Louable exhortation à la résipiscence, que cette brillante adresse de M. Réda Benkirane au Président français n’était-ce qu’elle s’adressât ici – à travers M. François Hollande donc – à l’un des zélateurs les plus affichés de son prédécesseur, François Mitterrand, symbole d’entre les symboles, dans l’histoire de la répression coloniale au cours de la Guerre de Libération nationale ; doublé par ailleurs, d’un atlantiste irréductible, avec tout ce que le terme peut charrier comme connotations impérialistes, colonialistes, paternalistes, et que sais-je encore ; sans oublier l’affairisme sulfureux sous-jacent, commun aussi bien aux hommes de droite qu’aux hommes de gauche…

Il n’y a rien de pire que l’angélisme en politique. Surtout quand cet angélisme est poussé au point de se priver soi-même de ses propres arguments de pression politique et/ou de contrainte économique, comme c’est précisément le cas, dans l’attitude quasi constante observée vis-à-vis de l’ancienne puissance occupante, par nos pays du Maghreb et singulièrement l’Algérie, passée du prestigieux statut de nation libérée par les armes et farouchement anticolonialiste, à celui de nation normalisée et rentrée dans les rangs d’une misérable « Françafrique », par la grâce du Coup d’Etat du 11 Janvier 1992, sournoisement appuyé – sinon piloté ? – par le même sulfureux M. Mitterrand… probablement ravi, comme le seront plus tard ses successeurs Chirac et autres Sarkozy, d’avoir comme interlocuteurs, les détenteurs du pouvoir réel – par-delà la façade civile purement conventionnelle – c’est-à-dire d’anciens soudards et autres enfants de troupe. Au garde-à-vous, comme du temps de l’armée coloniale dont ils sont issus.

Pour si légitimes que puissent être nos exigences de repentance de la part de l’ancienne puissance coloniale, il y a une exigence préalable et surtout morale, de légitimité intrinsèque attachée à la propre légitimité du demandeur de cette repentance, censément parler au nom de son peuple. Est-ce bien le cas ici ?

Pour ne parler que de mon propre pays, l’Algérie, je réponds clairement qu’un régime politique qui est lui-même issu d’une violation de la volonté souveraine du peuple, se trouve bien entendu moralement disqualifié pour une telle démarche dont le caractère nationaliste et sacré requiert un acteur politique adossé à une légitimité populaire réelle, ne souffrant d’aucune contestation, parce que, issue d’un suffrage loyalement obtenu dans les urnes. Ce qui n’est malheureusement pas le cas dans mon pays donc, où l’issue des pseudos élections se joue la plupart du temps dans les officines de la police politique et autres « machins » distributeurs des quotas de l’infamie comme ce fut tout récemment le cas avec les pseudos élections législatives du 10 Mai – que la vox populi qualifie impertinemment d’ « élections des femmes de ménage » – et dont on attend toujours les retombées institutionnelles… les deux clans au pouvoir, celui de M. Bouteflika et celui du DRS, se neutralisant mutuellement l’un l’autre, dans un total mépris de l’intérêt national et des lourdes conséquences qui vont bientôt en découler pour le pays, actuellement totalement paralysé et sans pilote. En totale hibernation caniculaire si j’ose dire…

Or, dans les officines d’en face; c’est-à-dire de l’autre côté de la Méditerranées, on sait tout cela et on l’encourage ouvertement, tout en ne cessant pas d’aboyer par ailleurs, à travers les médias de la bien-pensance,  à la liberté, à la démocratie, aux Droits de l’Homme et tutti quanti ; autant de slogans qu’ils agitent avec d’autant de frénésie que leurs armées conquérantes, celles de l’Otan sont toujours prêtes à aller réduire au silence, ici un dictateur récalcitrant comme en Irak, ou là, un peuple farouchement indépendant, comme en Afghanistan… Et l’on sait surtout, dans ces mêmes officines d’en face, que les dirigeants politiques sont d’autant plus fragilisés et donc manipulables, qu’ils sont dépourvus de légitimité populaire comme l’est en l’occurrence, le régime mafieux hybride constitué entre le clan Bouteflika et ses partenaires et parrains militaires.

Vous avez conclu votre appel, M. Réda Benkirane, avec cette phrase pleine de bon sens : « Pour en finir aussi avec le culte idolâtre de l’identité. »

Une phrase qui semble s’adresser en premier chef – du moins l’interprète-je ainsi – à l’ancienne puissance occupante, non seulement sur le registre du vécu quotidien de notre émigration stigmatisée sur son territoire, mais aussi sur le registre noir de son passé colonial de semeuse de divisions et de fomenteuse de discordes au sein de nos sociétés colonisées ; mais aussi à nous-mêmes peuples du Maghreb dans le corps desquels, la France coloniale a réussi à inoculer insidieusement, tout au long de l’occupation,  le poison des ethnicités ; des ethnicités naguère considérées grâce à l’Islam, religion universaliste par excellence, comme de simples atavismes régionaux, linguistiques ou culturels récurrents, mais qui sont devenues aujourd’hui, l’alpha et l’oméga des revendications dites « identitaires » à connotation raciste, voire séparatiste prônées par certains aventuriers politiques se définissant eux, comme de « purs berbères » par opposition à ceux qu’ils considèrent comme étant des « arabes », alors qu’ils seraient bien en peine de nous dire en quoi, les uns sont berbères et en quoi les autres sont arabes.

Le tout, aggravé par un terrible déficit en matière de clairvoyance et de sens du nationalisme, de la part d’une classe politique – pouvoirs et oppositions confondus – totalement castrée, invisible et inaudible sur les questions pourtant majeures pour le destin du Maghreb, comme la place légitime de l’amazighité au sein de nos sociétés, les libertés intermaghrébines de circulation, de travail et d’établissement (1), la désastreuse question du Sahara Occidental pour les peuples du Maghreb, la coordination politique vis-à-vis de l’UE et de la France en particulier, etc.

Malheureusement, nous sommes – à l’heure qu’il est – bien loin de tout cela, et l’ancienne puissance coloniale fera tout ce qui est en son pouvoir pour qu’un tel statu quo demeure. A moins d’un tremblement généralisé, dont toutes les prémisses semblent annoncer l’avènement.

Abdelkader Dehbi
11 août 2012

(1) Revendication unanime des peuples du Maghreb, en faveur des « 5 libertés », récemment rappelées par le Président tunisien Moucef Marzouki. 

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