadeur américain qui souhaite une réforme de la société et non du régime.

Entre temps, la situation a évolué en Egypte, avec l’élection de Mohamed Morsi comme président de la république du plus important pays arabe. Cette élection a été suivie par une prise du pouvoir réel par ce dernier, au détriment des militaires, enfin rendus à leur mission constitutionnelle.

La situation se stabilise en Tunisie et en Libye, et les réformes du roi semblent apporter une certaine stabilité au Maroc, une stabilité que le régime algérien n’a pas su atteindre avec ses élections législatives.

La nouvelle donne politique, issue du printemps arabe, a fait basculer le régime dans une inaction face au vent du changement venant de l’est. La non-désignation d’un nouveau gouvernement, que certains pourraient expliquer par le caractère capricieux de Bouteflika, ne peut trouver là son explication, la situation ayant radicalement changé depuis 1999. Le chef de l’Etat et le conglomérat de généraux qui l’ont choisi, ne sont plus les seuls détenteurs de la décision politique. Pour la première fois depuis 1988, la rue algérienne « sans l’élite politique classique » est devenue un acteur dans la prise de décision, un acteur qui ne peut être ignoré ni par le pouvoir de l’argent, qui voit là une menace directe sur ses intérêts, ni par les pays occidentaux, qui ne peuvent se limiter à la seule « réforme de la société ».

Cette incapacité à réformer a conduit à une situation où personne ne gouverne, mais où tout le monde décide. Un pays où la décision politique, à défaut d’une action sociale commune et radicale, continue à basculer entre les forces occultes à la tête des richesses mal acquises, et les capitales occidentales. Entre temps, ni Bouteflika, ni les généraux du DRS, ne peuvent trouver une solution de sortie de crise synonyme de transition politique globale et viable. C’est le résultat d’une gestion policière et sécuritaire des affaires publiques, qui engendre inévitablement une décomposition de l’Etat algérien à l’intérieur et la perte de sa souveraineté à l’extérieur.

Yahia Mekhiouba
30 août 2012

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