Tous les systèmes autoritaires, sans exception aucune, les dérives sont légion. À ce titre, vu la nature du régime algérien, le pays ne peut pas déroger à la règle. Disposant d’une rente pétrolière conséquente, des dirigeants sans scrupules essaient de se servir au lieu de servir leur pays. Cela dit, bien que les Algériens continuent encore de croire que sous le règne de Boumediene les choses allaient mieux, force est de reconnaitre que les tares du régime ne furent que camouflées. En réalité, la corruption, les détournements sont apparus à ce moment-là. Et si les Algériens n’en parlaient pas, c’est parce que la répression s’abattait sans vergogne sur les bavards.

Incontestablement, on peut l’affirmer sans qu’il y ait le moindre doute que la corruption en Algérie n’a pas commencé avec la disparition de Houari Boumediene. Cette idée est certes entretenue pendant longtemps faisant ainsi de cette période l’âge d’or de la gestion rigoureuse des affaires publiques. Néanmoins, bien que le phénomène n’ait pas été généralisé comme on le constate sous le règne de Bouteflika ou de Chadli, la corruption a bel et bien existé bien avant eux. Car, pour l’économiste Ahmed Dahmani, le phénomène de la corruption est lié à la nature du régime politique. « À la base de la corruption il y a la monopolisation du pouvoir politique et sa détention par un groupe social restreint, des éléments essentiels dans les processus d’accaparement des ressources et d’enrichissement », met-il en exergue la relation entre l’usurpation du pouvoir et la mainmise sur les richesses d’une nation.

De toute évidence, en Algérie, la prise du pouvoir par la force a donné naissance à un régime politique totalitaire. D’emblée, celui-ci exclut le peuple algérien de participer à la mise en place des institutions du jeune État. Pour les nouveaux maitres de l’Algérie, la question du pouvoir a été tranchée avant même que ce peuple ait recouvré sa liberté. En tout état de cause, si le peuple a le droit de choisir ses représentants, il sanctionnera, le mandat prochain, le responsable zélé en cas de manquement. Or, le pouvoir algérien au premier jour de l’indépendance, par son essence cynique, ne pouvait pas être proche de son peuple. Créé initialement en dehors du territoire national [sur les frontières tunisienne et marocaine], ce groupe a barré la route au pouvoir légitime de la révolution, le GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne). Par conséquent, en s’imposant par la force, ce groupe, à sa tête Houari Boumediene, a refusé toute constitution de contre-pouvoirs. D’où la gestion par la force des questions politiques. Cela a engendré également les abus tous azimuts. Selon Ahmed Dahmani, « cette situation n’est possible qu’en l’absence de tout contrôle par des institutions et organismes étatiques indépendants du pouvoir politique et/ou de contre-pouvoirs émanant de la société. L’organisation sociale par et autour de l’État imposée par le pouvoir politique (la fraction militaire dans le cas algérien) va générer et généraliser la corruption comme mode régulier du fonctionnement du système économique et social dans son ensemble ».

D’une façon générale, bien que les détenteurs du pouvoir nient être à l’origine du phénomène, il n’en reste pas moins que cette pratique s’est développé en son sein ou par des gens se réclamant d’eux. Petit à petit, le moindre responsable essaie de tirer profit de sa position dominante en monnayant ses services voire même son accord, argue Ahmed Dahmani. La brèche étant ouverte, les mercantiles se rapprochent naturellement des responsables inamovibles afin qu’ils aient leur part du gâteau. Ainsi, après l’ouverture du secteur économique à la concurrence, à vrai dire à la fausse concurrence, les investisseurs privés cherchent prioritairement à s’associer avec un haut responsable. « Dans le cas algérien, appartenir à la fraction militaire est le plus sûr moyen d’accès aux ressources publiques, d’obtenir des différentes autorisations pour réaliser tel ou tel projet. Les officiers de l’armée et des services de sécurité sont ceux qui détiennent, généralement par l’intermédiaire d’un prête-nom (souvent un proche), les affaires les plus juteuses », affirme à juste titre Ahmed Dahmani.

Quoi qu’il en soit, en dépit des dérapages incessants, ces responsables expliquent, en utilisant la langue de bois, que leur départ plongerait l’Algérie dans une crise abyssale. Evidemment, en décrétant cela, ils empêchent, par la même occasion, le peuple algérien de participer à l’organisation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) en Algérie. Du coup, ce groupe, pour assurer l’avenir de ses enfants et celui des arrières enfants, s’appuie sur une clientèle bien entretenue afin de se pérenniser. Résultat des courses : malgré les ressources faramineuses dont dispose l’Algérie, des Algériens n’arrivent pas à se nourrir convenablement. Aujourd’hui, les différents scandales montrent que les sommes en jeu représentent des milliards de dollars. Pour mesurer l’ordre de grandeur de ces détournements, on peut citer le chiffre avancé en juin 1990 par l’ancien premier ministre, Abdelhamid Brahimi. Pour lui, l’estimation des détournements aurait avoisiné les 26 milliards de dollars. Tout compte fait, la conséquence de la gestion catastrophique des deniers publics a été à l’origine du développement des courants extrémistes en Algérie dans les années 1980 et 1990. Pour sanctionner un régime responsable de leur situation misérable, les Algériens ont voté, en1991, en faveur d’un parti extrémiste, le FIS en l’occurrence, dont la prise du pouvoir n’aurait en aucun cas amélioré, selon mon humble avis, le sort des Algériens. Et si une occasion se présente à nouveau pour le sanctionner, les Algériens n’hésiteront pas une seconde à le faire.

Boubekeur Ait Benali
22 août 2012

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